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Tunisie - Tensions et malversations derrière la crise du ciment ?

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L’économie tunisienne tourne au ralenti. Le chômage explose. Les dépenses des ménages sont grevées par l’inflation galopante. Le «prestige de l’Etat » en pleine bérézina. Une conjoncture politique qui n’offre aucune visibilité sur le court et le moyen terme. Une police qui a perdu la main (sauf pour une dispersion musclée de manifestants)… Les raisons ne manquent pas pour broyer du noir mais le Tunisien éternel boute-en-train a toujours le cœur à la fête.
Les veillées ramadanesques post-révolution sont toujours aussi bruyantes, animées, outrancières. Et comme pour conjurer le sort et défier ces éléments, le Tunisien se donne à son occupation favorite avec la même ferveur. La construction, joie suprême de nos concitoyens, a pris de plus belle. Les murs, les maisons, les kiosques poussent comme des champignons. Sur les terrains publics, les terres cultivées ou même les trottoirs. Mais quand le sort s’acharne rien ne va plus. Le gouvernement a assuré l’approvisionnement en sucre, volailles, œufs… mais n’a pas réussi à empêcher la pénurie du CIMENT. Pour faire face à la flambée des prix, la brigade économique a déjà diligenté une enquête suite à de graves malversations constatées.
Une trentaine de familles ont envahi un terrain agricole de M’nihla, ont arraché les oliviers et dans un temps record ont construit des maisons, d’un confort certes sommaire, mais qui fait le bonheur de leurs nouveaux « propriétaires ». Pour apporter la baraka et apaiser le courroux du propriétaire, le « pâté » de taudis a été appelé « Cité de la Révolution du 14 janvier ». L’anecdote n’est pas isolée et en dit long sur la fièvre du béton qui envahit le pays. Demandez à un promoteur de se charger pour vous de travaux de réaménagement, d’agrandissement ou de construction et il vous répondra qu’il est surbooké pour quelques mois.
Chez les fournisseurs des matériaux de construction, c’est une autre paire de manches. Les délais de livraison s’étalent en longueur. Le prix du ciment a connu ces dernières semaines une augmentation exorbitante. Le sac de 50 kg est passé de 6 DT à 15 DT. Le prix grimpe rapidement à 20 DT sur le marché noir.
Premier élément d’explication : les tensions sociales dans la région d’Enfidha provoquant la cession de l’exploitation de la cimenterie. Les habitants d’un proche village, réclamant la création de nouvelles sources d’emploi pour les jeunes et l’amélioration des services publics, ont confisqué les équipements d’extraction et de transport. La cimenterie d’Enfidha assurait 27% de la demande locale avec plus de 1,8 million de tonnes par an. Il va sans dire que la fermeture forcée a secoué l’équilibre du marché.
Bouleversée en amont, toute la chaîne du secteur du bâtiment a été touchée : grossistes, détaillants, promoteurs, mais également les transporteurs. Une production qui ne suffit plus aux attentes du marché et des files d’attente s’allongent devant les cimenteries. Le délai de chargement peut atteindre 10 jours. Les transporteurs ont, logiquement, majoré leurs prix. Le chargement d’un camion a grimpé à 40.000 DT au lieu de 12.000 DT.
Les facteurs se cachant derrière cette crise se multiplient : constructions anarchiques, mouvements sociaux, pénurie, mais pas seulement cela. La spéculation bat son plein et des malversations auraient été constatées. Pour répondre à la demande locale, un approvisionnement sur les marchés internationaux a été décidé par les autorités représentées par le ministère du Commerce. Une livraison de ciment allemand a été négociée et commandée sur le marché turc. Rien de surprenant jusque là, sauf que le prix d’achat après négociation dépasse le prix catalogue (98,5 dollars à l’achat pour 93,5 dollars sur le catalogue). Une affaire d’escroquerie ou flambée soudaine des cours mondiaux ? Aucune partie incriminée pour le moment, mais l’affaire est suffisamment louche pour avoir obligé la brigade économique à prendre le dossier en main. Une enquête en bonne et due forme est en cours et il devrait y avoir des interpellations.
Les enjeux économiques sont suffisamment importants pour favoriser les pratiques les plus douteuses. Les promoteurs immobiliers sont tenus par des délais de livraison et tout retard dans l’avancement des travaux explose leurs pénalités de retard et alourdit leurs charges. Tactique du moindre mal, les promoteurs préfèrent s’approvisionner sur le marché noir que de voir leurs marges fondre comme une peau de chagrin.
Les grossistes pour répondre aux besoins de leurs clients font de même et achètent et revendent sur le marché noir. Certains n’hésitent pas à détourner des chargements qui avaient déjà un acquéreur en y mettant le prix. Beaucoup de mal pour un produit à faible rentabilité a priori mais il faut comprendre que le sac de ciment est au grossiste ou au détaillant de matériaux de construction ce qu’est le pain à l’épicerie de quartier. Un produit d’appel sans lequel il est difficile de vendre des articles générant plus de bénéfices.
Des spéculations qui mettent l’équilibre du marché en péril et qui touchent tous les acteurs. Les grands promoteurs jouent aux équilibristes en attendant que les choses rentrent dans l’ordre. Une situation, certes délicate et exceptionnelle, mais ils sont habitués à gérer la montée des prix pendant chaque année estivale avec le retour au pays des Tunisiens à l’étranger. La situation est beaucoup plus compliquée pour le citoyen ordinaire ou le père de famille qui s’inflige de grands sacrifices financiers pour mener à bout un projet de construction. Les budgets prévus pour payer les maçons et acheter les matériaux nécessaires ne permettent plus au final de couvrir toutes les dépenses. Beaucoup de ménages se sont retrouvés contraints de rembourser des prêts bancaires sans même voir leurs chantiers achevés.
Une situation compliquée et qui ne laisse pas entrevoir les prémices d’une amélioration. Une crise liée en partie aux turbulences sociales qui secouent le pays et qui persistera, probablement, jusqu’à l’assainissement de la situation politique. La reconstruction de la Libye considérée comme une manne pour l’économie tunisienne n’est pas aussi bien vue par les professionnels du bâtiment. Car ils estiment que l’exportation vers le marché libyen, qui sera gourmand en matériaux de construction, ne fera qu’aggraver une situation déjà périlleuse.
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