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Tunisie - Le taux de pauvreté entre le maquillage et l'exagération

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Les derniers chiffres sur la pauvreté et le chômage, annoncés par le ministre des Affaires sociales devant l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, laissent perplexes.
Lesquelles statistiques annoncent que 24,7 % de la population vivent sous le seuil de la pauvreté selon les standards internationaux qui fixent la pauvreté à des revenus n’excédant pas deux (02) dollars par jour et par personne; 700.000 chômeurs, dont 170.000 diplômés du supérieur, soit près de 20 % de la population active. Les chiffres sur le chômage varient ente 9 % et 32 %, selon les régions, annonce-t-on. Les taux les plus élevés sont enregistrés à Kasserine, Jendouba, Sidi Bouzid, Le Kef, Siliana, Kebili et Gafsa.
Le taux du chômage a grimpé, en raison notamment de la crise du tourisme. Ce secteur assure près de 7 % du PIB, mais est à la peine depuis la révolution du 14 janvier. Il emploie d’une façon directe plus de 200.000 personnes et n’arrive pas à reprendre son souffle.
Et si les chiffres sur le chômage ne sont pas vraiment étonnants, ils varient suivant la définition donnée au chômeur. Elle est évolutive et variable, donnant donc des résultats différents. N’a-t-on pas réduit notre taux de chômage de 1,4 % en 2009, juste en imposant la recherche active de l’emploi ?
Par contre, les nouveaux ratios de pauvreté font étonner les observateurs et les experts, même si l’on considère que M. Ennaceur parle de la pauvreté dans le sens large du terme et, non pas, de l’extrême pauvreté qui concerne les personnes ne disposant que de 0,8 dollar de revenu par personne et par jour et dont les dernières statistiques les estiment à 3,8 % de la population. Les dernières statistiques disponibles estiment, en effet, à moins de 15 % le taux de la tranche de la population dont la moyenne de revenus est inférieure à deux (02) dollars par personne et par jour. Il y a donc un hic dans les déclarations de Mohamed Ennaceur !
En revenant au site de l’Institut National des Statistiques, il continue à afficher le taux de 3,8 % en parlant de la pauvreté. ‘L'étude de la pauvreté est abordée ici sur la base de l'estimation de l'effectif des personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté, d'après les résultats des enquêtes sur le budget et la consommation des ménages réalisées par l'Institut National de la Statistique’, lit-on sur le site.
Suite à cette annonce, qui indique un chamboulement des statistiques de références, plusieurs actions s’imposent. D’abord, les services du ministère des Affaires sociales sont appelés à présenter au public les études ayant abouti à ces chiffres, pour que les experts soient convaincus de leur fiabilité. Plusieurs observateurs considèrent à première vue que ce taux serait exagéré. Il faudrait donc expliquer au public comment ces résultats ont été obtenus.
Ensuite, la Direction générale de l’Institut national des statistiques (INS) est appelée à se justifier. Il est étonnant, par ailleurs, qu’elle soit encore en place après la révolution du 14 janvier, alors que tout le monde est convaincu de son implication dans le maquillage des chiffres sous l’ancien régime. Toute la lumière devrait donc être faite sur les manipulations opérées au niveau de l’INS, qui n’ont pas été sans incidences sur l’économie et la société.
Enfin, plusieurs experts ne cessent d’attirer l’attention des gouvernants sur le fait que l’INS devrait acquérir son indépendance par rapport aux structures du gouvernement, comme partout ailleurs dans le monde développé. Il devrait s’ériger en institution publique indépendante, formée d’experts et travaillant au service de l’Etat. ‘L’INS n’est pas là au service d’une politique mais, plutôt, pour préparer des indicateurs en fonction d’enquêtes de terrain’.
Cette requête sur l’indépendance de l’INS a, par ailleurs, été formulée à plusieurs reprises par le président de l’Association des économistes tunisiens (ASECTU), Mohamed Haddar, qui considère que ‘les statistiques devraient être mises à la disposition des experts économiques et financiers pour concevoir les programmes de développement’. ‘Plus les statistiques sont fiables, plus les schémas des programmes conçus répondent aux besoins’, ajoute-t-il.
Maintenant, et en réaction avec l’annonce du ministre des Affaires sociales, le gouvernement provisoire est appelé à réagir. ‘Tous les ratios émanant de l’INS deviennent, du coup, sujets à suspicion, y compris les chiffres de la croissance’, affirment plusieurs économistes. ‘Il est donc impératif qu’une commission d’enquête se mette en place pour suivre ce dossier et qu’une épuration se fasse au niveau de l’INS pour qu’il soit réellement au service de la nation’, proposent-ils.
Avec ces débats, la transition économique commence à prendre le devant de la scène. ‘C’est normal !’, insiste Mohamed Haddar. ‘Le processus de transition politique n’est considéré efficace que s’il permet la mise en place d’une économie performante en mobilisant l’innovation. Le changement de régime politique n’est une réussite qu’en permettant de fournir des réponses au défi de la croissance et en coupant avec l’économie de corruption’, ajoute-t-il.
‘La Tunisie doit passer d’un régime dictatorial et une économie de corruption à une démocratie couplée à une économie de création et d’innovation afin de refonder ses relations avec le reste du monde. Or, l’indépendance des statistiques est l’un des garants de la transparence’, conclut-il.
Un grand débat s’annonce autour de cette problématique importante. C’est un signe fort qu’il n’y a plus de tabous. L’INS était inaccessible aux chercheurs. Il le reste encore pour le moment, mais pas pour longtemps, semble-t-il.
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