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Le paysage audiovisuel tunisien dans tous ses états

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Les médias tunisiens, radios et, surtout, télévisions se trouvent, depuis quelque temps déjà, tiraillés entre les critiques et les polémiques. Ils ont été au cœur des débats organisés lors de la Journée de l’Audiovisuel de Tunis, tenue à la fin du mois d’octobre 2010 et destinée aux professionnels.
Ces rencontres, initialement prévues pour réconcilier le public local avec les médias français et dépoussiérer l’image de la Tunisie de l’autre côté de la Méditerranée, ont vite bifurqué sur les polémiques tuniso-tunisiennes qui agitent notre paysage médiatique depuis quelques mois déjà. Des problématiques de la plus haute importances sur lesquelles il fallait revenir.
Une journée décousue jalonnée d’échanges houleux, d’affrontements à « couteaux tirés » ainsi que d’autres flottements, des querelles byzantines, des discours partisans, des digressions futiles…Les échanges auraient pu s’enliser pour finir dans un cul-de-sac. Mais c’était sans compter sans un Serge Moati des grands jours, pour l’occasion animateur des débats, et qui préféra jouer les agitateurs et les contorsionnistes, se démenant tout au long de la journée, prenant tour à tour sa facette de séducteur, d’instituteur sévère, d’accoucheur d’idées pour maintenir le cap et orienter les débats dans la bonne direction.
Retour sur une journée en dents de scie avec du bon et du moins bon...
C’était parti sur les chapeaux de roues pourtant. Les mondanités d’usage ont vite cédé place à la première table ronde sur la manière de satisfaire les attentes, à la fois, du public tunisien et français. Pour répondre à cette interrogation, ont pris la parole des représentants de la télé tunisienne (Canal Overseas, Hannibal TV, Canal 21, Tunisie 7 ayant boudé la rencontre) et française (Arte et France Télévisions).
La curiosité de ce qu’allait apporter Canal Overseas au paysage médiatique tunisien était clairement palpable dans la salle. Timoré à l’entame des discussions, Bruno Thibaudeau, Directeur Maghreb de Canal Overseas a vite été poussé dans ses derniers retranchements par les questions de l’auditoire. Les questions qui fâchent ont rapidement pris le devant sur la présentation générale de Canal dans le monde et au Maghreb. La question qui était sur toutes les lèvres : le prix de l’abonnement mensuel ? Contournant la question mais harcelé de toutes parts, Bruno Thibaudeau finit par lâcher le morceau : un alignement probable sur les prix algériens et marocain à savoir une fourchette de 12 à 15 euros par mois. L’objection de la salle fuse : la dream box ne coûte que 10 dinars par mois. Au représentant de Canal de défendre sa position : verser des droits d’auteurs, participer à la création d’une nouvelle économie, créer de la valeur, de l’emploi est un investissement lourd. Le représentant de Canal appelle à une coopération plus étroite avec les entreprises tunisiennes et les autorités locales : réglementer les vidéos clubs, la diffusion des films en salle... Encore du chemin à parcourir, paraît-il avant que Canal ne soit en mesure de produire des contenus spécifiquement tunisiens. Tout un savoir-faire à créer, se défend Blaise Mistler.
Les échanges se sont centralisés sur les nouvelles perspectives du paysage télévisuel tunisien en place et lieu du thème programmé. Habib Nasra, administrateur d’Hannibal TV était visiblement agacé voire inquiet. Tout en clamant la complémentarité entre les lignes éditoriales, notamment Nessma et Hannibal, la différence entre les chaînes cryptées et gratuites, M. Nasra n’a pu s’empêcher de revenir sur le climat délétère de la télé tunisienne et de revenir sur les polémiques qui ont agité la scène médiatique ces derniers mois : absence de mécanismes de régulation, les méthodes archaïques utilisées par les instituts de sondage locaux, la télévision publique qui, selon lui, dépasse outrageusement ses prérogatives… Hamadi Arafa, Directeur de Canal 21, parachuté porte-parole du service public, et désarçonné par la tournure des échanges, a tenté tant bien que mal, d’arrondir les angles mais le costume était trop grand pour lui.
Autre sujet, autres intervenants, les chaînes thématiques, le web et les nouveaux supports de diffusion ont retenu l’auditoire en haleine. Jean-François Arnaud, Directeur marketing d’Orange Tunisie a choisi de faire profil bas. Considère-t-il sans doute que la position de l’outsider est pour le moment la plus confortable pour tirer son épingle du jeu dans un marché cadenassé par Tunisie Telecom et Tunisiana. Raison pour laquelle, Orange se positionne sur un créneau précurseur en Tunisie : la télé mobile. Deux axes de programmation essentiels pour commencer ont été décidés, à savoir le foot (notamment en signant un partenariat avec El Jazeera lors de la dernière coupe du monde de footbal en Afrique du Sud) et les fictions télé (diffusion de la série ramadanesque d’Hannibal TV « Tunisie 2050 » 24 heures à l’avance). Le cinéma viendra à son tour, rassure Jean-François Arnaud mais le groupe doit faire face à d’autres priorités avant, celui du dégroupage en particulier.
Les débats ont basculé par la suite vers des considérations culturelles, diplomatiques, voire politiques. L’éternelle question de l’Union pour la Méditerranée, du rapprochement des rives nord et sud a été évoquée. Et comme toujours, une bonne volonté affichée confrontée à des obstacles infranchissables, principalement celui de la libre circulation. « Les capitaux circulent, les personnes pas », a lâché vertement une personne dans le public.
Des idées et des pistes pour le financement du cinéma local moribond ont été présentées par Ferid Boughedir, président de la Commission nationale pour le cinéma. Le modèle imposé en France par les gouvernements de gauche pour défendre leur « exception culturelle » lui semble également le mieux approprié en Tunisie : imposer des quotas, taxer les recettes publicitaires des chaînes de télévision. Il propose également de taxer les DVD vierges, la vogue du piratage boostera ainsi la production de films tunisiens.
Pour résumer, nous avons assisté à une journée annoncée en grandes pompes, avec des objectifs ambitieux et des invités prestigieux mais qui a sans doute fait long feu. La question de fond à savoir la réconciliation de nos concitoyens avec les médias français a été oubliée en cours de route. Les débats, malgré tout, nous auront permis de prendre la température de la concurrence audiovisuelle en Tunisie ainsi que des enjeux et des évolutions à venir. La conclusion principale est la frilosité de tous les représentants des médias (télévisions privées et publique, radio publique) pour moderniser un secteur anarchique, et où tout le monde navigue à vue. Avec encore plus de bouleversements envisagés, notamment l’arrivée imminente de la TNT (Télévision Numérique Terrestre), une institution régulatrice tel que le CSA français (Conseil supérieur de l’audiovisuel) ne peut plus être considérée comme un luxe superflu.
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