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Chroniques
Ce n’est pas Ben Salmane le danger
27/11/2018 | 15:59
4 min

Par Synda Tajine

 

A première vue –on n’a même pas besoin de regarder de près - l’emballement collectif et la frénésie  générale, l’événement de la semaine serait incontestablement la venue du prince héritier saoudien en Tunisie. Je ne suis pas de cet avis.

D’accord, cette venue a de quoi choquer et l’indignation collective est parfaitement compréhensible. Mais tout cet emballement ne changera rien au fait qu’un journaliste, dans l’exercice de son métier, ait été découpé comme un vulgaire morceau de viande sous un Etat dictatorial, répressif et sanguinaire. Les manifestations et la sympathie générale avec cette « cause mondiale » ne changeront rien aujourd’hui au fait que le mal ait déjà été fait et que l’affaire est entrée dans les esprits comme une barbarie de plus du régime saoudien.

L’assassinat, l’horrible assassinat, de Jamel Kashoggi, restera dans les annales comme cet acte d’une barbarie sans nom qu’on a infligé à un journaliste dans l’impunité la plus totale. Un acte banalisé aujourd’hui, qui est devenu l’image caricaturale d’un régime qui n’est certes pas à son coup d’essai. Des déguisements ensanglantés, des caricatures acerbes et des manifestations dispersées, rien de très sérieux donc. L’assassinat de Jamel Kashoggi, peu importe ses orientations politiques où les eaux troubles dans lesquelles il baignait, fait partie aujourd’hui du folklore populaire. Un crime qui suscite des haut-le-cœur, mais qui est devenu largement accepté. On l’oubliera d’ici quelques mois, et il y en aura d’autres. Des politiques, des militants, des citoyens et d’autres journalistes qu’on décapitera et qu’on découpera dans l’indifférence généralisée ou qu’on se contentera de faire disparaitre de manière « plus douce » et « moins choquante » pour l’opinion publique. Oui car l’opinion publique a la mémoire courte, très courte.

 

Mais loin de l’affaire Kashoggi, l’événement de la semaine en Tunisie est tuniso-tunisien. Une affaire largement banalisée face à une autre sur laquelle il ne sert plus à rien de s’attarder.

Un secrétaire général d’un parti au pouvoir qui dénonce un putsch armé fomenté par ceux qui sont déjà au pouvoir…pour prendre le pouvoir. Et des révélations d’un comité de défense sur un plan d’assassinat ayant visé, il y a cinq ans, l’actuel président de la République, mais aussi le président français de l’époque. Rien que ça !

 

De nouveaux détails sur le supposé appareil armé appartenant, ou ayant appartenu, au parti Ennahdha (un autre parti au pouvoir) font surface par bribes. Une détérioration de preuves, des noms proches de l’actuel président d’Ennahdha Rached Ghannouchi, et les promesses d’autres révélations « délicates ».

Le président de la République reçoit les membres du comité de défense Belaïd-Brahmi qui lui demandent de prendre les choses en main - car la justice ne le ferait pas suffisamment bien – et de créer une commission qui sera chargée de l’affaire. Des révélations contre son allié d’hier et allié de son ennemi d’aujourd’hui sont à l’ordre du jour.

De son côté, Ennahdha, allié de son ennemi d’aujourd’hui, s’empresse de dénoncer ces « manœuvres ». Que la présidence de la République se mêle de l’affaire et montre qu’elle a été appelée à se substituer à une justice qu’on accuse de ne pas bien faire son travail est tout de même assez dangereux. La page de la présidence de la République adopte les accusations faites par les membres du comité de défense et montre qu’elle est appelée à y donner suite.

Si les révélations du comité de défense sont à prendre très au sérieux, la présidence s’écarte encore de son obligation de rester neutre et au-dessus de tout tiraillement mais y saute les pieds joints. Une nouvelle occasion de resserrer encore plus l’étau sur Ennahdha et de la confiner au sombre petit coin de son passé terroriste. Il est évident que si Carthage s’adonne à ce jeu, ce n’est certes pas dans le but noble et suprême du haut intérêt national.

 

Regardez bien, de l’autre côté, Slim Riahi part sur une chaîne étrangère porter des accusations de la plus grande gravité contre le pouvoir en place qu’il accuse de fomenter un putsch armé. Il dépose ainsi une plainte contre le chef du gouvernement, le responsable de la communication de la Primature, l’ancien chef de cabinet du président de la République, le directeur de la Sécurité présidentielle et un membre fondateur de Nidaa Tounes. Slim Riahi affirme détenir des preuves de ses allégations, des photos et des enregistrements prouvant ses dires et accuse ses adversaires de « complot contre la sûreté de l’Etat ». Des accusations graves, soutenues par le silence complice de la présidence de la République qui ne rate pas l’occasion d’y remettre une couche.

 

Ce qui se passe sur la scène politique nationale dépasse les petites chamailleries politiques. On en vient à du lourd, on parle d’armes, de conflit armé et de putsch. On en vient à des accusations de la plus haute gravité dans lesquelles la justice devra trancher au plus vite. 2019 s’annonce mouvementée, tout ça est loin, très loin, de l’affaire Kashoggi…

27/11/2018 | 15:59
4 min
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Commentaires (9)

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James-tk
| 28-11-2018 15:41
L'opinion publique a la mémoire courte ?
Dans un certain sens c'était vrai hier, et ça ne l'est plus, car, et depuis que la toile s'est mêlée dans la danse en fourrant son nez partout, devenant par la force des choses la «véritable mémoire collective rêvée», ou, comme on dit dans le langage informatique notamment dans les petites calculettes qui ont envahi nos marchés, dotées d'une touche appelée 'rappel memoire' !
Nous l'avions constaté ces dernières années, lors de chaque événement qui attire l'attention du monde entier, la rapidité de réactions sur la toile, et tout particulièrement sur les réseaux sociaux, que même Google surveille notre planète jusqu'aux moindres petits details. Par conséquent, il n'est presque plus possible d'exécuter un quelconque geste à l'abri des regards, Google l'a prouvé à maintes occasions !

Ali Baba
| 28-11-2018 14:47
La présidence sort de son rôle? bien sûr ! mais qui avait bronché lors de la nomination des 2 chefs de gouvernements sans consultation du parti vainqueur aux élections? s'il y a bien coup d'Etat, c'est par là qu'on devrait commencer par chercher.

Jilani
| 27-11-2018 22:17
Ce n'est pas le comité de défense qui a demandé d'être recue par le vieux renard mais c'est la présidence qui a invité les membres de ce comité après plusieurs insistances. Le comité a exigé que cela se fasse après convocation du conseil de la sécurité. Le vieux renard veut récupérer ce dossier pour ses intérêts personnelles et surtout marquer le point envers les islamistes ainsi que sa campagne 2019. L'autre nouvelle c'est la désignation de kourchid pour suivre le dossier de coup d'?tat. Ce dernier était un ennemi de BCE et voulait le mettre en prison, maintenant il devient un valet du vieux renard pour faire quoi ? La visite du seffah saoudien va dans même sens, chercher des appuis et partenaires pour 2019, mais j'espère que les Tunisiens vont écarter ce vieux et d'autres comme le gourou ennacer mourou et opter pour une nouvelle génération sans magouilles et combines.

mansour
| 27-11-2018 22:05
le gouvernement Ennahdha/Youssef Chahed est seulement en place pour laisser passer la tempête par la panique d'être emporter par le tsunami des affaires,révélations et accusations

Trop tard!
| 27-11-2018 21:34
Vous écrivez:
-"de son ennemi d'aujourd'hui sont à l'ordre du jour."
-"De son côté, Ennahdha, allié de son ennemi d'aujourd'hui,"

Vous exagérez quand-même, ils ne sont pas des ennemis mais plutôt des adversaires politiques!

Puis, il faut comprendre enfin que le clan RG voudrait tant limoger YC mais il n'ose pas (et vous devriez savoir pourquoi), il faut comprendre enfin que le clan RG n'aurait jamais soutenu YC, s'il avait le libre choix (sans entrer dans les détails et vous devriez savoir pourquoi).

Votre article est trop superficiel!

Houcine
| 27-11-2018 20:20
Des acteurs politiques sont assassinés, et l'on nous fait le coup de ... enquêter depuis des années. Sans la moindre issue.
La Tunisie est un drôle de pays où la recherche de la vérité n'a pas place.
Un peu de courage pour devenir citoyens !
Et beaucoup de temps avant que le navire aborde en démocratie.
Il suffit de se promener en ce pays pour y observer comme un retour de pratiques ancrées dans le quotidien des administrations, police, gendarmerie, justice.
On est presque comparable à ce qui se pratique chez nos frères, même monarchiques.

saif
| 27-11-2018 19:37
Pour les chamailleries politiques sur la scène nationale ,ça ressembe bien à un combat de béliers .

Wild bled
| 27-11-2018 19:16
Le danger est le manque de solidarité entre les politiciens de même obédience. Ceci est constaté chez tous les courants politiques. A votre avis pourquoi BCE favorise son fils ?

Fehri
| 27-11-2018 18:07
Tout le monde en parle, CNN, CBS 60 minute, MSNBC, ABC et d'autres comme-ci il y en a pas de victimes au Yémen. Des bus d'enfants bombardés, des hôpitaux bombardés et on ne parle que de ce monsieur. Je dis arrête-on, je ne suis pas frère musulman et n'ai aucune pitié de ces malades qui ont brûlé l'aviateur Jordanien en public. Les frères musulmans ne méritent aucune défense et surtout pas de BN.