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Chroniques
Avec Kaïs Saïed, les islamistes jouent sur du velours
Par Nizar Bahloul
13/10/2019 | 19:22
6 min
Avec Kaïs Saïed, les islamistes jouent sur du velours

 

Les nations évoluent, la Tunisie recule. Disons, pour être plus juste, qu’elle avance à reculons. Dimanche 13 octobre 2019, les Tunisiens sont allés aux urnes pour la troisième fois en un mois et ce pour le 2ème tour de la présidentielle. Cet exercice démocratique, à lui seul, impose le respect et l’évidence : nous avançons. Dans quelques jours, avant le 25 octobre obligatoirement, Mohamed Ennaceur, président de la République par intérim, va laisser sa place au président élu Kaïs Saïed. Mohamed Ennaceur ne pouvant pas rester à l’intérim au-delà des trois mois après le décès de feu Béji Caïd Essebsi. Cet exercice de respect de la Constitution impose le respect et l’évidence : nous avançons.

Une fois ces deux constats effectués, voyons dans quelle direction nous sommes en train d’avancer et ce après que le pays ait voté islamiste le 6 octobre et un candidat apolitique et fortement appuyé par les islamistes et les populistes, le 13 octobre. Le monsieur est juste anachronique. Il n’a ni programme, ni vision, il vient de nulle part sans aucun appui partisan et il a réussi, quand même, à s’imposer sur la scène avec un raz-de-marée de 72,53%. Avec un écart aussi large, on ne peut même plus évoquer les injustices réelles subies par Nabil Karoui avant et durant la campagne. Il a juste passé en prison les « 90 -2 jours » précédant le deuxième tour de la présidentielle. Sans cette détention injuste (selon la cour de cassation qui parle carrément de déni de justice), les choses se seraient passées autrement. C’est indéniable. Mais au vu de cet écart de 45%, il sera difficile de croire que Nabil Karoui aurait pu gagner s’il était resté dehors.

 

Maintenant que Kaïs Saïed est passé et que l’on ne peut pas contester sa victoire, quel regard on se doit de porter sur nous-mêmes dans le miroir ? En tant que Tunisiens, la chose a été dite, victoire éclatante de la démocratie et du respect de la constitution. Très bien et après ? Quel regard on se doit de porter sur nous-mêmes dans le miroir, nous en tant que Républicains assoiffés de justice, de laïcité, de progressisme et de libertés ?

L’échec est cuisant car c’est tout le paysage politique qui a changé pour basculer, une nouvelle fois, entre les mains des islamistes et révolutionnaires populistes. Entre les mains de personnes qui ont longtemps divisé les Tunisiens entre gens du nord et gens du sud, islamistes et laïcs, révolutionnaires et anti-révolutionnaires, paysans et citadins, campagnards et balnéaires. En 2011, quand ils ont été élus, on en a vu de toutes les couleurs. Du sang a coulé. De la haine à tous les coins de rue entre amis, voisins, copains voire même au sein d’une même famille. S’il faudrait retenir une seule chose de la triste période de la troïka, c’est cela.  Toute la hantise vient de ce point et cet unique point. En ce dimanche 13 octobre 2019, les démons de 2011-2014 sont revenus. On les voyait venir depuis quelque temps déjà. On en a eu un avant-goût le 6 octobre. Aujourd’hui, c’est la confirmation. Nous allons vivre une nouvelle période sombre de notre Histoire avec des islamistes à la perche au Bardo, un allié des islamistes à Carthage et un islamiste (ou un valet des islamistes au mieux) à la Kasbah.

Les islamistes ont tout fait pour faire gagner Kaïs Saïed et le placer à Carthage, comme ils l’ont fait en 2011 avec Marzouki, et ils ont réussi. Ils font la pluie et le beau temps et on ne peut que s’incliner devant leur victoire.

C’est ça la démocratie et c’est pour cela que Bourguiba et Ben Ali (paix à leurs âmes) ont refusé d’être démocrates, car il était hors de question pour eux que la Tunisie s’islamise. Idem en Algérie qui va s’apprêter, elle aussi, à prendre la piètre et archaïque route islamique de la Tunisie.

 

Le choix démocratique a été acté en 2011 et il est hors de question de revenir en arrière sur ce point. Ce qu’il fallait faire, c’est nous préparer à affronter démocratiquement, ce que nous n’avons pas fait. Nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes avec pour boucs émissaires principaux : Youssef Chahed, Mohsen Marzouk, Néji Jalloul, Mehdi Jomâa, Yassine Brahim, Saïd Aïdi et toute la « clique » qui s’est liguée autour de feu Béji Caïd Essebsi (paix à son âme) en 2014. Il n’y a pas que ces boucs émissaires politiques, il y a aussi la responsabilité des médias et des ONG qui n’ont pas pu (su) « vendre » le projet laïc et progressiste à une majorité d’un peuple conservateur et pieux. Et puis il y a cette crise économique qui n’a rien arrangé et par qui tout a commencé. C’est peut-être bon de rappeler que la révolution déclenchée le 17 octobre 2010 l’a été uniquement pour des raisons économiques. Il n’a jamais alors été question de démocratie, de libertés et d’identité. Ce n’est qu’au lendemain du 14 janvier 2011 que ces slogans ont été importés avec le retour des anciens réfugiés. Des slogans qu’on ne remettra aucunement en question, mais quid de la chose économique par laquelle tout a commencé ? Rien n’a été fait depuis 2011. C’est même pire avec une inflation au plus haut et une productivité au plus bas. L’élection de Kaïs Saïed à la présidence de la République et des islamistes au parlement ne va rien changer à la chose. Ça va même empirer.

 

Que peuvent faire les islamistes à part appliquer, avec discipline, la politique d’austérité réclamée par le FMI et nos partenaires internationaux ? Ils ne nous imposent rien, ils nous disent juste ce que l’on doit faire si on veut nous en sortir. Et ce que l’on doit faire est tout simple : travailler plus pour gagner plus et réduire ses dépenses. Les Espagnols, les Portugais, les Grecs et plein d’autres nations sont passées par cette case, il ne saurait en être autrement pour les Tunisiens. Pour le moment, les Tunisiens freinent des quatre fers l’application de cette politique d’austérité et jouent, depuis 2011, la fuite en avant. Mais un jour ou l’autre, que ce soit Nabil Karoui, Kaïs Saïed ou Albert Einstein au pouvoir, ils vont devoir courber l’échine et se mettre au pas. Ainsi donc, puisque ce sont les islamistes et Kaïs Saïed qui sont désormais au pouvoir, c’est à eux de faire courber l’échine aux Tunisiens. Ça ne se fera pas sans casse et tant mieux que ce soit eux qui paient la facture de la casse à venir. Paieront-ils pour autant cette facture ? C’est là tout le risque, car pour éviter de payer la facture, ils vont jouer de leur subterfuge habituel (la victimisation) et chercher des boucs émissaires tout trouvés et porteurs (la crise identitaire, les laïcs, les ennemis de l’islam, les médias de la honte qui les empêchent de travailler…). Comme ils n’ont pas réussi à avoir raison de nous et ont été vaincus en 2014, ils vont prendre leur revanche à partir de 2019. Ceci a déjà été annoncé et c’était une promesse électorale de plusieurs députés. Adieu les libertés, adieu le progressisme, adieu la presse indépendante.

Avec un président de l’acabit de Kaïs Saïed, les islamistes jouent sur du velours. S’il n’est pas leur complice, au vu de son conservatisme, il les aidera au moins par sa passivité au vu de son anachronisme. Notre nouveau président ne sait même pas ce qui se passe ailleurs, il n’a plus de passeport depuis 2014. Avec un président républicain, laïc et progressiste, il saurait s’opposer aux arguments fallacieux de ceux qui ont le califat pour ambition et la chariâa pour modèle.

Avec un pouvoir total, aux trois présidences, ils vont maintenant tenter de faire ce qu’ils veulent du pays. Comme ce pays n’est pas le leur uniquement, et comme nous n’avons nulle part où aller (contrairement à eux), il y aura de la résistance. De la forte résistance pour préserver la démocratie, la Constitution (que Kaïs veut changer comme il l’a dit) et nos libertés. Et ceci se fera aux dépens de l’économie, alors que c’est elle qui est à l’origine de tous les maux.

Par Nizar Bahloul
13/10/2019 | 19:22
6 min
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Commentaires (30)

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outofafrica
| 15-10-2019 17:28
vous avez bien raison, c'est un imposteur. Car JW signé toujours avec ses grades professionnells sous Bourguiba et Ben Ali. Celui-la se contente d'ecrire que les noms des chefs d'etat. Et ce n'est pas du tout le meme style. En tout le cas hier un lecteur disait ici qu'il sait d'une source sur, qui était JW et qu'il est mort l'année dernière.

LAM
| 14-10-2019 18:51
Peu importe qu'il soit à l'origine ou non de cette campagne. Nessma a bien été utilisée à cet escient. Mais ce que je voulais souligner surtout, c'est qu'une personne ayant une réputation aussi sulfureuse -qu'il s'est lui même forgée au fil du temps-, ne peut bénéficier d'un soutien inconditionnel d'électeurs, fussent-ils de la même orientation politique. Beaucoup d'ailleurs ont préféré voter blanc ou s'abstenir.

nazou de la chameliere
| 14-10-2019 17:56
Je ne suis absolument pas Karaouiste !!
Mais il faut etre débile profond ,pour croire que Karaoui a commandité les pages FB "tout sauf chahed" !!!
Pourtant c'est pas faute de vous le dire ,que dans ces pages FB figure KS !!!
Alors que le bonhomme n'avait rien a faire dans ces pages !!
Mais ils vous ont manipulé mentalement avec sa présence sur l'échiquier politique !!! ILS L'ONT GRAVE' DANS VOS CERVEAUX !!!
C'est une élection 2.0 que vous le vouliez ou non !!
Et je comprends parfaitement la colère de certain contre YC !!
Il a permis a cette escroquerie d'élection. etre ce qu"elle est !!!
Avec la bénédiction imbécile de Karaoui et de ses partisans !!

LAM
| 14-10-2019 16:51
Karoui ne pouvait faire l'unanimité, y compris dans le camp des progressistes. Il traînait trop de casseroles, depuis longtemps déjà (et ce, pas uniquement pendant l'ère Chahed). Certains journalistes ont suivi aveuglément les instituts de sondage qui l'avaient propulsé favori en terme d'intentions des votes. En 2017, la popularité de Fillon qui était donné favori, s'est effondrée après les révélations de l'affaire Pénélope. Les peuples, quels qu'ils soient, ne veulent pas d'un Président dont la réputation est entachée de "magouilles". Sa réputation, c'est lui même, qui se l'est forgée au cours des ans. Il n'a pas eu besoin de Chahed (qui a certainement commis beaucoup d'erreurs et a été soumis à la vindicte populaire) pour cela. On peut parler après de présomption d'innocence, de cabale gouvernementale mais cela est totalement subjectif... En fait de cabale, c'est d'ailleurs Karoui qui l'a initiée... Avec sa chaine Nessma dans un premier temps, puis Le "Tout sauf Chahed" https://inkyfada.com/fr/2019/06/03/tunisie-facebook-israel/ (ou curieusement Karoui est épargné). Il est triste de voir que le camp progressiste se soit éclaté du fait bien sûr de tiraillements inadmissibles, mais aussi du fait d'un candidat qui ne pouvait se prévaloir de la confiance d'une majorité. Beaucoup de vos lecteurs ont voté Karoui par défaut, pour favoriser le camp progressiste (et non par conviction).

maamar
| 14-10-2019 16:43
Mr Nizar vous allez nous faire pleurer.vous allez rester figé toute votre existence? Quel dommage....faites un parti et militez pour une principauté tunisoise avec à sa tete un prince. Karoui ferait l'affaire et organisez à longueur d'année des défiles de modes, ou des bals masqués organisés par Mohsen Marzou... invitez les princes meme arabes et vous allez compter les milliards et vivre mille ans vous et votre societé moderne. chargez nabil karoui pour ce projet vous ne trouverez pas mieux.sa carte de visite n'a rien à envier aux meilleurs dadais du monde moderne.....

Barhoumi
| 14-10-2019 15:06
Chaque fois je lu des sujets des gens. Comme la vôtre.2014 au 2019 vous êtes a l'hôpital.les mauvais période de la Tunisie c'est de ton régime sebsi et Avent lui l'entourage de ben Ali et Avent tout sa de votre Grand bayou3 fasid mounhat moulhid bourguiba .nous sommes maintenant et ont reste vas boire un peut de javel toi et ton laïcité.

EL OUAFFY AVEC Y A LA FIN
| 14-10-2019 14:48
Tout d'abord je félicite la victoire imprévue et que nous n'avons jamais l'imaginer.
D'après les premiers annonces de ce nouveau président Kaïs Saïed sans qu'il consultât certains conseilleurs pour éviter certains ce qu'on doit éviter c'est pas bon d'être héro et président dont les objectifs bien précis de trouver une solution aux crises qui connait le pays depuis le séisme tragique de 2011 social, sécuritaires,économiques, culturels rien n'avance , une jeunesse en état désespérances et que la démocratie n'a pas d'utilité ou bien de laisser la démocratie a ceux qu'ils ont inventé et il faut l'accepter pour qu'ils ne nous accusent pas que nous avons un complexe d'infériorité devant les Français nous avons aussi notre civilisation qui nous honore et l'histoire le témoignera.
Il me semble que le nouveau Kaïs Saïed est incomparable avec tous les anciens présidents qui ont dirigé le pays ou bien il n'a pas fait attention lors de son locution à l'occasion de son succès
ou bien il ne suivrait pas les '?vènements de prêt peut être il n'est pas au courant de la politique extérieure de l'ancien président et sa position envers tous les conflits internationaux dont la majorité est acceptable sans qu'il néglige ni l'un ni l'autre et c'est comme ça la justice réelle pourvue de neutralité qui minimise les conflits mais c'est bon qu'il a la volonté de visiter on premier lieu lle pays voisin situé près de nous ( Louhayède ) .

DIDON
| 14-10-2019 13:59
John Wayne avait trop de mépris pour les tunisiens pour faire ce genre de discours.ils les a toujours rabaissé, maltraité, méprisé ...il n aurait jamais eu un discours aussi positif et rassembleur vous n êtes pas JW!

welles
| 14-10-2019 13:37
Vous n'avez pas honte de classer les journalistes de cette manière. Vous en avez pas assez de ce qui s'est passé hier à l'avenue Bourguiba où les journalistes El Hiwar dont deux femmes ont été roué de coups par Reccoba et ses amis alors qu'ils faisaient simplement leur travail. Vous n'avez à la bouche que la haine et la division des tunisiens car l'obscurantisme religieux et le nationalisme arabe aveugle vous empêche d'être rationnel . Comme le disait justement M. Boughalleb hier regardez tous les pays qui ont introduit la religion dans la politique comment ils sont devenus et le nationalisme arabe de Naser n'a-t-il pas permis à Israel d'envahir 90 pour cent du territoire palestinien et la perte du Sinaï; votre champion du jour n'a que cela à la bouche Dieu et la Palestine. Eh bien qu'il arrête de se moucher le nez dans le drapeau tunisien et qu'il aille rejoindre les rangs du parti de Hamas. Ici nous avons besoin d'un projet économique et social et non pas de slogans creux et rétrogrades.

Lol
| 14-10-2019 13:35
Faut pousser encore l'analyse.
Est ce que NK est laïque? Non c'est juste un opportuniste, populiste qui traine des casseroles (et qui n'a jamais été pour l'égalité dans l'héritage ou pour la dépénalisation de l'homosexualité tout comme said). Il aurait été un pion d'enahda qui tient ses dossiers. Au moins Saïd est un homme de principe.
Les laïcs ont tout perdu dans leur guéguerre fratricide et doivent profiter de cette pause pour se reconstruire au lieu de pleurnicher.
Avec moins de 80 sièges ennahda et ses sattelites ne peuvent pas former un gouvernement ni placer Ghannouchou a la tête du parlement. Il leur faut des alliés... Peut être NK? On verra
Rien n'est perdu pour le moment mais par pitié arrêtez de donner des cadeaux a ennahda en traitant de nahdaoui toute personne qui ne vous plaît pas