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Constitution tunisienne an II : Le néant
27/01/2016 | 19:59
4 min
Constitution tunisienne an II : Le néant

 

C’est un anniversaire passé complètement inaperçu. Celui des deux ans de la Constitution tunisienne votée en janvier 2014. Cet anniversaire n’a pas été fêté à cause des événements qui ont dernièrement secoué le pays. Mais il n’est pas sûr qu’il l’ait été en d’autres circonstances, tant le citoyen ne voit pas d’application réelle des principes constitutionnels. 

 

 

Après la révolution en 2011, la Tunisie a fait le choix d’aller vers une assemblée nationale constituante. Presque 3 ans plus tard, et après 115 millions de dinars de dépenses, l’ANC a accouché d’une nouvelle constitution adoptée le 26 janvier 2014. Près de deux ans plus tard, l’anniversaire de l’adoption de cette nouvelle constitution passe complètement inaperçu. Aucune fête officielle n’a lieu à cette occasion et les médias tunisiens ne mentionnent pas cette date anniversaire. Pourquoi ce désintérêt presque généralisé ?

 

La raison la plus évidente est que le citoyen tunisien n’a vu aucun impact de l’adoption de cette constitution sur son quotidien. En effet, l’arsenal juridique tunisien ne s’est pas encore conformé aux principes constitutionnels. Par conséquent, l’ensemble des lois qui régissent la vie quotidienne du Tunisien reste, dans une certaine partie, non adaptées à la nouvelle constitution et dans certains cas, carrément anticonstitutionnelles.

 

C’est ce que confirme la professeure de droit constitutionnel, Salsabil Klibi dans une déclaration faite le 26 janvier 2016 à la Radio nationale. Elle estime qu’il n’y a pas eu d’avancée notable en deux ans. Elle explique cela sur deux principaux aspects, le premier est qu’il n’y a pas eu de modification des lois tunisiennes pour les rendre conformes à la Constitution, principalement pour les lois touchant les droits et les libertés des citoyens. Le deuxième aspect est celui des instances constitutionnelles dont la mise en place et la création ont été négligées par les autorités. Elle évoque également une certaine inquiétude vis-à-vis du rythme de travail de l’assemblée des représentants du peuple qui n’est toujours pas parvenue à créer deux des institutions les plus importantes pour la construction démocratique à savoir le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour constitutionnelle.  

 

Il est vrai qu’il y a eu plusieurs débats concernant l’application de la constitution dans les lois appliquées en Tunisie. Les plus récents sont ceux relatifs à l’arrestation et à la condamnation d’homosexuels en vertu de l’article 230 du code pénal tunisien. Ainsi, la Constitution tunisienne garantit la liberté de disposer de son corps, pourtant, dans la pratique, ce n’est pas le cas. Il y a eu d’autres cas d’inconstitutionnalité mais dans des projets de loi comme ce fût le cas pour la loi de finances 2016, où dix articles ont été jugés anticonstitutionnels par l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois (IPCC).

 

Il y a eu également de forts soupçons de transgression de la Constitution par l’institution chargée de la protéger : la présidence de la République. Béji Caïd Essebsi avait fait un certain nombre d’actes d’ingérence dans les affaires internes du parti Nidaa Tounes. Nombreux ont été ceux qui l’ont accusé de transgresser l’article 76 de la constitution qui interdit au président d’exercer une quelconque responsabilité partisane. La présidence de la République avait tenté de justifier ses actes en disant que la crise au sein de Nidaa Tounes était devenue un problème national du fait que Nidaa est le premier parti du pays.

 

Le résultat de cette somme de négligences est que la constitution est aujourd’hui perçue comme une entité éloignée des préoccupations du peuple et qu’il s’agit d’un texte de loi qui n’influe pas sur son quotidien. Il existe aussi un autre élément qui participe à ternir l’image de la Constitution tunisienne, à savoir les conditions de sa conception. Même s’il s’agit d’un raccourci, les Tunisiens se rappellent de l’ANC, de ses membres et du niveau du débat à l’époque. On se souvient tous de Brahim Gassas, par exemple, avec ses interventions enflammées, ses demandes farfelues et le fait qu’il ait essayé de recourir à la force à certains moments. On se souvient également de Sonia Ben Toumia et de ses discours mémorables. Par conséquent, l’image de la Constitution reste viscéralement attachée à celle de ceux qui l’ont faite. Heureusement, ils ne sont pas tous du niveau de Gassas et de Ben Toumia.

 

Faire correspondre les lois appliquées en Tunisie à la constitution est un travail de longue haleine. Il faudra modifier ou abroger toutes les lois qui sont anticonstitutionnelles et en établir de nouvelles en conformité avec le texte voté en janvier 2014. Il s’agit d’un travail qui doit être fait par le gouvernement qui ne semble pas vouloir se presser de le faire. En attendant, il existe un réel décalage entre les principes constitutionnels tellement acclamés par les politiciens, et ce que vit le citoyen chaque jour quand il est aux prises avec la loi tunisienne.

 

L’existence de ce décalage risque de creuser un fossé entre le citoyen et la constitution de son pays, comme ce fût le cas sous Ben Ali quand il y a eu les modifications de la constitution de 1956. Ce décalage pourrait, à la longue, se transformer en un fossé qui renforcerait la croyance que les libertés et les droits stipulés par la Constitution ne sont que de l’encre sur du papier et par conséquent, affaiblir leur défense. Il existe un réel besoin de culture constitutionnelle en Tunisie. Cette culture n’a pas de réels relais dans notre pays hormis les constitutionnalistes de Tunisie qui font de leur mieux pour en faire connaitre les principes. Toutefois, tant que le gouvernement restera aussi laxiste sur ce sujet et tant que la pratique des autorités ne sera pas fondamentalement inspirée des textes de la Constitution, cette culture ne pourra être diffusée.

 

Marouen Achouri     

27/01/2016 | 19:59
4 min
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Commentaires (13)

Commenter

dadykam
| 30-01-2016 01:24
Le plus simplement du monde, c'est une "constitution" mort-née.....en attendant celle à venir : la "constitution charaique", et qui sera, comme d'ab, applaudit par le peuple dans sa totalité, par retournement de veste, interposé......J'ai honte d'être tunisien, j'ai plus honte, encore, d'être assimilé à un "musulman"...........hamadi khammar

Tunisienne
| 28-01-2016 15:51
L'Article 1er est l'étau et le piège. Étau parce qu'il nous "domestique" et nous "formate", restreint notre façon de penser, de "lire" et de voir le monde et nous cantonne dans un registre identitaire uniforme en hypothéquant nos libertés de choix. Piège parce que l'Etat (et sournoisement derrière lui, les partis) "garant de la religion" s'immisce dans nos vies privées et nos libertés individuelles, ramène le fait religieux sur la place publique, édicte donc LA façon de pratiquer son culte, pose le postulat implicite que LA religion -et non les religions- a besoin d'être protégée...
D'un autre côté, l'Article 1er est resté en substance le même. C'est avec et sous cet article que la Tunisie moderniste a fonctionné depuis l'Indépendance et ça ne semblait pas poser de problèmes. Ce qui signifie qu'en l'etat, les politiques et les gouvernants pourront instrumentaliser à souhait cet article, au gré de leurs idéologies. Mais ça peut aussi et surtout vouloir dire que la Constitution ne devient le refuge et le dernier recours que lorsqu'il existe une crise identitaire profonde et lorsque la société est fracturée. Or, la Constitution censée traduire "le minimum sur lequel le peuple peut être d'accord" (du moins dans notre contexte) ne fait pas sens même dans ce minimum. Ça laisse donc à penser que les solutions aux maux de la société sont ailleurs et que la rédaction de la nouvelle Constitution n'aura été qu'un énorme gaspillage...
A bientôt Slaheddiine!

The Mirror
| 28-01-2016 13:37
Rached Ghanouchi doit être jugé dans l'immédiat, pour les trois crimes majeurs suivants :
' Rached Ghanouchi a refusé le projet de Loi de Protection de la Révolution,
' Rached Ghanouchi a refusé le projet de Loi de la Justice Transitionnelle,
' Rached Ghanouchi a réhabilité l'ancien régime

Remarque : je peux rajouter à l'occasion, un quatrième crime à Rached Ghanouchi : Ghanouchi a ordonné à son troupeau de députés à l'ANC, de fabriquer une Constitution qui autorise les étrangers (binationaux, le charlatan Hechmi Hamdi en l'occurrence), à se présenter aux présidentielles.

stouramed
| 28-01-2016 13:15
La constitution est inapplicable, vu qu'elle est le reflet du romantisme enfantin et infantile de ses artisans et des groupes de pression volontaristes et intellectualistes... Le système créé par la constitution est pseudo parlementaire qui laisse l'hémicycle comme une arène de bêtes sauvages dans un pays dont l'état d'esprit tend beaucoup plus vers le régime présidentiel immunisé de garde fous constitutionnels simples. Elle prévoit des institutions nombreuses qui favorisent une rente stables aux gens ayant une carte de combattant contre la Tunisie. Elle une comptine d'enfants

Slaheddiine
| 28-01-2016 13:14


@Tunisienne


Aux arguments massus que vous avez exprimés, j'ajouterai que la Constitution en son article premier emmaillotte tout citoyen dans le moule de fonte au nom duquel on ne doit pas sortir de l'Islam religion d'Etat et de l'arabe langue officielle unique du pays.
Quand on inscrit dans le marbre notre soumission à une religion et à une langue, on réduit singulièrement notre espace de vision, notre liberté de pensée, notre passion à construire une société civile libre aux permissions que voudront bien nous accorder les imams et les muftis de la République. Le titre même de mufti de la République est une hérésie dans une République libre et souveraine.
Il en découle chère Tunisienne que, de cet article premier, des monstres qui vous dictent et me dictent ce qu'il faut penser et en quel domaine quoi penser. Rappelez-vous ce que doctement annonait le prédicateur Bechir Ben Hassen à propos des femmes démocrates et de quelle manière il les ramenait à la cage aux poules comme un menu fretin qui doit rester dans la basse-cour qu'il veut bien leur attribuer. Ce monsieur est devenu un seigneur qui décrète au nom de l'islam dont il se autoproclame et que la constitution protège puisque, on ne peut amender l'article premier au nom duquel notre soumission à l'islam est une obligation juridique. Dans sa grande générosité ce prédicateur n'a pas encore exigé que toute activité économique doit s'arrêter durant les cinq prières obligatoires, que l'on soit pilote de ligne à sept milles mètres d'altitude ou chirurgien d'urgence, lorsque sonne l'heure de la prière, prière de laisser tout tomber et de se prosterner vers la Mecque pour clamer notre attachement à la religion !

Là je n'ai fait qu'effleurer l'océan de sottises dans lequel nous nous sommes engouffrés, il en est d'autres d'océans de l'Education, du Civisme, de la bonne gestion des affaires publiques et j'en passe et des meilleures sur ce que objectivement nous ratons aux olympiades de l'intelligence et de la modernité.

Je vous souhaite une agréable journée.

ABDOU
| 28-01-2016 12:24
Le menu est le meme dans la majorite des restaurants. Salades, viandes, poissons, poulets, pates sauces Couscous, steak, fruits de saison etc ... vous commandez ce que vous voulez. Pour la suite la qualite n'est en rien garantie. Avec la constitution, c'est la meme chose. Elle a beau etre la meilleure" du monde

DHEJ
| 28-01-2016 10:48
Alors je reformule mon idée autrement.

Toutes les occasions pour propager l'ignorance en rappelant l'article 230 sur la sodomie.


Comme quoi la Tunisie n'a pas su résorber le chomage faute d'encourager les insertifs et les réceptifs!


Or l'article 230 du code pénal reste CONSTITUTIONNEL PAR EXCELLENCE.


Pour cette S. Klibi, elle doit bien relire la constitution de 59 pour apprécier les constituants et Bourguiba.


Ils savaient qu'ils écrivaient une constitution qu'il fut greffer aux lois et ils avaient bien trouvé l'astuce à l'opposé des clowns qui ont écrit celle de 2014. Des clowns comme les pseudos spécialistes du droit constitutionnel.

Tunisienne
| 28-01-2016 08:33
- Parce qu'une bonne partie des lois qui régissent le quotidien sont en totale contradiction avec les préceptes de la Constitution;
- Parce que cette Constitution a quelque chose de surfait, d'irréel et d'irréaliste car elle retrace les contradictions et la dualité de notre société ainsi que les petits calculs politiques des "Représentants du Peuple";
- Et parce qu'"on ne change pas une société par décret".

Crow
| 28-01-2016 08:20
Malheureusement la nouvelle constitution, comme celle de 59, n'a pas écarté la religion de la sphère politique comme l'a fait la Turquie depuis 1924. Toutes les lois soit disant civiles pouront être remises en cause par la cour constitutionnelle si jamais elle serait composée de juges barbus (Ennahdha y veille rassurez-vous). Et bien sûr toutes les futurs projets de lois concernant l'égalité de l'héritage et les droits des minorités tomberont à l'eau..

Gardien
| 28-01-2016 00:42
Qu'est-ce qu'on attend si cette constitution n'est pas valoriser par le président?
Il connaît bien sûr la date, et est malgré tout sur une "Visite" aux autres pays!
Il faut haut temps de faire de la Tunisie un état dont les lois sont conformes de la constitution mais encore plus important conforme des droits de l'homme.
On a toujours l'impression que les membres du Gouvernement passent leurs temps en se laisser photographier et de donner des interviews vides au TV et Radio !
Mais où on ne les trouve pas,c'est au L'ARP !!!
Ils prennent l'argent, mais ne travaillent pas.
Il y a quelques moins exceptions de la règle!