Tunisie, France : même combat contre le terrorisme!
Le monde a connu une fin de semaine sanglante. Le terrorisme, incarné par l’Etat Islamique, a frappé à plusieurs endroits, dont Beyrouth et Paris, faisant plusieurs centaines de morts. La Tunisie était également visée par des attentats à la même date du vendredi 13 novembre 2015. La vigilance de nos forces de l’ordre a permis de les déjouer mais il est impossible d’échapper à ce constat glaçant : le terrorisme frappe n’importe où et n’importe quand.
Les attentats de Paris ont provoqué l’effroi et la consternation dans le monde entier. De par leur ampleur, leurs cibles et leurs répercussions, ces attentats prennent une dimension exceptionnelle. Certains les ont même décrits comme étant le « 11-Septembre » de la France. Toutefois, il faut rappeler que la veille, un attentat kamikaze a secoué le quartier chiite de Beyrtouh. Quelques jours auparavant, un avion russe s’est craché dans le Sinaï égyptien suite, vraisemblablement, à un attentat. Le point commun entre ces différents actes meurtriers : leur commanditaire : Daech.
Le terrorisme s’est exprimé dans sa version la plus globale en prenant pour cibles différents pays qui sont, pour certains, géographiquement éloignés de la scène de prédilection des terroristes de Daech. Toutefois, tous les pays ciblés représentent, chacun à sa manière, des modèles sociaux totalement contraires à l’idéologie islamiste. C’est en cela que ces pays représentent des cibles privilégiées.
Il est également important de comprendre la stratégie de Daech derrière ces attentats et derrière les pays qu’il vise. En frappant la France, par exemple, les terroristes visent dans un premier temps le pays qui participe à la guerre contre le terrorisme en exécutant des frappes sur le sol syrien. C’était également le cas pour l’attentat contre l’avion russe en Egypte. Dans un second temps, Daech frappe le modèle social d’une France « mécréante ». C’est la même logique qui fait aussi de la Tunisie une cible pour les fanatiques religieux car la naissance, certes pénible, d’une démocratie en Afrique du Nord n’est pas dans leur intérêt. Il ne faut pas qu’un modèle qui n’est pas bâti sur une base religieuse réussisse en terre d’Islam. Dans un troisième temps, ces attentats visent à accroitre la pression sur les musulmans de France et sur les fondamentalistes tunisiens pour le cas de la Tunisie.
En France, ce type d’attentats nourrit les discours xénophobes et islamophobes. C’est ainsi qu’on va rendre responsable la minorité musulmane mais également les étrangers, les migrants, les réfugiés etc. Ceci augmentera donc la frustration des personnes visées et préparera ainsi le terreau favorable au recrutement de futurs jihadistes parmi les jeunes Français qui n’arrivent pas à trouver du travail à cause de leurs noms ou qui ne se sentent intégrés qu’à la mosquée du coin. D’ailleurs, comme le dit l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Dominique De Villepin, les frappes aériennes et ce qu’on appelle communément « la guerre contre le terrorisme » apportent de l’eau au moulin des terroristes sans pour autant avoir une efficacité opérationnelle convaincante. Il est fort à parier que les frappes exécutées en représailles des attentats de Paris iront dans cette colonne.
Pour la Tunisie, la même logique reste de mise même s’il existe certaines subtilités. A la suite d’actes terroristes, notamment ceux du Bardo et de Sousse, les unités sécuritaires redoublent d’efforts et procèdent à plusieurs arrestations. Elles resserrent également l’étau sur les éléments terroristes retranchés dans les sommets de l’ouest. L’aile propagandiste des éléments terroristes profite de ces actions sécuritaires pour proclamer que l’Islam est en danger et qu’il y a une guerre contre la religion. Cet argumentaire sert également à appâter des jeunes perdus qui souhaitent donner un sens à leurs vies.
Mais que faudrait-il donc faire ? L’une des premières recommandations des experts en terrorisme est la concertation des efforts. Comme l’on fait face à une menace globale, la réponse doit, elle aussi, être globale. La concertation des efforts entre les différents pays confrontés à ces menaces est une condition sine qua non pour réussir à endiguer le terrorisme. Au niveau militaire et sécuritaire, il existe un embryon de coordination qui existe entre les forces tunisiennes et algériennes dans le combat contre le terrorisme. Au niveau de la lutte contre l’Etat Islamique, le New York Times résume la pensée en écrivant : « L’Etat Islamique doit être détruit, mais cela demande de la patience, de la détermination et la coordination des stratégies et des objectifs qui manquent cruellement aux pays impliqués dans la guerre à l’EI, particulièrement les Etats-Unis et la Russie ».
Le juge antiterroriste français, Marc Trévidic, apporte un précieux éclairage sur cette question de riposte dans son intervention sur France 2 le 15 novembre 2015. En parlant de l’Etat Islamique, l’ancien juge déclare : « Ils ont une capacité de projection qui est importante et qui est logique parce que pendant trois ans on les a laissés grossir et devenir hyper puissants ». M. Trévidic a mis en relief l’absence d’action concertée contre cette organisation qui est arrivée à un tel degré de puissance qu’elle s’exporte. Il a illustré cela par les exemples du GIA algérien dans les années 90 et Al Qaïda dans les années 2000 qui ont prospéré un certain temps avant de passer à l’action internationale.
Concernant les moyens nécessaires pour se battre contre le fléau terroriste, l’ancien patron du pôle antiterroriste français déclare qu’il n’y a pas que la surveillance et la sécurité mais qu’il faut voir le problème sur 10 ans. Il a précisé que certaines mesures commencent à voir le jour à cause de l’ampleur de l’Etat Islamique mais que pendant 10 ans, rien n’a été fait pour traiter les causes du terrorisme et qu’il est primordial d’axer la lutte contre le terrorisme sur cet aspect là. « On ne faisait rien en maison d’arrêt, on ne faisait rien dehors, on ne faisait rien pour empêcher les sites internet de venir dans tous les foyers pour qu’un gamin de douze ans puisse regarder des vidéos jihadistes » a-t-il ajouté.
L’ancien juge va plus loin en déclarant : « C’est l’ambigüité des sociétés modernes, on est copains avec des gens qui ont des idéologies très proches […] Le wahhabisme a diffusé cette idéologie sur la planète depuis le conflit en Afghanistan (1979). Est-ce qu’on est copains avec eux parce que c’est un partenaire économique ? La politique américaine, vous savez ce que c’est ? C’est : on adore les fondamentalistes religieux s’ils sont libéraux économiquement ! ». Il enfonce le clou en mettant en exergue cette ambivalence entre le fait de commercer librement avec des pays qui financent et soutiennent le terrorisme tout en condamnant les actes et en étant ses victimes.
A travers l’analyse présentée par Marc Trévidic, il est aisé de voir à quel point les problématiques qui se posent devant le terrorisme se ressemblent de pays en pays. En Tunisie aussi, nous voyons cette ambigüité évoquée par l’ancien juge français puisque nos dirigeants serrent également les mains de ceux qui financent le terrorisme. Nous avons également le problème des soutiens intellectuels et idéologiques du terrorisme qui se promènent librement dans notre pays. Ceci est bien la preuve que, du moins dans notre pays, la lutte multidimensionnelle contre le terrorisme n’a pas encore débuté et on se contente d’un traitement purement sécuritaire du problème. Tant que l’on restera dans cette perspective, la menace terroriste planera toujours sur notre pays.
Marouen Achouri
Crédit photo: M. Hayoun