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Violences physiques, morales, économiques ou sexuelles, ces Tunisiennes victimes de leur genre

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La lutte contre les violences faites aux femmes est une préoccupation majeure partout dans le monde. Plusieurs pays enregistrent ces derniers temps une augmentation des cas de violences à l’égard des femmes et la Tunisie n’en déroge pas. En dépit d’une législation considérée comme «avant-gardiste » dans le monde arabe, cette violation fondamentale des droits de la femme persiste. Avec la recrudescence des idéologies islamistes rampantes dans la société tunisienne, les violences à l’égard des femmes sont de plus en plus accrues. Pour certaines de ces idéologies, la femme est considérée comme un être de second ordre, un corps, un objet qui doit se soumettre, de part les interprétations faites des préceptes religieux mais aussi le poids des traditions et d’une mentalité sexiste, à la domination masculine.
Le 13 août 2014, l’Assemblée nationale constituante devra se pencher sur le projet de loi de lutte contre les violences faites aux femmes. L’annonce a été faite par la secrétaire d’Etat aux affaires de la Femme et de la Famille, Neila Chaâbane. Elle a affirmé que cette loi traduit l’esprit de l’article 46 de la Constitution qui stipule que l’Etat doit prendre les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme. Il était temps ! L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), avait en effet lancé une campagne début 2014, pour la promulgation d’une loi contre les violences faites aux femmes. Le but étant d’inciter l’Etat à mettre fin à l’impunité dont profitent les agresseurs et à définir les espaces privés et publics où s’exerce la violence de même que l’adoption de mesures préventives.
La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies atteste que « les termes : violence à l’égard des femmes, désignent tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».
En Tunisie plusieurs rapports ont d’ailleurs pointé du doigt l’ampleur d’un tel phénomène. En témoigne l’enquête de l’Office National de la Famille et de la Population (ONFP), publiée en 2012. D’après cette étude, une femme sur deux environ déclare avoir subit des violences au cours de sa vie : 47,1% en milieu urbain et 48,7% en milieu rural. Les femmes instruites sont moins touchées, toutefois le taux reste élevé : 49,5% de victimes parmi les analphabètes, contre 41,66% de victimes ayant fait des études supérieures. D’un autre coté, il s’avère que les premiers auteurs de violences sont les conjoints, responsables dans 47,2% des cas de violences physiques, 68,5% des violences psychologiques, 78,2% des violences sexuelles et 77,9% des violences économiques.
M.L. jeune entrepreneure a confié à Business News: « Je n’ose pas en parler parce que je sais que mes proches vont me dire : ce n’est pas si grave, ce n’est pas comme s'il te battait. J’ai un problème avec mon mari, il contrôle tout, il m’a mise sous sa botte. Ayant ma petite entreprise, je gagne ma vie mieux que mon époux. Au début, cela ne lui posait pas de problème, mais avec le temps cela a changé. Maintenant, il confisque tous mes gains. Je suis un homme me dit-il c’est à moi de gérer les finances du ménage. Il a fait montre de violence verbale et psychologique pour que je cède finalement et que je lui confie mes comptes en banque ». La violence économique prend en effet des formes multiples en Tunisie, certaines femme se verront interdites de travailler et d’autres verront leurs salaires confisqués. Les violences physiques et psychologiques sont largement répandues envers la femme au sein du couple, ayant pour conséquence, dans les cas extrêmes, le meurtre ou le suicide, en attestent les colonnes des faits divers.
D’un autre coté, le rapport de l’ONFP confirme que le deuxième auteur des violences à l’égard des femmes est la famille avec 43% des cas de violences physiques, 22,1% des violences économiques et 16,7% des violences psychologiques. Une jeune élève d’un lycée situé en banlieue de Tunis, a daigné nous accorder son témoignage : « les violences concrètes à mon encontre au sein de la famille, ont commencé à la puberté. J’ai un frère ainé et en sa qualité de mâle il a exercé petit à petit des pressions contre ma personne. Cela a débuté avec des interdictions de porter certains vêtements, pour me préserver disait-il des prédateurs. Etant adolescente, j’avais un groupe d’amis avec lesquels je voulais sortir, mais mon frère a opposé son veto : pas de sorties jusqu’au jour où tu seras confiée à ton mari, à ce moment là tu pourras sortir autant que tu le veuille, maintenant mon devoir est de te préserver, me disait-il. En réaction, j’ai commencé à sortir en cachette et un jour il s’en est rendu compte, et c’est là que ça a dégénéré. Il me battait à tout bout de champ et me séquestrait à la maison, il m’accompagnait au collège et m’attendait à la sortie. Le problème c’est quand je demandais à ma mère de s’interposer, elle me disait c’est ton grand frère, il est entrain de t’éduquer ! ». Des cas pareils sont monnaie courante en Tunisie et semblent passer inaperçus vu la mentalité rétrograde et répandue selon laquelle l’homme, en sa qualité de mâle, doit immanquablement imposer sa domination au « sexe faible ». Le cas des filles dont les familles « vendent » comme femmes de ménage tout en empochant les salaires à leur place est aussi répandu en Tunisie, flagrante violence économique qui reste à nos jours tue. Un autre sujet tabou, l’inceste pratiqué par des membres de la famille, qu’ils soient le père, l’oncle, le cousin ou le frère. Les témoignages manquent du fait de la charge de honte qui enferme généralement les victimes dans le silence et ont des répercussions psychologiques indélébiles sur les victimes.
En dehors de la sphère familiale, les femmes subissent également des violences. A la rue ou au travail, l’espace public est un environnement où l’ONFP a enregistré d’importantes violences sexuelles avec 21,3% des cas de violences subies par les femmes en dehors de chez elles.
R.S. ex employée dans une entreprise privée, nous relate son expérience : « Avec mon diplôme en poche, j’étais consciente qu’il serait difficile de trouver rapidement un job. Mais quelle n’était ma joie, quand j’ai été recrutée dans une petite société prometteuse. J’ai vite déchanté. Dès mon intégration, mon supérieur hiérarchique m’a fait des avances. Cela a commencé avec des insinuations et a aboutit à une agression sur les lieux de travail. Je vous épargne les détails, parce que jusqu’à ce jour j’en ressens de la honte et je culpabilise de ne pas avoir pu me défendre. J’ai dû démissionner après cet incident sans porter plainte à cause de la peur du déshonneur et des menaces proférées par mon supérieur ». Les femmes sont sujettes en dehors du cercle familial et conjugal à 14,8% de violences psychologiques et 9,8% de violences physiques. Trouvez une seule fille tunisienne qui n’ait pas été victime d’agression verbale ou physique dans la rue ou les transports publics, vous nous en direz tant !
Le droit de vivre à l’abri de la violence est un droit humain fondamental. Après l’adoption dans la nouvelle Constitution de l’article 46 et la levée des réserves sur la CEDAW, les autorités tunisiennes sont tenues de se conformer à ses dispositions et œuvrer à leur concrétisation dans la pratique. Les discriminations et les violences basées sur le genre en Tunisie sont légion qu’il serait d’autant plus nécessaire d’œuvrer à changer les attitudes et les pratiques ancrées dans la société.
Le 13 août 2014, l’Assemblée nationale constituante devra se pencher sur le projet de loi de lutte contre les violences faites aux femmes. L’annonce a été faite par la secrétaire d’Etat aux affaires de la Femme et de la Famille, Neila Chaâbane. Elle a affirmé que cette loi traduit l’esprit de l’article 46 de la Constitution qui stipule que l’Etat doit prendre les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme. Il était temps ! L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), avait en effet lancé une campagne début 2014, pour la promulgation d’une loi contre les violences faites aux femmes. Le but étant d’inciter l’Etat à mettre fin à l’impunité dont profitent les agresseurs et à définir les espaces privés et publics où s’exerce la violence de même que l’adoption de mesures préventives.
La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies atteste que « les termes : violence à l’égard des femmes, désignent tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».
En Tunisie plusieurs rapports ont d’ailleurs pointé du doigt l’ampleur d’un tel phénomène. En témoigne l’enquête de l’Office National de la Famille et de la Population (ONFP), publiée en 2012. D’après cette étude, une femme sur deux environ déclare avoir subit des violences au cours de sa vie : 47,1% en milieu urbain et 48,7% en milieu rural. Les femmes instruites sont moins touchées, toutefois le taux reste élevé : 49,5% de victimes parmi les analphabètes, contre 41,66% de victimes ayant fait des études supérieures. D’un autre coté, il s’avère que les premiers auteurs de violences sont les conjoints, responsables dans 47,2% des cas de violences physiques, 68,5% des violences psychologiques, 78,2% des violences sexuelles et 77,9% des violences économiques.
M.L. jeune entrepreneure a confié à Business News: « Je n’ose pas en parler parce que je sais que mes proches vont me dire : ce n’est pas si grave, ce n’est pas comme s'il te battait. J’ai un problème avec mon mari, il contrôle tout, il m’a mise sous sa botte. Ayant ma petite entreprise, je gagne ma vie mieux que mon époux. Au début, cela ne lui posait pas de problème, mais avec le temps cela a changé. Maintenant, il confisque tous mes gains. Je suis un homme me dit-il c’est à moi de gérer les finances du ménage. Il a fait montre de violence verbale et psychologique pour que je cède finalement et que je lui confie mes comptes en banque ». La violence économique prend en effet des formes multiples en Tunisie, certaines femme se verront interdites de travailler et d’autres verront leurs salaires confisqués. Les violences physiques et psychologiques sont largement répandues envers la femme au sein du couple, ayant pour conséquence, dans les cas extrêmes, le meurtre ou le suicide, en attestent les colonnes des faits divers.
D’un autre coté, le rapport de l’ONFP confirme que le deuxième auteur des violences à l’égard des femmes est la famille avec 43% des cas de violences physiques, 22,1% des violences économiques et 16,7% des violences psychologiques. Une jeune élève d’un lycée situé en banlieue de Tunis, a daigné nous accorder son témoignage : « les violences concrètes à mon encontre au sein de la famille, ont commencé à la puberté. J’ai un frère ainé et en sa qualité de mâle il a exercé petit à petit des pressions contre ma personne. Cela a débuté avec des interdictions de porter certains vêtements, pour me préserver disait-il des prédateurs. Etant adolescente, j’avais un groupe d’amis avec lesquels je voulais sortir, mais mon frère a opposé son veto : pas de sorties jusqu’au jour où tu seras confiée à ton mari, à ce moment là tu pourras sortir autant que tu le veuille, maintenant mon devoir est de te préserver, me disait-il. En réaction, j’ai commencé à sortir en cachette et un jour il s’en est rendu compte, et c’est là que ça a dégénéré. Il me battait à tout bout de champ et me séquestrait à la maison, il m’accompagnait au collège et m’attendait à la sortie. Le problème c’est quand je demandais à ma mère de s’interposer, elle me disait c’est ton grand frère, il est entrain de t’éduquer ! ». Des cas pareils sont monnaie courante en Tunisie et semblent passer inaperçus vu la mentalité rétrograde et répandue selon laquelle l’homme, en sa qualité de mâle, doit immanquablement imposer sa domination au « sexe faible ». Le cas des filles dont les familles « vendent » comme femmes de ménage tout en empochant les salaires à leur place est aussi répandu en Tunisie, flagrante violence économique qui reste à nos jours tue. Un autre sujet tabou, l’inceste pratiqué par des membres de la famille, qu’ils soient le père, l’oncle, le cousin ou le frère. Les témoignages manquent du fait de la charge de honte qui enferme généralement les victimes dans le silence et ont des répercussions psychologiques indélébiles sur les victimes.
En dehors de la sphère familiale, les femmes subissent également des violences. A la rue ou au travail, l’espace public est un environnement où l’ONFP a enregistré d’importantes violences sexuelles avec 21,3% des cas de violences subies par les femmes en dehors de chez elles.
R.S. ex employée dans une entreprise privée, nous relate son expérience : « Avec mon diplôme en poche, j’étais consciente qu’il serait difficile de trouver rapidement un job. Mais quelle n’était ma joie, quand j’ai été recrutée dans une petite société prometteuse. J’ai vite déchanté. Dès mon intégration, mon supérieur hiérarchique m’a fait des avances. Cela a commencé avec des insinuations et a aboutit à une agression sur les lieux de travail. Je vous épargne les détails, parce que jusqu’à ce jour j’en ressens de la honte et je culpabilise de ne pas avoir pu me défendre. J’ai dû démissionner après cet incident sans porter plainte à cause de la peur du déshonneur et des menaces proférées par mon supérieur ». Les femmes sont sujettes en dehors du cercle familial et conjugal à 14,8% de violences psychologiques et 9,8% de violences physiques. Trouvez une seule fille tunisienne qui n’ait pas été victime d’agression verbale ou physique dans la rue ou les transports publics, vous nous en direz tant !
Le droit de vivre à l’abri de la violence est un droit humain fondamental. Après l’adoption dans la nouvelle Constitution de l’article 46 et la levée des réserves sur la CEDAW, les autorités tunisiennes sont tenues de se conformer à ses dispositions et œuvrer à leur concrétisation dans la pratique. Les discriminations et les violences basées sur le genre en Tunisie sont légion qu’il serait d’autant plus nécessaire d’œuvrer à changer les attitudes et les pratiques ancrées dans la société.
Ikhlas Latif
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