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Chedly Ayari : « Faites-moi une bonne politique, je vous ferai de bonnes finances »

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Depuis les péripéties « spectaculaires » de sa nomination au poste de gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) le 24 juillet 2012 et son passage tumultueux devant une Assemblée nationale constituante (ANC) en partie déchaînée contre lui, Chedly Ayari a fait un bon bout de chemin. Une quarantaine de jours après, retour sur des débuts… prometteurs.
Succédant à Mustapha Kamel Nabli, Chedly Ayari s’est mis beaucoup de monde sur le dos. En dehors de la troïka, notamment Ennahdha, les constituants l’avaient presque lynché.
Les causes divergent. Entre-autres, le conflit troïka-opposition lui a, certainement, valu ce mauvais quarte d’heure.
Mais aussi pour avoir été un membre à la Chambre des Conseillers et donc une « présumée » collaboration avec l’ancien régime. Chose dont il se défend, arborant, à cet effet, sa casquette d’intellectuel.
Néanmoins, c’est surtout, la manière par laquelle a été limogé Nabli et les coups-bas dont il a fait l’objet qui ont suscité cette « animosité » contre Ayari.
Son âge, 79 ans à la prise des fonctions, a été mis sur le devant de la scène. Cependant, c’est bel et bien la raison, la mesure et l’expérience de cet économiste et politicien chevronné qui, jusqu’à maintenait, jouent en sa faveur.
Ainsi, après s’être expliqué à travers les radios sur cette « supposée » appartenance au régime de Ben Ali, Ayari se concentra sur les dossiers à la BCT. Et au volet des priorités, la liste s’allongeait au quotidien. Nous y reviendrons.
Cependant, c’est au niveau des relations qu’il entretiendrait avec le gouvernement que les observateurs l’attendaient au tournant. Il fallait soutenir l’indépendance de la BCT. Nabli en a été un farouche défenseur, ce qui lui a valu des émules.
Sur ce point, Ayari a su prévaloir son sens de discernement : il a privilégié le rapprochement avec le gouvernement et ce, «pour l’intérêt de l’Etat», mais tout en étant « intransigeant sur l’indépendance de la BCT », souligne un proche collaborateur.
L’accalmie entre la Kasbah et la Banque des banques est tangible. Les relations sont, désormais, plus que cordiales et M. Ayari s’avère d’un précieux conseil pour Jebali et son équipe, qui manque cruellement d’expérience et de tact en matière de finances. L’objectif étant de redresser une économie fragile. Les résultats ne sont pas là, mais il est encore très tôt pour émettre un jugement.
Ainsi, au-delà des promesses, M. Ayari a mis en application sa perception de l’indépendance de la BCT. Il a sa propre vision de cette notion et il compte l’appliquer.
D’ailleurs, dans une interview datant du 4 septembre 2012, il rappelait la fameuse maxime du Baron Louis, ministre des Finances de Louis XVIII : « Faites-moi une bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ».
Et ça résume tout. De la sorte, Ayari met tout un chacun devant ses responsabilités : il est gouverneur, mais pas faiseur de miracles économiques. Il contribuera de par son poste et les prérogatives de l’Institut d’Emission dans le « redressement » de l’économie tunisienne. De son côté, le gouvernement doit faire sa part du boulot.
La lutte contre l’inflation en est l’exemple concret. Outre les manivelles de la politique monétaire dont dispose la BCT, si le gouvernement n’assume pas son rôle dans le contrôle de la contrebande, des exportations illégales, ne renforce pas la douane … les résultats ne seront qu’infimes.
D’ailleurs, en constatant la persistance des tensions inflationnistes à des niveaux élevés, le conseil d’administration a pris, le 29 août 2012, la décision d’augmenter le taux d’intérêt directeur de la BCT de 25 points de base pour le porter à 3,75%.
Les plus sceptiques ont vu en cet ajustement le dictat du gouvernement. Mais, selon des sources très bien informées à la BCT, cette décision a été prise solennellement par le Conseil d’administration de la Banque centrale sans consultation préalable du gouvernement. Ce dernier aura à rassurer les investisseurs et surtout à redoubler d’effort afin de restaurer la cofinance des investisseurs. Frileux par nature, les hommes d’affaires doivent redémarrer la machine de production ; jusque-là stoppée par crainte du spectre de l’insécurité politique et économique qui règne.
Aussi, pour appuyer cette thèse de l’indépendance, il n’y a pas mieux que la publication de la nomination du gouverneur au Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT n° 2329 en date du 31 août 2012) où il est stipulé que M. Ayari a été nommé « gouverneur de la Banque centrale de Tunisie », tandis que pour le cas de son prédécesseur, en plus de la traditionnelle formule «gouverneur de la Banque centrale de Tunisie », le JORT mentionnait « au rang de ministre ».
Petit détail, certes, mais à la portée importante : du moins dans le texte, ceci signe définitivement la distinction entre les deux fonctions.
Last but not least, le 7 aout 2012, la BCT se fond d’une mise-au-point qui a étonné plus d’un : en effet, le gouverneur rectifie les propos qui lui ont été attribués stipulant une «action commune avec le gouvernement dans la définition de la politique monétaire ». Ainsi, tout en insistant sur «l’indépendance de la BCT», il précise « qu’elle devrait s'accompagner d'une culture nouvelle basée sur l'action commune avec le gouvernement dans la définition d'une politique de développement participative». Voilà de quoi (re)mettre les pendules à l’heure.
Autre dossier brûlant, celui de la nomination d’un nouveau vice-gouverneur : Brahim Saâda, sujet à toutes les spéculations, a été remplacé par Mohamed Rekik.
Là, aussi, M. Ayari a brillé en privilégiant le consensus : les pourparlers avec le syndicat de base de la BCT n’ont pas été des plus simples. Mais, les résultats sont là : La nomination de Rekik a été plébiscitée. Le secteur bancaire est satisfait. Le personnel de la BCT l’a applaudie.
D’ailleurs, balayant d’un revers les rumeurs sur une soi-disant « nomination forcée » de son second, le gouverneur de la BCT a déclaré : «Rekik a été nommé sur ma proposition», ajoutant qu’ils travaillent « en parfaite harmonie».
Chedly Ayari a su, également, préserver l’Institut d’Emission. Même en annonçant la décision de soumettre la BCT à un audit externe dont l’objectif est d’évaluer le fonctionnement de l’institution et d’aider à l’élaboration d’une restructuration de la banque, il a inscrit cette démarche « dans la dynamique des réformes engagées actuellement », comprendre celles entamées par Nabli.
Là où on voyait une manœuvre pour fouiner dans le passage de Nabli en vue de lui trouver des casseroles, une sorte de chasse aux sorcières, Ayari a su calmer les ardeurs des uns et apaiser les appréhensions des autres. La BCT restera en dehors des tiraillements politiques.
L’audit, souligne le gouverneur dans un communiqué : « permettra à la BCT de faire face dans les meilleures conditions possibles aux exigences de développement économiques et sociales du pays dans le respect total de l’indépendance de l’Institut d’Emission ».
Ainsi, les débuts de Chedly Ayari à la tête de la BCT donnent à espérer une redynamisation du rôle de cette institution. Il faut dire que l’apaisement qui règne, désormais, autour de la Banque lui a, énormément, facilité la tâche.
D’ailleurs, l’optimisme est de mise, car Chedly Ayari a su baliser le terrain en faveur d’une entente avec le gouvernement et ce, tout en s’imposant sur ce qui lui revient de droit, à savoir la conduite de la politique monétaire.
En attendant de voir les résultats de ses choix dans ce domaine, mais aussi l’ouverture des, présumés, dossiers de corruption au-sein même de la BCT – comme n’a cessé de marteler son syndicat de base – Ayari jouit de la confiance et du respect des spécialistes des finances. Et même s’il est encore tôt pour en juger, force est de reconnaître qu’il s’agit d’indices prometteurs.
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