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« Ekbess » : Ennahdha juge et parti
06/09/2012 | 1
min
« Ekbess » : Ennahdha juge et parti
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La campagne « Ekbess » appelle à une nouvelle manifestation le vendredi 7 septembre 2012, devant le siège du gouvernement, à la symbolique place de la Kasbah.
Le rassemblement du 31 août dernier, prévu comme susceptible de rassembler un « million » de personnes, ayant été un flop total, n’aurait été qu’un tour de chauffe pour cette nouvelle manifestation. « Nous serons des dizaines de milliers le 7 septembre prochain pour un rassemblement historique, afin de remettre définitivement la Révolution sur les rails ». Une campagne initiée par la jeunesse du mouvement Ennahdha contre un pouvoir, en majorité nahdhaouie, est pour le moins déroutante. Ennahdha fabrique-t-il ses propres opposants ? Décryptage d’une campagne…


La campagne « Ekbess » a démarré sur les réseaux sociaux, un de ses nerfs de guerre, à l’heure où les revendications populaires se sont faites de plus belle et où les voix se sont élevées pour dénoncer un ras-le-bol général du gouvernement en place. De nombreuses pages Facebook partisanes du mouvement Ennahdha ont haussé le ton contre le gouvernement, en majorité nahdhaoui, lui demandant de « resserrer l’étau ».
Cette campagne, créée par la jeunesse du parti Ennahdha, serait, selon Mossâab Ben Ammar, son porte-parole, une réaction à « la mollesse du gouvernement » mais aussi « de l’opposition, qui a préféré se recentrer sur des considérations futiles en occultant l’essentiel ».

« Nous n’avons rien à voir avec l’opposition et nos revendications ne sont pas les mêmes », précise le porte-parole. « Notre campagne a pour objectif de mettre la pression sur le gouvernement, mais aussi les mécanismes de pouvoir (ANC), et non de revendiquer sa chute ».

« Nous croyons aujourd’hui que le gouvernement, légitime et élu démocratiquement, est capable de réaliser les objectifs de la Révolution ». Cette campagne ne serait donc qu’un tour de vis à un gouvernement, non contesté, mais qui tarde à réaliser les « revendications citoyennes ». « Ekbess », littéralement « serre / accélère », laissant comprendre que ce ne sont pas les décisions prises au sommet de l’Etat qui sont contestées mais la lenteur avec laquelle elles sont mises à exécution.

Les principales revendications de la campagne « Ekbess » tournent autours de l’exclusion des anciens RCDistes du pouvoir, de l’assainissement de l’ensemble des secteurs de l’Etat - médias en priorité - du jugement des corrompus et de l’accélération des procédures de la justice transitionnelle,  incluant entre autres, l’indemnisation des prisonniers politiques.

Les revendications parues sur les slogans de la première manifestation pro-gouvernementale du 31 août dernier, insistaient sur « la légitimité du gouvernement en place ». Gouvernement qui a été élu « par les mêmes personnes qui lèvent des slogans aujourd’hui et qui demandent la réalisation de leurs revendications ».
On pourrait aisément y voir une tentative de faire passer ces revendications pour les seules et uniques demandes « citoyennes » et « révolutionnaires » ainsi que les « véritables priorités du peuple ». Cette campagne « critique » n’a contesté aucune véritable décision gouvernementale, malgré le fait que les organisateurs expriment ouvertement ne pas être pleinement satisfaits des réalisations du gouvernement.

Fait curieux à relever ; la question du vide sécuritaire n’a pas été soulevée, certaines nominations partisanes et remettant au devant de la scène d’anciens cadres de l’ancien régime ont été passées sous silence. L’économie agonisante, également, fut absente des revendications, ainsi que l’emploi, le pouvoir d’achat et bien d’autres priorités.

Le jeune nahdhaoui, Mossâab Ben Ammar, est partisan du parti au pouvoir et ne s’en cache pas. « Nous sommes la jeunesse d’Ennahdha, nous avons créé cette campagne, mais elle est aujourd’hui ouverte à tous les citoyens, sauf aux ennemis de la Révolution ».

En créant « Ekbess », dans laquelle le parti islamiste est juge et parti, Ennahdha a eu la brillante idée de se tourner vers ses bases les plus jeunes afin de ne pas laisser ses concurrents progressistes, et autres « ennemis de la Révolution » s’accaparer la jeunesse révolutionnaire.
C’est en tout cas ce que sous-entend la couverture du journal El Fejr, organe de presse du parti Ennahdha, qui affirme dans sa Une du 16 août que ce sont « les jeunes révolutionnaires » qui ont lancé la campagne « Ekbess ». 

Cette campagne, ouvertement pro-gouvernementale, bénéficie de l’aval des hauts cadres du parti au pouvoir. Lotfi Zitoun a même troqué son costume de ministre contre celui de militant et s’est adonné à un discours galvanisant lors de la manifestation du 31 août, afin de « rassurer » les manifestants sur le fait que « le gouvernement prend les décisions qu’il faut et que tout ne tardera pas à être réalisé ».

Rached Ghannouchi, leader du parti, déclare même : « Nous n’appelons pas à cette manifestation ni à celle du 7 septembre, mais nous les soutenons ». Propos ambigus ? Schizophrénie au sein de la campagne ? Pas vraiment…

Les organisateurs de « Ekbess », ont démenti les informations rapportées par certains médias et faisant état d’une « campagne schizophrène». Dans un droit de réponse publié par le porte-parole de « Ekbess », ce dernier affirme : « Nous ne nous sommes pas trompés en signalant appartenir à la jeunesse du parti Ennahdha. L’action spontanée des jeunes d’Ennahdha a été à l’origine de cette mouvance visant à créer un effet de pression sur le gouvernement et tous les responsables de l’administration tunisienne afin qu’ils mettent en œuvre une procédure plus opérationnelle et efficace pour réaliser les objectifs de la Révolution ».

Selon la page officielle de la campagne, « Ekbess » serait même un mouvement « indépendant », veillant à la réalisation des « objectifs de la Révolution ».
Il s’agit donc de remettre au goût du jour les aspirations même au sein du parti et de les faire passer pour les « premières demandes citoyennes », d’une jeunesse clamant haut et fort son soutien au gouvernement dont « la légitimité n’est pas à contester ».

Ce n’est pas pour rien que Rached Ghannouchi, numéro 1 du parti islamiste, affirme, plein d’assurance : « Nous resterons au pouvoir aussi longtemps que le peuple le voudra ». Le leader du parti, pour lequel « la démocratie n’est pas incompatible avec un parti unique », reprend là les paroles de son gendre, et ministre des affaires étrangères, Rafik Abdessalem qui ne manque pas d’occasion pour préciser que « Le gouvernement actuel est le plus fort que la Tunisie ait connu et il se maintiendra au pouvoir des années durant ».

On l’aura bien compris « Il n’existe pas d’alternative à Ennahdha dans la scène politique actuelle ». Donc si un parti accapare pouvoir et opposition, c’est donc encore de la démocratie…

Même si cette campagne « critique », se défend de critiquer concrètement le gouvernement, elle fait, avant tout, état d’un constat d’échec du pouvoir actuel à mener à bien les objectifs « révolutionnaires ». Un échec qu’on ne cache plus et un ras-le-bol général qu’on tente de camoufler sous des revendications, présentées comme une impérieuse exigence populaire, par les partisans mêmes du pouvoir.

Une nouvelle tentative de manipulation orchestrée par le Mouvement Ennahdha lui-même afin de redorer l’image ternie du pouvoir et réaliser ses propres aspirations en faisant intervenir, sur commande, la volonté du « peuple ».

 La campagne « Ekbess » ne serait rien d’autre qu’un prélude à une nouvelle hostilité au pluralisme, décourageant les rangs de l’opposition, désormais cataloguée par les « jeunes nahdhaouis » comme faisant partie des « ennemis du peuple ». A moins que ce soit encore une énième opération de diversion pour occuper l’opinion publique par une action tapageuse et tape-à-l’œil qui fera détourner son attention des véritables priorités du peuple et de la Révolution...

06/09/2012 | 1
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