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Les révélations d'Amnesty International sur les faits et abus pendant la Révolution

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Le mouvement mondial Amnesty International a publié au lendemain de la chute du régime de Ben Ali, un rapport sur les violences commises par les services de sécurité tunisiens contre les manifestants durant la période allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011
En effet, entre le 14 et le 23 janvier 2011, les équipes d’Amnesty International ont enquêté auprès des citoyens tunisiens. Elles ont recueilli les témoignages dans tout le pays pour dresser un premier bilan des violences perpétrées par les divers corps de sûreté depuis le 17 décembre, date à laquelle le jeune Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu en signe de protestation.
Ainsi, au moment où la commission nationale d’établissement des faits sur les abus au cours des derniers événements ne parvient pas encore à établir des faits avérés et concrets et se trouve toujours au stade des investigations dans les régions touchées, Amnesty a pu, en l’espace de dix jours, mettre au point un rapport significatif qui dessine les grandes lignes et les différentes péripéties du mouvement de la Révolution et une estimation chiffrés des pertes en vies humaines dans les diverses régions.
En voici un extrait des conclusions de ce rapport.
Durant le processus ayant conduit à la chute du président Ben Ali, les forces de l’ordre ont multiplié les pratiques abusives à l’égard de la population. Le bilan officiel fait état de 78 morts, mais les ONG l’estiment plutôt à 219 victimes, dont 72 décédés en détention.
C’est à partir du 24 décembre que les premières victimes des violences, tués par des balles réelles, sont tombées à Menzel Bouzayen, petite ville de Sidi Bouzid. C’est ainsi que les manifestations se sont propagées aux villes de l’intérieur, comme Kasserine, Thala et Regueb, et aux zones côtières du nord au sud-est, notamment Bizerte, Hammamet, Nabeul et Sfax.
Ce qui aggravait davantage la situation c’est que les médias nationaux, pour la plupart strictement contrôlés par l’Etat, ne divulguaient aucune information sur les manifestations et répressions. Certains journalistes, dont Ammar Amroussia, ont été arrêtés pour avoir couvert les manifestations à Sidi Bouzid et appelé les gens à manifester. Des sites internet ont été bloqués, des médias censurés et des comptes de messagerie électronique fermés, des détentions abusives, des passages à tabac, des morts en détention dans des circonstances suspectes, les cas s’accumulent alors que la loi tunisienne proscrit expressément de tels actes.
Les heurts les plus sanglants se sont produits à l’intérieur du pays (Kasserine et Sidi Bouzid) entre les 8 et 10 janvier donnant lieu à 25 décès (14 à Kasserine, 6 à Thala et 5 à Regueb), qui viennent alourdir le bilan des violences commises par les forces de l’ordre.
Le discours de Zine El Abidine Ben Ali du 10 janvier, reconnaissant qu’il y avait eu des morts parmi les manifestants et s’engageant à améliorer la situation socioéconomique du pays n’a pas su calmer les révoltes. Les manifestations ont continué à travers le pays et la réponse des forces de sécurité n’a pas été moins violente les 12 et 13 janvier dans le Nord, notamment Tunis, Bizerte, Nabeul et alentours.
Le rapport retourne un peu en arrière pour déchiffrer l’origine de cette situation. En effet, les manifestations qui représentent le mécontentement et la colère des citoyens contre les autorités perçues comme corrompues et responsables de la pauvreté généralisée, n’étaient pas les premières du genre. A rappeler qu’en janvier 2008, les citoyens se sont déjà exprimés dans les rues de Gafsa contre les résultats d’une campagne de recrutement à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), principal employeur de la région.
Une vague de manifestations avait vu le jour suite à des accusations de fraudes lancées par des postulants, commençant à Redeyef et s’étendant de façon sporadique à d’autres villes pendant six mois. Une grande variété de personnes touchées par des problèmes économiques et sociaux se sont rassemblés. Malgré les engagements du gouvernement à améliorer le développement économique, la région a continué à souffrir d’un taux de chômage élevé. Beaucoup de personnes graciées par le président n’ont pas retrouvé leur emploi et ont été confrontées à un harcèlement policier persistant.
A cette frustration s’ajoute une impatience légitime, après des décennies de silence forcé et de maltraitance. Cette bombe à retardement s’est déclenchée suite à l’immolation du jeune homme Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans au moment des faits, et décédé le 4 janvier 2011. C’est cette tentative de suicide par immolation du vendeur ambulant en date du 17 décembre 2010 qui est, selon plusieurs scénarios, à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne évinçant l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir.
La propagation des manifestations à travers la Tunisie fin 2010, s’explique selon Amnesty International, par les disparités régionales dans les niveaux de pauvreté, d’emploi et de frustration. Et même si le développement économique et les efforts de lutte contre la pauvreté ont réussi à améliorer le niveau de vie de certains Tunisiens, mais les richesses n’étaient pas équitablement réparties. Les régions du nord et les zones côtières, ainsi que les destinations touristiques, en ont bénéficié, mais le sud du pays et les régions rurales sont encore plus marginalisés qu’avant. En ce qui concerne l’accès aux infrastructures et aux services sociaux de base, le centre, l’ouest et le sud du pays sont très en retard, ce qui se traduit par des taux d’illettrisme et de chômage plus élevés. Les habitants de ces régions ne disposent pas non plus d’un accès satisfaisant à l’eau potable, aux services d’évacuation des eaux usées et d’assainissement, à l’électricité, aux biens d’équipement ménager et à des logements convenables.
Aujourd’hui, sous l’ombre du nouveau gouvernement de transition, dirigé par M. Béji Caid Essebsi, on s’attend à ce que les autorités tunisiennes veillent à assurer l’indépendance, la transparence et l’impartialité de l’enquête menée sur les troubles qui ont frappé le pays, et que le rapport final de la commission qui s’en occupe soit rendu public dans les plus brefs délais.
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