Partout dans le monde, Noël est synonyme de fête, d'ambiance festive, mais aussi de chiffres. Cette période de l'année est attendue avec impatience par les commerçants et les propriétaires de commerces, qui cherchent à améliorer leur chiffre d'affaires, voire à enregistrer des ventes record.

Comme toute autre fête, Noël est une occasion de se faire plaisir et de faire plaisir aux autres. Les amis et les membres de la famille se rassemblent pour célébrer, indépendamment de l’aspect religieux. Il s'agit de l'une des fêtes les plus anciennes et les plus répandues au monde, même dans certains pays dits arabes et musulmans, à l'instar de la Tunisie, un pays comptant seulement environ 250 000 chrétiens.

Le fait est que célébrer Noël n'est pas une pratique récente. Certes, on assiste à une explosion des marchés de Noël dans certains espaces privés, mais il est à noter que les commerçants tunisiens avaient l'habitude de jouer le jeu et de s'impliquer pleinement dans la célébration. Durant les années 1980 et 1990, les boutiques de Lafayette, au centre-ville de Tunis, par exemple, n’hésitaient pas à troquer leur décoration classique pour les fameux rouges et blancs. Ceux qui s’en souviennent encore se rappellent cette période festive où l’on offrait des bottines de Père Noël en chocolat.

Les passants avaient la chance de s'enivrer pendant des centaines de mètres de vitrines lumineuses et colorées. On était dans un cadre joyeux et chaleureux, faisant oublier à certains les tracas du quotidien. Il suffisait de lever la tête pour voir les "Joyeux Noël" et "Bonne fête" inscrits en haut des vitrines, garnies de guirlandes et de coton faisant office de neige. Une scène à l’image d’une Tunisie paisible où l’on ne se demandait pas encore si la célébration de cette fête était proscrite par l’islam.

D’ailleurs, Noël est loin d’être une simple fête religieuse. Il y a avant tout l’aspect économique de cet événement. Noël est l’occasion pour un grand nombre de commerçants de sauver l’année. Décorer sa vitrine et sa boutique n’est pas uniquement une mesure esthétique. Cela vise à attirer des clients prêts à dépenser et à offrir des cadeaux, même en temps de crise. C’est ce qu’a confirmé l’enquête menée par Cofidis en France cette année. Selon le géant du crédit à la consommation, chaque Français dépense près de 500 euros durant cette fête.

La même source indique que ce budget témoigne d’une baisse de 52 euros par rapport à l’année précédente. Cofidis a expliqué que ce budget est réparti entre les cadeaux, qui représentent généralement la somme modique de 323 euros, le repas (132 euros) et les décorations (27 euros).

Quant à "WorldRemit", société de paiement et de transfert d’argent, elle affirme qu’en 2023, chaque ménage français a dépensé 1 142 dollars pour un revenu moyen de 52 686 dollars. Ainsi, les dépenses de Noël représentent un peu plus de 2 % du revenu de ce ménage. Au Royaume-Uni, on parle d’une enveloppe de 1 042 dollars par ménage pour un revenu moyen de 53 901 dollars, soit 1,93 % du revenu moyen. En Allemagne, les dépenses par foyer s’élèvent à 1 653 dollars pour un revenu moyen de 58 853 dollars, soit 2,8 %. À titre de comparaison, un ménage français dépense en vacances près de 1 763 dollars, selon OpinionWay pour Sofinco. Le budget de Noël représente ainsi plus de la moitié du budget vacances de chaque ménage.

Il est donc clair que l’ambiance générale de Noël tourne essentiellement autour du consommateur et de la stimulation des ventes. Certains commerçants, comme les magasins de jouets ou de produits électroniques, dépendent réellement de ce type de fête. Ils attendent avec impatience les clients souhaitant offrir des figurines, des Lego ou le dernier téléphone à leurs proches. Pourquoi ne pas alors célébrer cette fête ?

De plus, comme pour toute autre fête, Noël crée des emplois temporaires pour certaines catégories de main-d’œuvre, notamment les étudiants. Avec la hausse du nombre de clients, les magasins, les stands dans les marchés et les commerces du secteur de la restauration auront besoin de plus de personnel, d’ouvriers et de caissiers. En encourageant les Tunisiens à célébrer Noël et à dépenser, on fournit une expérience professionnelle et une source de revenus à ces derniers. Pourquoi ne pas alors célébrer cette fête ?

D’ailleurs, la consommation joue un rôle essentiel, selon John Maynard Keynes, dans la stimulation de l’économie et la croissance économique. Et dans le cadre de la célébration de Noël, il s'agit d’une demande intérieure qui stimulera la production nationale tunisienne. Noël pourrait même être l’occasion pour de nouveaux commerçants de se lancer et de gagner de la visibilité grâce à la hausse de la consommation. Pourquoi ne pas alors célébrer cette fête ?

À cette question, une seule réponse revient systématiquement : il s’agirait d’une fête exclusivement chrétienne et la célébrer serait interdit dans l’islam. Or, dans l’absolu, aucun verset coranique n’interdit clairement cette pratique ! Il s’agit simplement d’un autre argument sans fondement, souvent évoqué par les conservateurs. Quel est le but de la fête de Noël d’un point de vue religieux ? Célébrer la naissance du Christ. Or, croire en l’islam et en Dieu implique nécessairement de croire en tous ses prophètes, y compris Jésus ! Célébrer ce personnage ne devrait logiquement pas contrarier la volonté de Dieu.

Enfin, Noël est une fête qui ressemble beaucoup à l’Aïd el Sghir (Aïd al-Fitr). On se réunit en famille et entre amis pour partager des moments de bonheur et créer de nouveaux souvenirs joyeux chaque année, autour de repas, mais aussi de cadeaux et de "mahba" ("Eidiyah"). Après tout, offrir des cadeaux est un pur moment de plaisir et on ne devrait pas s’en priver pour faire plaisir aux réactionnaires !

Pour conclure, fêter Noël en Tunisie est, en plus d’être un acte de consommation bénéfique pour notre économie et nos commerçants, une véritable échappatoire à notre quotidien de plus en plus morose et stressant. Il s'agit d'une bouffée d’air frais permettant d'oublier pendant quelques moments les tracas de la vie auxquels les Tunisiens sont confrontés chaque jour. Noël est l’occasion de partager sa joie, que l’on soit commerçant entouré de clients ou individu lambda se retrouvant en famille. Noël, c’est une célébration du partage : des valeurs nous rappelant que ce qui compte vraiment, c’est d’être ensemble.

Sofiene Ghoubantini