alexametrics
mardi 19 mars 2024
Heure de Tunis : 12:30
Chroniques
Quoi qu'ils fassent, les islamistes d'Ennahdha n'inspirent pas confiance
23/05/2016 | 15:59
6 min

 

Le congrès d’Ennahdha s’est achevé avec un résultat qui ne surprend personne, Rached Ghannouchi a été réélu pour cinq ans à la tête du parti islamiste.

Pour la forme, et en apparence, le congrès s’est très bien déroulé. Tout observateur non avisé, notamment parmi les étrangers, dira que la démocratie au sein de ce parti est respectée et que le vote, par tablettes, n’a rien de suspect. Rares sont les partis où l’on peut se targuer d’une telle performance. Quand on pense aux conflits post-dépouillements dans les élections internes françaises entre Martine Aubry et Ségolène Royal (Congrès de Reims du PS, novembre 2008) ou entre Jean-François Copé et François Fillon (Congrès de l’UMP, novembre 2012), on se dit qu’Ennahdha devient un modèle démocratique même pour les démocraties dites avancées.

Ce discours sur la forme et l’apparence est parfait pour que les Nahdhaouis le servent à leurs amis et aux médias internationaux. De même, les Nahdhaouis peuvent dire et convaincre leurs amis étrangers et les médias internationaux qu’ils ont séparé l'activité prosélyte du travail politique.

A Tunis, cependant, on regarde les choses autrement. Le parti islamiste est observé avec beaucoup de méfiance et suspicion. « On ne nous la fait pas, nous ne sommes pas des pigeons », entend-on un peu partout à propos d’Ennahdha, de son congrès et de ses motions. En clair, quoiqu’ils fassent, quoiqu’ils disent, les islamistes d’Ennahdha n’arrivent pas à inspirer confiance auprès d’une population hostile à l’islamisation du pays et à leur mode de vie.

 

Dans son discours à l’ouverture du congrès, vendredi dernier, le président de la République Béji Caïd Essebsi figure parmi les premiers suspicieux. Si son message global est accueillant et positif, il n’en demeure pas moins que ses messages entre les lignes reflètent que la confiance ne règne toujours pas. « J’espère vraiment que vous réussissez, dans vos travaux, à insister à dire qu’Ennahdha est devenu un parti civil tunisien, en fond et en forme, loyal à la seule Tunisie et que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, a déclaré le chef de l’Etat aux congressistes. (…) On espère que vous prouverez tout cela à travers les motions et j’espère que vos travaux insistent sur le fait qu’Ennahdha tire ses spécificités du modèle sociétal tunisien et prenne en considération uniquement ce modèle socio-politique tunisien, sans aucun autre, lorsqu’elle décide de ses politiques ».

Béji Caïd Essebsi se présente avec des a priori positifs, mais il espère quand même des faits concrets et attend des preuves. Son scepticisme n’est pas né de rien et il n’est pas le seul à se méfier et à prendre cette distance de prudence.

Intervenant au lendemain du démarrage du congrès, la journaliste et militante de gauche Naziha Rjiba (alias Om Zied) tire une sorte de sonnette d’alarme : « le discours de Ghannouchi est un véritable hold-up de nos idées et de nos revendications pour lesquelles nous avons été combattus et traités de mécréants quand on les lui a opposés à l’époque de la troïka à un moment où il était grisé par le pouvoir. En novembre 1987, Ben Ali a usé du même stratagème. Pour remplir son discours mensonger, il a volé toutes les idées et tous les projets de l’élite nationale, qu’il combattait. La faute n’incombe ni à Ghannouchi, ni à Ben Ali, mais à cette élite qui s’arrête sur les slogans sans avoir les moyens de mettre en pratique ses idées et sans pouvoir les protéger du vol et de la manipulation ».

Même suspicion chez l’universitaire Neïla Sellini qui attire l’attention sur le jeu de mots d’Ennahdha : « la crédulité des gens me fait peur. Quand Ghannouchi dit séparer le religieux du politique, il n’a pas dit abandonner le religieux, il a dit séparer. C'est-à-dire qu’Ennahdha a aujourd’hui deux ailes, l’une pour s’occuper du politique et l’autre du religieux » L’universitaire compare les deux ailes d’Ennahdha aux deux tranches d’un sandwich entre lesquelles on place des ingrédients. Et de conclure en toute ironie : « Dormez tranquillement ! »

 

En réponse à toutes ces critiques et suspicions, les différents leaders d’Ennahdha crient en chœur : « C’est un procès d’intentions et vous devriez prendre acte de toute cette bonne volonté pour vous convaincre que nous avons changé ! Vous n’avez pas le droit de continuer à nous considérer comme des pestiférés, nous sommes des Tunisiens autant que vous !».

Si l’on ne peut pas exclure qu’il y a une dose de mauvaise foi chez les suspicieux, il est bon aussi de rappeler que cette suspicion n’est pas née du néant. Si certains évoquent le passé plus ou moins lointain pour la justifier (Om Zied), d’autres évoquent le passé récent (comme le militant Karim Baklouti Barketallah dans sa tribune hier sur Business News) et le présent.

« Le congrès est grandiose, tellement grandiose qu’on peut le considérer comme stalinien », commente l’analyste Sofiene Ben Hamida.

Au vu des résultats quasi-soviétiques des votes, on ne saurait en effet penser le contraire. Rached Ghannouchi est élu avec 75,6% des voix et les motions sont adoptées avec des pourcentages oscillant entre 71,9% et 91%. « Avec ces chiffres à la Bourguiba et Ben Ali, on peut dire qu’Ennahdha s’est bien tunisifiée », ont ironisé plusieurs d’ailleurs.

On parle de votes transparents avec tablettes et une véritable démocratie et ceci est vrai. Mais cette démocratie nous rappelle la démocratie iranienne où l’on sélectionne drastiquement, et à l’avance, les électeurs et les candidats.

Rached Ghannouchi a beau parler de la séparation entre le religieux et le politique, plusieurs membres du majlis choura et parmi ses députés continuent encore à assurer ce mélange. Pour eux, le religieux continue (et continuera) à primer sur le civil. La preuve, le refus catégorique des députés islamistes du projet de loi relatif à l’égalité de l’héritage qui se voulait, pourtant, conforme à la Constitution et respectueux de la civilité de l’Etat.

Même les « intellectuels » et les « penseurs » proches ou membres d’Ennahdha demeurent fidèles à leur conservatisme religieux et oublient carrément leur civisme quand on les met face à leurs propres contradictions. Exemple type, Radwan Masmoudi qui se présente comme défenseur des libertés et  chantre de la cohabitation entre islam et démocratie, mais n’hésite pas pour autant à insulter et dénigrer ceux qui défendent un mode de vie différent de sa vision. Ses positions homophobes, sa misogynie et ses attaques contre les médias anti-islamistes n’ont jamais baissé de fréquence.

 

Si l’on se tenait à la théorie et aux belles paroles d’Ennahdha, le plus extrémiste des laïcs voterait pour le parti islamiste. Mais quand on voit les pratiques au quotidien, l’hostilité camouflée dans les manifestations publiques et dégagée dans leurs sphères privées (pas si privée avec leurs pages Facebook infiltrées) et un masque qui tombe à chaque grande occasion, on a du mal à croire en la transformation réelle des islamistes d’Ennahdha.

En dépit de tous ces procès d’intention et de toutes ces suspicions, il est un fait indéniable que les autres partis doivent prendre en considération en priorité : Ennahdha est aujourd’hui le parti le plus structuré, le plus organisé et, surtout, le plus discipliné. Que les islamistes soient sincères ou hypocrites, ils sont incontestablement les plus forts sur la scène.

Face à une opposition crédule, divisée et affaiblie, ils risquent demain de prendre le pouvoir et feront, dès lors, tout pour ne plus jamais le quitter en appliquant ce qu’ils veulent appliquer, que ce soit le Coran ou la Constitution. Ils seront les seuls maîtres à bord.

Ce jour-là, les suspicieux d’aujourd’hui pourront crier « Nous vous avons prévenus, on les connait ! », mais il sera déjà trop tard.

Alors, plutôt que de s’occuper d’Ennahdha, de sa sincérité prétendue et de son hypocrisie supposée, les autres partis ont intérêt à se mettre à son niveau pour pouvoir l’affronter au moment des élections. 

23/05/2016 | 15:59
6 min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous

Commentaires (43)

Commenter

labrohg
| 31-05-2016 18:11
Ils ne changeront jamais! Avant leur congrès ils etaient 2. Après le congrès ils sont 1+1 logique! 2=1+1 séparer politique du daawi est absurde

Albatros
| 28-05-2016 11:06
Ennahdha sont des MOSLIMS pas des islamistes, un mot qui n'existe pas en islam. ce mot, inventé par les médias belliqueux de l'occident judéo chrétien. Et qui possède/contrôle les médias en France ?? ce sont vos ennemis ancestraux.

le pays est peuplé de 98% de MOSLIMS que vous voulez judéo christianiser.
Bonne chance.

Google: "à qui appartient les médias en France"

Albatros
| 27-05-2016 16:37
un pays peuplé à 98% de MOSLIMS ayant une culture arabo orientale. la preuve: on préfère la musique orientale au rap, rai etc ...
et çà vous n'y pourrez rien.

L'insulaire
| 26-05-2016 15:49
Il ne faut jamais tourner le dos a ce parti ou meme a l'un ou l'une de ses membres.Rien de nouveau,peut-etre des emprunts d'idees aux autres partis,leur nouvelle vision du futur du parti ,c'est comme de la poudre aux yeux.Finalement,ce parti n'inspire aucune confiance et il faut non seulement toujours se mefier mais aussi et surtout etre tres vigilant.

papi
| 24-05-2016 16:49
Bravo à Nahda et misère pour les autres partis particulièrement nida tunis à qui on a beaucoup espéré mais en vin. Continuer à vous déchirer à vous mépriser à s'affaiblir; alors que Nahda continue à se structurer à se développer et gagner l'estime de la population par son sérieux sa discipline et son savoir faire

G&G
| 24-05-2016 16:11
La Nakba qui frappa la Tunisie s'installera pour longtemps. Tout a été prévu le 14 maudit. Tout a été calculée. Les anti nahdhaouis heureux comme moi sont ceux qui sont préparé psychologiquement à cette maudite situation.
Ce que nous vivons n'est qu'un hors d'oeuvre d'un menu dégueulasse. Les tunisiens vont bien se régaler quand les nakbaoui occuperont tous les conseils régionaux et municipaux grâce à une loi électorale tissée sur mesure. Une loi qui installera une dictature sur une base inébranlable. Ce jour la le tunisien comprendra ce que c'est qu'une dictature.

patriote pure et dure!
| 24-05-2016 15:15
Ouuh! je ne pourrai jamais leur faire confiance c des caméléons ils changent d'avis, de positions parfois à 360°, sans scrupule ni gène, ils mentent comme ils respirent,, ils nient les faits sans aucun problème mm si ces faits sont enregistrés et preuve à l'appui (images/voix) wallah rien ne les dérangent c des affamés et rien ne pourra les rassasier, ils sont prêts à tout et ça on l'a déjà vécu lors de la période "troika" alors non jamais je ne pourrai leur faire confiance ; tout ce qu'ils sont en train de faire est une stratégie purement et simplement et meskine celui qui ne l'a pas encore compris!

hr
| 24-05-2016 14:54
il ne faut jamais avoir confiance de ce gourou. son rêve prendre le pouvoir et le léguer à son fils, son gendre. l'aveuglement du pouvoir l'oblige à faire certaines concessions mais quand il aura le pouvoir, ce sera un bain de sang

el manchou
| 24-05-2016 14:22
Je viens de comprendre pouquoi il y a une rupture de stock de Chocotom depuis quelques jours : tout a été acheté par Ennahdha pour leur congrès.

sss
| 24-05-2016 12:57
je ne leur fait pas confiance non pas à tout les islamistes mais à ceux là en particulier s'ils avaient réussi lors de leur passage "la troika" en pensant au pays avant de penser à leurs propres intérêts j'aurais pu entrouvrir la porte pour écouter mais là plus jamais c des calculateurs opportunistes la chance ne passe pas toujours; il fallait saisir sa chance et en plus l'image qu'ils m'ont donné allah ghalleb enfin hamdoullah