Lorsque les USA imposent à la Tunisie la levée du secret bancaire
En matière de lutte contre la fraude fiscale, les USA sont passés maître en efficacité. La législation américaine est des plus sévères. Les contraintes juridiques inhérentes à la levée du secret bancaire des contribuables sont des plus ténues. Là-bas, on ne transige pas sur le devoir de contribution de chacun selon ses moyens. En 2010, les autorités américaines ont décidé même de l’obligation de levée du secret pour tous les contribuables américains, où qu’ils se trouvent, sur le sol américain et ailleurs. C’est la loi FATCA, initiales de Foreign Account Tax Compliant Act qu’on peut traduire par « loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers ». Cette loi oblige tous les établissements bancaires et financiers basés à l’étranger à déclarer aux autorités fiscales américaines l’ensemble des flux financiers relatifs à un compte détenu par un contribuable américain, son conjoint ou ses descendants. Contribuable américain signifie indifféremment citoyen américain, binational ou détenteur d’une green card. A partir du moment où le compte bancaire de la personne concernée affiche un actif supérieur à 50.000 dollars, la banque se devra d’éditer pour le compte du fisc US un rapport détaillé des entrées et des sorties d’argent. Il n’y a rien à dire sauf qu’aux USA, on ne badine pas avec l’évasion fiscale. Plus encore, cette loi s’est imposée dans la majeure partie des pays occidentaux. Dès 2012, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne ont ratifié un accord d’adhésion à FATCA, obligeant leurs institutions financières à se conformer aux exigences de la loi américaine, à savoir communiquer au Trésor américain les mouvements financiers sur les comptes d’américains.
En quoi cette loi pourrait nous intéresser, direz-vous ? Pour la simple raison que nos banques, nos établissements crédits, nos institutions financières et nos compagnies d’assurance sont concernés par cette loi. A commencer par les banques-filiales de groupes financiers étrangers : UBCI, UIB, BTK, Attijari Bank, etc., en vertu du principe que ce qui vaut pour la société mère, BNP, Société générale, Banque populaire, Attijari Wafa Bank, etc, vaut également pour la filiale. Plus encore, cela vaut aussi pour les banques ayant un statut de correspondant d’une banque étrangère soumise à FATCA. Du coup, la Tunisie ou plutôt le système bancaire tunisien s’est retrouvé dans l’engrenage des exigences de FATCA et de ses effets en chaîne. D’ailleurs, certaines banques tunisiennes ont déjà engagé des procédures d’identification des clients susceptibles d’être soumis aux exigences de FATCA. La tribune de Neïla Charchour Hachicha publiée par Business News la semaine dernière, 17 décembre 2016, narrant sur un ton doux-amer sa dernière visite à sa banque au sujet d’ « une mise à jour de son compte », s’inscrit probablement dans cette procédure d’identification, première étape à la levée du secret bancaire exigé par le fisc américain.
En tout cas, cette situation fournit un tout autre éclairage sur la disposition relative à la levée du secret bancaire inscrite dans le projet de Loi de finances 2017. En effet, rares sont ceux qui ont pris garde à lire attentivement l’exposé des motifs de l’article proprement dit du projet de Loi de finances sur la levée du secret bancaire. Une énorme négligence car on y expliquait, dès l’abord, que cette disposition s’imposait en vertu des accords d’échanges de données bancaires conclus entre la Tunisie et plusieurs pays étrangers dans un objectif de lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent. Il s’agissait tout bonnement de mettre les établissements tunisiens de crédit en conformité avec FATCA. Sauf que, sournoisement, l’article a élargi le périmètre de la levée du secret bancaire non pas seulement aux américains, binationaux ou détenteurs d’une green card, mais aussi à tous les Tunisiens. Le gouvernement voulait-il ainsi administrer la preuve que, à l’image des Etats-Unis, dans le droit fil du principe de transparence et d’obligation fiscale, la Tunisie ne badine pas, non plus, avec l’évasion fiscale ?