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Les banques publiques à l’opposé de la politique de Kaïs Saïed
16/04/2025 | 09:40
6 min
Les banques publiques à l’opposé de la politique de Kaïs Saïed

 

Les trois principales banques publiques tunisiennes ont annoncé des bénéfices records pour 2024. Une performance réjouissante en apparence, mais qui entre en contradiction flagrante avec le discours officiel de Kaïs Saïed, centré sur la justice sociale, la défense du pouvoir d’achat et la lutte contre les abus. En agissant comme des banques purement commerciales, les institutions financières de l’État tournent en dérision la parole présidentielle.

 

Mardi 15 avril 2025, les banques publiques tunisiennes – BNA Bank, BH Bank et STB – ont dévoilé leurs bénéfices nets pour l’exercice 2024. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’État banquier se porte à merveille : 254 millions de dinars de bénéfices nets pour la BNA, 108,5 millions pour la BH, et 82,5 millions pour la STB. Des chiffres impressionnants dans un pays où l’inflation grignote les revenus et où le pouvoir d’achat est au centre de toutes les préoccupations politiques.

Cette réussite économique n’aurait rien de choquant si elle ne venait pas d'institutions publiques, censées incarner la politique sociale prônée par Kaïs Saïed. Car depuis 2021, le président de la République répète inlassablement que l’État doit protéger les plus démunis, réguler les profits excessifs et faire primer l’intérêt général sur l’intérêt financier. Ce message, diffusé dans toutes les directions, semble pourtant ne pas avoir traversé les portes des conseils d’administration de la BNA, de la BH et de la STB.

 

Une politique sociale… ignorée par ceux censés l’appliquer

Ce qu’il y a noter est que le gouverneur de la Banque centrale Fethi Zouheir Ennouri est la personnalité la plus reçue à Carthage après le (la) chef du gouvernement.

Lors de plusieurs rencontres avec le gouverneur de la Banque centrale, Kaïs Saïed a réaffirmé que les banques devaient prendre part à ce qu’il nomme la « bataille de libération nationale », en participant à l’effort social du pays.

La dernière rencontre date d’une semaine à peine. Le 7 avril 2025, encore, le chef de l’État martelait cette phrase devenue ritournelle : « Ce qui est donné de la main droite ne peut être repris de la main gauche, quel que soit le prétexte. »

Le 21 mars 2025, le président de la République pointait sévèrement du doigt les banques en insistant sur la nécessité d’imposer le respect de la loi à toutes les banques et de lutter contre toute forme de dépassement, quelle que soit l’institution concernée.

« La loi de l’État doit s’appliquer à tous. Ce qui se passe aujourd’hui est inacceptable et ne saurait rester sans sanction ». Kaïs Saïed a notamment relevé le paradoxe actuel où, malgré la baisse des taux d’intérêt, le montant du principal de la dette continue d’augmenter.

Mais ces paroles n'ont visiblement pas trouvé d’écho dans les faits. Car au moment même où Kaïs Saïed prêche la sobriété, ses banques affichent des résultats dignes de groupes capitalistes, et deux d’entre elles – la BNA et la BH – ont même proposé des dividendes à leurs actionnaires. Que valent alors les incantations présidentielles si ses propres bras financiers y tournent le dos ?

 

La circulaire de la BCT ? Une formalité pour initiés

À vrai dire, afin de rendre à César ce qui lui appartient, la Banque centrale tient à appliquer religieusement les directives présidentielles. Ce n’est pas elle le problème, ce sont les banques publiques et leurs dirigeants.

Ainsi, en janvier dernier, la BCT a émis une circulaire claire pour limiter la distribution des dividendes au titre de l’exercice 2024. Objectif : éviter que les établissements bancaires ne vident leurs caisses au profit d’actionnaires privilégiés, alors que le contexte économique reste tendu.

Officiellement, cette mesure s’appliquait à toutes les banques, publiques comme privées. Mais si la lettre de la circulaire semble respectée, son esprit est bafoué. Les banques publiques ont poursuivi une logique de rentabilité maximale, sans le moindre effort de modération. On n’y voit aucune volonté d’intégrer la ligne politique de Carthage. Au contraire, on observe une application minimaliste du cadre légal, pour mieux contourner l’obligation morale.

 

L’État, actionnaire absent… ou complice silencieux ?

Il serait facile de blâmer uniquement les dirigeants de la BNA, de la BH ou de la STB pour ces bénéfices jugés indécents. Mais ces banques ne sont pas des entités indépendantes : elles appartiennent à l’État tunisien. L’État y détient la majorité des parts, en nomme les présidents-directeurs généraux, et peut, à tout moment, imposer une orientation stratégique conforme à sa politique. Autrement dit, si ces banques engrangent aujourd’hui des profits massifs, c’est avec l’aval – explicite ou tacite – de leur principal actionnaire : la République tunisienne.

Dès lors, deux hypothèses s’offrent à nous. Soit l’État est délibérément tenu à l’écart de la gouvernance réelle de ses banques, et il laisse leurs dirigeants agir en toute autonomie, sans ligne politique claire, ni contrôle. Ce serait alors un aveu d’impuissance et un signal inquiétant sur la capacité de l’exécutif à piloter ses propres outils économiques.

Soit – hypothèse bien plus dérangeante – l’État est parfaitement au courant de ces stratégies de maximisation du profit, mais choisit de fermer les yeux. Il parle au peuple un langage moral et social, tout en poursuivant discrètement une logique de rentabilité budgétaire. Car ces bénéfices bancaires, ne l’oublions pas, finissent dans les caisses publiques sous forme de dividendes. Autrement dit, ce que les banques publiques prennent aux citoyens par des frais et des intérêts, l’État le récupère comme actionnaire majoritaire.

Cette dissonance pose une question vertigineuse : Kaïs Saïed gouverne-t-il un État schizophrène… ou parfaitement cynique ?

 

La transparence ? Un mot inconnu dans le lexique des banques publiques

À cette dissonance entre les paroles et les actes s’ajoute un autre symptôme inquiétant : l’opacité. Contrairement aux banques privées, les établissements publics n’ont pas publié leurs états financiers détaillés. Ils se sont contentés d’annoncer des bénéfices globaux, sans fournir les données permettant aux citoyens – ou même aux actionnaires – de juger de la pertinence de ces résultats.

Or, Kaïs Saïed place la lutte contre la corruption au cœur de son action. Il rappelle sans cesse que l’opacité est le terreau de la malversation. En refusant la transparence, ces banques contredisent non seulement les exigences de bonne gouvernance, mais aussi la prétendue révolution morale prônée depuis 2021.

 

Quand la main droite ignore ce que fait la main gauche

Au fond, l’affaire est simple : les banques publiques tunisiennes n’écoutent pas Kaïs Saïed. Elles poursuivent leur logique de profit, comme si le président ne s’adressait pas à elles, ou comme si ses discours ne concernaient que les autres. Pendant qu’il sermonne les commerçants sur leurs marges et qu’il menace les grandes surfaces, ses propres institutions bancaires capitalisent dans le silence et l’opacité.

Ce n’est pas l’idée de bénéfice qui est à condamner ici. C’est l’indécence d’un bénéfice réalisé au nom de l’État, contre les principes affichés par cet État.
Qu’on ne s’y trompe pas : aucune personne normalement constituée ne peut être hostile au bénéfice. La rentabilité d’une entreprise est la preuve de sa bonne santé et qu’elle contribue à l’équilibre économique du pays. Ce que nous pointons ici n’est pas le bénéfice lui-même, mais le double langage de l’État. Il est incohérent – voire malhonnête – de brandir un discours moral et social, de dénoncer les marges bénéficiaires excessives dans le secteur privé, de plaider pour une justice économique, tout en laissant les institutions bancaires publiques, qui relèvent directement de lui, engranger des profits aussi importants sans aucune cohérence avec cette ligne. L’ironie est cruelle : celui qui prétend parler au nom du peuple est contredit, chiffres à l’appui, par ceux qui devraient être ses instruments de justice sociale.

 

Raouf Ben Hédi

16/04/2025 | 09:40
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Commentaires
Patriote
@RBH
a posté le 18-04-2025 à 06:15
Article contre réalité car une banque publique déficitaire entraîne des subventions de la part de l état
Dans une situation de concurrence commerciale les banques publiques doivent rendre les mêmes services que les banques privées et ne plus être un fardeau pour les finances publiques
Des établissements spécifiques tel que BTS et autres fonds de financement existent pour répondre aux besoins des investisseurs
Sachant que plusieurs de ces fonds sont gérés par les banques publiques
Agriculture chez BNA
Habitation chez BH
Tourisme chez STB
Cet article aurait dû mettre en valeur les performances des banques publiques d être à la hauteur de la concurrence avec les banques privées et surtout de garantir le non recours aux subventions
un rappel @ RBH de voir le dernier rapport de l assemblée générale de la BNA qui indique les montants de financements des importations des céréales au profil de l'office des céréales et que malgré toutes ces céréales la banque est bénéficiaire !!
Momo
Un mirage...
a posté le 16-04-2025 à 23:31
Croyez moi une bonne partie de ces bénéfices est du pur mirage...les bq publiques sont engagées avec le secteur public et la bct leur donne le droit de ne pas provisionner les créances du secteur public...sinon elles feraient faillite..d'où ces bénéfices que je qualifierai de montage plus que de vraie performance. D'ailleurs la stb ne distribue pas de dividende..
Mokhtar
commentaire
a posté le 16-04-2025 à 18:28
Vous vous attaquez aux banques publiques mais vous semblez oublier que leur capital est détenu par l'Etat et une partie des bénéfices revient à l'Etat et à leur personnel. Le reste sert à l'impérieuse consolidation de leurs fonds propres .Avez-vous une idée de leurs impayés? Nos banques ont un déficit en fonds propres et personnellement je suis satisfait si elles gagnent de l'argent. Le mieux serait de discuter de ces questions avec les banques elles mêmes et les services de la BCT qui vous éclaireront sur leurs ressources et leurs emplois chiffres à l'appui et je crois vous seriez moins sévère à leur égard.
JJ
Normal?
a posté le 16-04-2025 à 15:35
L'hypocrisie des mondes arabes.
Kaïs Saïed parle des sacrifices de tous pour sauver la Tunisie et aider les plus démunis, mais les grosses banques et tous ses copains s'enrichissent. Les Arabes manifestent et bloquent des rues partout dans le monde pour «'?'soutenir la Palestine'?'», mais pas un seul peuple arabe ne veut réellement aider le peuple palestinien à survivre. L'?gypte continue de bloquer toute sortie de Gaza et surveille de près son énorme mur à sept niveaux pour empêcher les Palestiniens de passer, pendant que le Hamas passe librement par d'énormes tunnels et y fait entrer des armes depuis toujours. L'Arabie saoudite, ville sainte de l'islam, fait payer des sommes astronomiques aux musulmans du monde entier pour visiter un lieu saint, alors qu'elle est de loin le pays le plus riche. Ensuite, elle fait croire qu'elle accomplit la Zakat, alors qu'elle exploite ses ouvriers et construit des hôtels somptueux pour les dirigeants terroristes. Tous les Tunisiens ont le sang mêlé, une richesse dont ils devraient être fiers, et des racines africaines, mais au lieu de cela, vous méprisez et maltraitez les Noirs'?'

Cette même hypocrisie est omniprésente dans la politique de "Kaissoun" un dictateur mégalomane qui continue de détruire le pays.
elfribo
Defi Public
a posté le 16-04-2025 à 14:02
Je m'adresse à celles et ceux qui suivent la vie publique avec sincérité et rigueur :
Pouvez-vous définir, de manière claire et cohérente, la philosophie politique de M. Kaïs Saied ?

Personnellement, malgré ses discours et ses décisions, je n'arrive toujours pas à le situer précisément sur l'échiquier politique, ni à comprendre les objectifs concrets de son projet.
Est-ce un choix de flou stratégique, ou le signe d'une absence de vision construite ?

Vos lectures m'intéressent. '?
Hussin
Que va t il faire?
a posté le 16-04-2025 à 12:48
Kaeies Saeied peut remedier a cela en limogeant les conseils
d admnistration et les directions des banques publiques, mais que va t il faire pour obliger les banques privees a respecter et agir selon la loi?
Sensei
Il faut les nationaliser!
a posté le 16-04-2025 à 12:32
Qu elle soient banques publiques, ne veut pas dire que leur directions sont moins voraces et rapaces que les banques privees, ou moins corrompues. Privees et proprietaires des familles qui etranglent l economie du pays, ou publiques,, les banques font tout pour ne pas s auto reformer, se moderniser et saboter les reformes voulues par Kaeies Saeid. Voila pourquoi il doit les nationalister et compenser leur proprietaires, le jour ou l etat pourra le faire.
lambda
l'hypocrisie démontrée par les chiffres
a posté le 16-04-2025 à 11:36
Déjà l'existence même de banques publiques est une absurdité. Il n'y a que dans les pays sous-développés et les économies bananières qu'on trouve encore des banques publiques. d'ailleurs on s'interroge si ceux qui y travaillent sont appelés banquiers ou fonctionnaires. Mais en plus, pusique ces banques existent, leur objecitf premier est d'aider l'économie en finançant les citoyens et les pme qui ne peuvent pas être financés par les privés et non en étant concurrentes des banques privées. LEs banques publiques doivent soutenir l'économie non pas avec des dividendes, mais en construisant l'économie et en aidant les pme, les jeunes promoteurs, les entreprises communautaires de leur patron, etc etc etc.0 Chez n,ous les banques publiques agissent comme des banques privées et sont contentes de leurs bénéfices alors que ça ne doit pas être là leur objectif. mais ce qui est bien avec cet article de bn est qu'il relève l'hypocrisie entre le discours officiel de KS et son application sur le terrain. Ls banques s'en foutent de ce que dit le président de la république et de sa guerre de libération nationale, elles n'en font qu'à leur tête.
BNT
père noël
a posté le 16-04-2025 à 11:12
MR le Président sait pertinemment que les chiffres de la BNA ont été publiés par le Père Noël
le financier
votre article aurait du s appeler KS et l hypocrisie chapitre 324
a posté le 16-04-2025 à 10:32
vous avez repondu par vous meme en cette phrase : " Car ces bénéfices bancaires, ne l'oublions pas, finissent dans les caisses publiques sous forme de dividendes. Autrement dit, ce que les banques publiques prennent aux citoyens par des frais et des intérêts, l'?tat le récupère comme actionnaire majoritaire."
Nephentes
En agissant comme des banques purement commerciales, les institutions financières de l'?tat tournent en dérision la parole présidentielle.
a posté le 16-04-2025 à 10:20
Exactement ; comment en aurait il pu être autrement ?