
« L’exigence de lucidité doit primer sur l’envie d’être heureux », disait tout récemment André Comte-Sponville dans un entretien accordé à Philosophie magazine. En ce moment, en Tunisie, le mirage d’un bonheur potentiel, qui découlerait d’un « oui » glissé dans une boîte scellée, semble l’emporter sur toute lucidité. Le discernement a quitté la scène, la clairvoyance a tout bonnement fichu le camp.
Inaudibles sont ceux qui ont su garder la tête froide et les idées claires face aux événements. La perte de repères était compréhensible il y a de cela quelques mois, mais là il ne peut plus s’agir que de déni, que d’un mécanisme de biais de confirmation à grande échelle. Le désespoir généré par les péripéties des dix dernières années pousse les Tunisiens à s’accrocher à l’espoir d’un bonheur incertain, vendu sous forme de constitution. Le désespoir, la haine, la peur, la vengeance, la joie mauvaise… ce sont les émois et non pas la raison qui vont définir l’avenir des générations futures, l’avenir d’une nation.
C’est ainsi que tous les indicateurs tendent à dire que le résultat du référendum est couru d’avance pour le « oui ». Indépendamment du fait que le pouvoir se soit mobilisé pour mettre toutes les chances de son côté, la psychose d’un retour à l’avant 25 juillet, disséminée par les explicateurs, sera déterminante. Il faut dire aussi qu’une infime minorité des personnes qui voteront « oui » a consulté la constitution et est convaincue par le projet présidentiel. Le fait est que la majorité des apôtres du « oui » n’en a rien à faire du contenu de la constitution, rien à cirer des analyses et des détails juridiques barbants. La majorité est imperméable aux arguments, pourtant rationnels, démontrant le danger du projet pour l’intégrité de l’Etat et les acquis de la nation. Elle est insensible au fait que ce projet ouvre la voie à une nouvelle dictature, pas forcément sous un Kaïs Saïed, mais un successeur plus malin qui saura en tirer profit. Les quelques lucides qui ont su rester à équidistance entre les mauvais acteurs de l’avant et de l’après sont les pestiférés de la tragi-comédie qui se joue sous nos yeux.
La majorité n’a pas lu le projet de constitution. Elle ira voter pour adouber le président de la République et son entreprise d’anéantissement. C’est un vote sanction contre le système foireux d’après révolution, un vote sanction contre une classe politique qui a échoué et dans son échec a mis la démocratie en porte-à-faux. Une partie de la classe politique qui a laissé la brèche ouverte pour que le populisme le plus basique s’y introduise et prolifère.
Qu’on lui dise que le président tire profit de cette situation pour instaurer sa propre vision étrange du pouvoir, qu’on lui montre tous ces hurluberlus d’explicateurs déblatérer des absurdités, qu’on lui présage le règne de la médiocratie, qu’on lui prouve par a+b que l’économie continuera à s’enfoncer… rien n’y fait. Ça voterait « oui » même sur un torchon vide. Un chèque en blanc.
Le troupeau a toujours suivi l’attrait d’un pâturage verdoyant qu’on lui fait miroiter, avant de tomber des nues en découvrant le bourbier dans lequel il s’est piégé, l’étendue de la mascarade et de la désolation dans laquelle il s’est mis. Ce n’est pas nouveau. L’histoire politique récente de la Tunisie en est la preuve. Des marchands de religion ont bien vendu le paradis aux électeurs avant de les rouler dans la farine. Un ersatz de Bourguiba est venu après leur vendre l’éviction des premiers, re-roulage dans la farine. Un mec ‘sexy’ a débarqué en faisant marchandise de la misère et en promettant d’évincer tous les autres, re-re-roulage. Survint alors Kaïs Saïed et son offre de rupture totale, de destruction complète. L’offre la plus attrayante d’entre toutes. Le troupeau a suivi, le reste de l’histoire est en cours d’écriture.
A ce stade, plus rien ne fera arrêter la marche inexorable vers le « oui ». La partie est réellement finie avant même d’avoir commencé. Qu’on s’insurge contre un article 5 qui consacre une idéologie réactionnaire et rétrograde, qu’on critique le déséquilibre entre des pouvoirs transformés en fonctions, qu’on dénonce les superpouvoirs octroyés au chef de l’Etat, qu’on condamne la mise au pas de la justice, qu’on relève les défaillances et les travers présidentiels… ça ne changera que dalle.
Est-ce à dire que Kaïs Saïed est un grand stratège politique ? Il n’en est rien. Le professeur-président a su alimenter une haine qui n’attendait qu’à s’exprimer. Face à des détracteurs de tous bords (certains discrédités d’office, d’autres rendus inaudibles) qui ne s’accordent pas sur un boycott ou un « non », le monsieur profite de la confusion.
Au final, il y aura un 26 juillet. Que la constitution passe ne changera en rien le quotidien du citoyen. Il continuera à attendre que sa situation s’améliore, qu’il mange à sa faim, qu’il trouve du travail, que son pouvoir d’achat se renforce, qu’il puisse se soigner et éduquer ses enfants décemment… L’adoption de la constitution, présentée comme étant la solution à tous les maux de la société, n’est qu’imposture.
Si après tout ce tapage et ces promesses le citoyen venait à se rendre compte que sa situation ne s’est en rien améliorée, la vague de mécontentement n’en serait que plus violente. Une constitution, ça ne remplit pas les ventres affamés.
moi, pas .
WAKE UP !!
Ben voilà, vous avez compris. Vous n'en donnez pas l'air, chez BN, mais vous avez compris!
Et autrement, voyez vous autre chose à quoi s'accrocher, à essayer?
Dommage,car ton ancien portrait sur @BN nous convenait parfaitement.
Dr. Marzouki, le premier à annoncer ce coup, dès le 25/7, sur aljazeera.
d'abord suspension pour un mois, puis prolongation, puis "destour akalahu al himar" ...
sous pression des démocrates, il promet une feuille de choux.
une commission pour rédiger une nouvelle constitution. çà ne lui plait pas. il la bafoue pour la remplacer pas sa constitution, qui prévoit , inter alia: 2 mandats et plus si nécessaire.
bref la présidence à vie et héréditaire.
une référendum bidon. le résultat connu d'avance.
connaissez vous un référendum dans une dictature qui se termine par NON ?
Ils sont tous docteurs, chez les frérots!

