
Dans un peu plus d’un mois, cela fera quatre ans depuis le coup de force du président Kaïs Saïed. Le 25 juillet 2021, il avait décidé, en son âme et conscience, de boucler le Parlement par un char militaire et de prendre pratiquement tous les pouvoirs, indigné qu’il était par la situation du pays. Une situation qu’il a eu le privilège d’observer d’en haut puisqu’il est président de la République depuis 2019. Selon ses soutiens, de 2019 à 2021, le président de la République n’avait aucun pouvoir et ne pouvait rien faire, comme pour nous dire que Kaïs Saïed n’était pas complice, même s’il était déjà le locataire de Carthage. Un point très discutable, puisque les mêmes faibles prérogatives lui ont quand même permis de faire ce qu’il a fait le 25 juillet 2021. Mais là n’est pas le propos.
Promesses en série, illusions à la pelle
Cela fait donc quatre ans que le président Kaïs Saïed s’est arrogé des prérogatives extrêmement larges et complètement inédites – d’aucuns diront qu’elles sont pharaoniques – dans l’objectif de mettre le pays sur la voie vertueuse du développement et de l’expansion. Si l’on exclut les thuriféraires du régime et ses représentants sur divers plateaux médiatiques, il est clair que l’échec est patent et que nous sommes très loin des objectifs et des ambitions que ces mêmes porte-paroles ont vendus au peuple.
Rappelez-vous : la situation financière et économique du pays devait s’améliorer grâce au rétablissement de la confiance à travers la réconciliation pénale, le plan selon lequel le plus corrompu devait financer le développement de la commune la plus pauvre. Cela nous avait été présenté comme une solution miracle. En plus, l’argent récolté devait servir à financer les sociétés communautaires, autre révolution inédite qui devait participer à lutter contre le chômage, à répartir les richesses de manière équitable et à convaincre les jeunes, surtout, de ne pas quitter leur pays.
De son côté, l’administration devait être plus performante et plus serviable envers le citoyen, car elle serait enfin débarrassée des centaines de milliers d’agents et d’administratifs qui avaient été recrutés frauduleusement. On a vu défiler des pseudo-experts qui parlaient de dizaines de milliers, parfois même de plus de cent mille faux diplômes, et d’une fraude à grande échelle pour miner l’administration. Il s’avère aujourd’hui qu’il n’en est rien du tout.
La lutte contre la spéculation et le monopole, par la force de la loi, devait également faire baisser et stabiliser les prix des produits de consommation sur les marchés. Il suffit d’une tournée pour constater qu’il n’en est rien.
Rappelez-vous la mise en place du Conseil national des régions et des districts dans le cadre de la « construction par la base ». Une deuxième chambre au Parlement qui devait permettre une meilleure participation des communes à la prise de décision nationale, avec des strates composées de conseils locaux, régionaux et de districts. Une énorme usine à gaz qui n’a rien produit jusque-là, outre la suppression d’un article concernant le « torchi » dans la loi de finances 2025.
L’art de gouverner par la défausse
Entre les espoirs placés et ce qu’on nous avait promis depuis le 25 juillet 2021, et la réalité, près de quatre ans plus tard, le fossé est abyssal. Évidemment, les défenseurs du régime se précipiteront sur l’argument le plus facile pour le défendre : celui disant que quatre années de pouvoir ne suffisent pas pour réparer un pays longtemps rongé par la corruption et les calculs politiciens. Ils en savent quelque chose, puisque la majorité d’entre eux faisaient déjà partie du paysage qu’ils s’échinent aujourd’hui à dénoncer.
Il faut rappeler que quatre ans, c’est la durée du mandat d’un président américain, par exemple, et qu’il est faux de dire que ce n’est pas suffisant pour réaliser des avancées. À moins d’avoir un rapport particulier au temps.
Mais même en admettant que cet argument soit recevable, l’inquiétude pour le pays vient du fait qu’il n’y a pas de cap clair et défini, ni de stratégie digne de ce nom.
Entre slogans et réalité
Jusqu’à ces toutes dernières rencontres avec la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zanzri – la quatrième à ce poste depuis 2021 –, le chef de l’État semble être toujours à la recherche d’idées. À longueur de communiqués publiés à l’aube, il appelle ses ministres à concevoir de nouvelles approches, à trouver des manières de rompre avec le passé, à trouver des idées innovantes. Mais périodiquement, il rappelle à tous que ce ne sont que les exécutants de la politique générale qu’il a le soin de fixer conformément à la Constitution. Il rappelle à tous qu’il faut rester dans le rang et que le pouvoir s’exerce par les institutions conformément à la loi.
Il faut donc de nouvelles approches, mais dans le cadre de l’autorité du président. On demande aux ministres, majoritairement des technocrates, des professeurs et des administratifs, d’exécuter des slogans pompeux mais vagues, séduisants mais irréalistes. Le président de la République répète un ensemble de devises et de principes, croyant que c’est là que s’arrête son rôle dans la définition de la politique du pays.
Mais au bout de quatre ans, il s’avère que les choses n’avancent pas et que « la construction et l’édification » nécessitent bien plus que claironner des slogans, même s’ils sont sincères. Pour le président de la République, si ses ordres ne sont pas correctement exécutés, ce n’est pas, évidemment, parce que les ordres sont inapplicables. C’est parce que ceux censés les exécuter ne sont pas à la hauteur.
C’est ce qui s’est passé avec Najla Bouden, Ahmed Hachani, Kamel Maddouri et la ribambelle de ministres, gouverneurs et responsables virés durant les quatre dernières années. Il y a également un ensemble de causes bateau comme les lenteurs administratives, les cartels qui empêchent tout progrès, les spéculateurs, les traîtres et autres. Des excuses que l’on ressort à l’occasion.
Ce que l’opinion constate, c’est l’écart entre ce qui était promis et ce qui est réalisé. Chacun y va de son explication, qu’elle soit pro-régime, en essayant de lui trouver des excuses, ou opposante, en mettant tous les maux sur le dos de Kaïs Saïed. Mais il semble bien que tous soient d’accord sur le constat d’échec.





