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La démocratie face aux paranoïas collectives : interrogations sur la légitimité populaire
28/08/2024 | 19:42
4 min
La démocratie face aux paranoïas collectives : interrogations sur la légitimité populaire


Par Mohamed Salah Ben Ammar

  

Au fil de l'histoire, l'émergence de leaders aux tendances paranoïaques par des voies démocratiques a souvent conduit leurs nations à des conflits dévastateurs. Ce phénomène soulève une question essentielle : jusqu’à quel point peut-on vraiment considérer tous les choix d'un peuple comme légitimes ? En d'autres termes, l’expression de la volonté populaire doit-elle être considérée comme une injonction absolue ? L’interprétation même de cette volonté dite « populaire » n’ouvre-t-elle pas la porte à des dérives ?

 

Le vingtième siècle illustre de façon caricaturale ce dilemme avec l'élection d'Adolf Hitler, l'un des criminels les plus infâmes de notre époque, qui bénéficia d'une large adhésion populaire pendant plus d'une décennie. Les horreurs qu'il a orchestrées continuent de hanter notre mémoire collective. En tenant compte de ses idéaux racistes et antisémites, peut-on encore considérer le choix du peuple allemand comme légitime ? Ces réflexions mettent en lumière les défis politiques inhérents à la capacité du peuple à s'auto-gouverner. Comment ne pas penser que le malentendu est originel ? Nous ne l’avons pas compris à temps, c’est la déraison qui a mené le monde et continue à le mener.

 

Dans une perspective simpliste, les fondements même de la démocratie – liberté, séparation des pouvoirs et droits civiques – pourraient être menacés par les « vainqueurs » au nom d’une interprétation tendancieuse de la volonté populaire sans que cela ne soit considéré comme une transgression par ce peuple hypnotisé. 

Le débat entre les partisans d'une vision absolutiste de la démocratie, respectant à la lettre le choix du peuple, même si cela risque d'ouvrir la voie à des régimes antidémocratiques, et ceux qui prônent une pondération de l'expression citoyenne, met en exergue les tensions contemporaines. Qui, parmi ces deux camps, défend réellement la démocratie ?

 

Aujourd'hui, alors que les populismes et les théories du complot prennent de l'ampleur, le modèle démocratique classique est au plus mal. En Europe, des mouvements tels que le Rassemblement National en France, le Mouvement 5 Étoiles en Italie et le Fidesz en Hongrie séduisent une part significative de la population. En Amérique latine, le chavisme au Venezuela, Jair Bolsonaro au Brésil, trouvent également un large écho. Aux États-Unis, l’élection de Donald Trump, qui a rassemblé près de 70 millions de voix, témoigne d’un désir de retour au pouvoir. En Asie, Rodrigo Duterte aux Philippines, avec son style populiste et ses décisions controversées, réussit également à rallier une partie de la population.

 

Jean-Jacques Rousseau, dans son œuvre « Du contrat social » (1762), affirmait que « la volonté générale est toujours droite et tend vers l’utilité publique », suggérant que le peuple ne se trompe que sous l'influence de forces extérieures. Cependant, pouvait-il prévoir l'impact des réseaux sociaux sur cette dynamique ? 

 

La vision idéalisée d'un peuple éclairé, agissant pour son propre bien, a été façonnée par des penseurs comme Spinoza, Montesquieu et Rousseau, qui ont défié les pouvoirs arbitraires de leur époque. Toutefois, cette confiance dans la raison populaire nécessite d'être nuancée, surtout à la lumière des modèles de démocratie moins libéraux.

 

Carl Schmitt, juriste et penseur des années 1930, soutenait que l’intérêt supérieur de l’État pouvait justifier l’usage de la violence en cas de nécessité. Ses théories résonnent dans le contexte actuel de mondialisation et d’ultralibéralisme, posant la question de la légitimité de l'État à restreindre les libertés au nom de sa sécurité économique ou sanitaire, par exemple. Schmitt plaidait pour une démocratie directe et autoritaire, où la volonté populaire s'exprime à travers un chef et sans intermédiaires. Les conséquences de ces idéologies se sont révélées dramatiques. Actuellement le retour des nationalismes et des souverainismes autoritaires rassurent des peuples en colère qui oublient que cette politique mènent inéluctablement vers des conflits sociaux et la guerre.

 

Cette approche refait surface à travers le monde, et c’est inquiétant. Ces mouvements exploitent des récits manichéens pour rallier les désillusionnés, divisant la société entre "bons" et "méchants". En opposant le "peuple" aux "élites", ils présentent le peuple comme une entité homogène, vertueuse et opprimée, en lutte contre une caste corrompue. En capitalisant sur leur popularité, ils affaiblissent les contre-pouvoirs, prônant une démocratie directe au détriment de la démocratie représentative, qu'ils qualifient d'obstacle à leur programme. Sous le prétexte de restaurer la souveraineté nationale, ils alimentent un sentiment de paranoïa qui justifie des politiques protectionnistes et exclusives, souvent dirigées par un homme providentiel, le père imaginaire, un adulte qui pense à nous et veut notre bien, une incarnation du peuple idéalisée. 

 

En conclusion, la critique de la démocratie oscille entre le désir d'un exercice plus large de la liberté et la tentation d'une autorité renforcée.

 

Avoir foi en la démocratie sous entend avoir mis en place les outils qui permettent son exercice et surtout lui conférer des mécanismes de protection. Elle doit être appréhendée non pas comme une vérité absolue, immuable mais comme un processus évolutif, capable d'apprendre de ses erreurs et d'intégrer les transformations sociales. Elle ne peut pas être réduite à l'expression brute de la volonté populaire. C’est un travail perpétuel de délibération et de compromis à travers une écoute attentive de l’expression des besoins et des revendications populaires. Ainsi, malgré les crises, l'autocorrection, impossible dans les autocraties, demeure toujours envisageable au sein d'un système démocratique.

28/08/2024 | 19:42
4 min
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Commentaires
Nino G. Mucci*
Enchanté, M. Md. Salah Ben Ammar. Un excellent article
a posté le 29-08-2024 à 12:59
Des belles réflexions sociopolitiques et philosophiques qui se rattachent, par coïncidence à mes propres lectures et réflexions de ces jours.

Vous n'avez pas pris en considération le cas unique et excentrique de Mouammar Kadhafi et sa théorie-expérience de la Jamahiriya. Un cas incompris et encore énigmatique parce que cette histoire a été soustraite à l'approfondissement académique, à cause d'une campagne occidentale de déni et de "diabolisation" d'un système qui ne s'intègre pas, ou si vous voulez "n'obéit pas", à la logique capitaliste ou au globalisme impérialiste d'un 'New World Order' prédéterminé pas une oligarchie financière organisée en lobbys maçonniques dont tous doivent bien avoir entendu quelque chose.

Mais la situation ruineuse de la Libye divisée et la tragédie de tout un peuple, qui devrait être considéré "frére" et tellement proche dans la continuité territoriale du Sud tunisien, devrait nous imposer aussi des réflexions à ce sujet sociopolitique et de philosophie de gouvernance, surtout que cette ruine (menaçant directement la stabilité de la Tunisie) est le résultat direct d'une agression de l'OTAN en 2011, tant faussement "justifiée" qu'artificiellement rattachée à ce qu'on appelé "printemps arabe" et "révolution des jasmins".

Et quand on sait que cette dernière dénomination médiatique paradoxalement reprend celle "du jasmin" adoptée médiatiquement en 1987 pour le 'coup d'Etat médical' de l'ex président Zine Ben Ali, encore une fois l'ambiguïté devrait nous alerter, parce que tout le processus politique actuel demande un réexamen urgent à la lumière du rôle de l'OTAN et de son action potentiellement destructive non seulement des pays qui en ont subi les attaques, mais aussi d'une épistémologie sereine de l'Histoire en construction.

Quelques références utiles pour reprendre le discours à une autre occasion (**):

- "The Jamahiriya Experiment in Libya: Qadhafi and Rousseau"-
by Prof. SAMI G. HAJJAR - University of Wyoming
(1980, The Journal of Modern African Studies, 18)

- L'ERREUR (HORREUR) DE L'OTAN EN LIBYE - UNE REVISION CRITIQUE
publié sur Academia.edu

- Vous écrivez "Rodrigo Duterte aux Philippines, avec son style populiste et ses décisions controversées".
Par expérience directe, je peux vous assurer que S.E. le Président Duterte possède une administration entre les plus démocratiques au monde, en particulier par rapport au Sud-Est asiatique. Non seulement il a pris en considération les remarques personnelles que je lui ai proposé à propos de l'attaque terroriste de l'organisation terroriste Islamic State à Mindanao, mais, n'étant pas moi un citoyen philippin, j'étais honoré d'un remerciement envoyé par le Centre présidentiel de relation citoyenne.

(Bien différemment, S.E. le Président Saïed ne s'est jamais "dérangé" de répondre à ma spécifique requête par voie postale, en considération de ma permanence de plusieurs décennies en Tunisie -ni directement ni indirectement, et encore moins à prendre en considération d'une quelconque façon les importants appels pour certaines urgentes décisions à caractère sociopolitique, culturel et sécuritaire.... )

Enfin, il y aurait plein d'autres points de discussion fructueuse sur les contenus de l'article, en considération particulière d'une démarche de culture citoyenne pour une diplomatie de la paix régionale



*Nino G. Mucci, activiste pour les Droits humains,
-Mouvement de la Jeunesse Panafricaine

** J'autorise l'aimable réaction Business News à passer mon adresse électronique à l'auteur de l'article, M. Md.S.Ben Ammar, pour toute correspondance désirée.

Gg
Bonne conclusion !
a posté le 28-08-2024 à 20:43
"....travail perpétuel de délibération et de compromis à travers une écoute attentive de l'expression des besoins et des revendications populaires"

En effet, car les dictateurs élus ont avant tout écouté le peuple.
Au départ, en tous cas.
Hitler par exemple a répondu à l'humiliation et à l'effondrement
de l'Allemagne qui a suivi la 1ere guerre mondiale.
Vous citez le succès du FN en France, les raisons de son succès remontent à la signature des traités de Maastricht et de Lisbonne, clairement refusés par les francais lors du référendum de Sarkozy.
Ainsi le peuple n'a pas forcément raison, mais il a des besoins, des aspirations auxquels il faut répondre.
Sinon, les trahisons, les cabales comme celle du second tour des législatives en France mènent au désastre.
Je ne me permets pas de parler de la Tunisie, mais les mêmes causes y produisent les mêmes effets.
VBC123
La gauche caviar
a posté le 28-08-2024 à 20:36
texte d une gauche caviar et bourgeoise que le monde entier s'en fiche pas mal, en fait nous sommes aussi des sémites, arrêter de suivre les donneurs de leçons des gauchos occidentaux, comme des moutons
Djodjo
@vbc
a posté le à 01:47
Commentaires de type bla-bla-bla, sinon, ont est pas sémite l'ami, les saoudiens oui.

A par le fait qu'il nous ont colonisé et imposé leur culture et religion, on a pas grand chose en commun génétiquement.
Jilani
La démocratie reste le système le moins pire
a posté le 28-08-2024 à 20:15
Maintenant on vote contre une personne et non pour une personne qu'on croit la plus apte pour ce grand poste. En Tunisie les opposants à KS poussent les gens à voter contre KS peu importe à qui on vote, pour mekki, znaidi, daimi qu'on a vu ce qu'ils ont fait dans le pays, peu importe l'essentiel est de faire tomber KS. Des réflexions sont entrain d'être faites pour éviter ce genre de vote, éventuellement en donnant un score à chaque candidat pour que les gens soient plus impliqués et voteront réellement pour la personne qu'ils croient meilleure pour l'intérêt du pays.
Djodjo
@jilani
a posté le à 01:50
Mais c'est normal que l'on s'oppose au ***, il a fait pire que tout les noms que tu as mentionné.

Nous ont est intelligent, c'est pas le cas des suiveurs aveugles.