En cette semaine, morose, Lucifer, Belzebuth, le diable, appelez-le comme vous voulez, s'est invité dans le débat, ou plutôt, dans le monologue politique qui caractérise l’ère nouvelle dominée par les soliloques présidentiels. Après avoir taxé ses traitres de vermines, de plaies ou de virus, voilà que le chef de l’Etat nous ouvre les yeux sur une tare inédite. Les traitres obéissent maintenant aux ordres du diable. Que la miséricorde des divinités nous en préserve ! Ça tombe un peu sous le sens, si l’on venait à prendre en considération tout ce qui se passe autour de nous en ce moment. Le Président nous vend cette phase comme étant un purgatoire, passage obligatoire pour expier nos péchés, avant d’accéder au paradis tant espéré. Mais avant cela tous ceux qui ont cédé à l’appel du diable doivent subir le châtiment, le supplice des damnés. Au vu de la situation dans laquelle nous nous débattons, il est clair que nous avons déjà traversé les rives du Styx et que nous nous trouvons, non pas au purgatoire, mais aux portes des enfers.  

Que dire d’un Président qui érige le complotisme comme mécanisme du pouvoir ? Une fois est coutume, à la veille de la promulgation, par décret, d’une Loi de finances fâcheuse, Kais Saïed nous dévoile un nouveau complot. Il lâche une véritable bombe en conseil des ministres, sans pour autant en mesurer les répercussions. Les Tunisiens apprenaient donc qu’un plan d’assassinat a été ourdi dans l’ombre et que le ministère de l’Intérieur a intercepté la conversation des conjurateurs. Nous voilà entrainés à commenter le plan diabolique déjoué, reléguant au second plan les dispositions d’une Loi de finances qui vont faire très mal. Dans le même discours, il a glissé de l’impossibilité de faire autrement que de mettre en place des mesures douloureuses, à « nous sommes menacés, on veut nous tuer ». Diversion ? Un esprit logique dirait que l’affaire est trop grosse pour en être une, mais au vu des antécédents, on se retrouve en pleine fable de l’enfant qui criait au loup.

A supposer qu’un appel téléphonique, dont le contenu évoque clairement un plan d’assassinat, avec date et détails, la logique veut qu’il s’agisse là d’une preuve infaillible pour que l’instigateur soit arrêté immédiatement. Le ministère de l’Intérieur, qui a entrepris des écoutes en passant, connait le numéro du comploteur et détient la preuve de son implication. La logique veut aussi qu’on mette la main sur ses complices et qu’on identifie clairement les services de renseignement étrangers dans le coup. Ce n’est rien de moins qu’un crime contre la sûreté de l’Etat. Alors qui sont les conjurateurs ? A-t-on procédé à leur arrestation ? Le Parquet a-t-il ouvert une instruction ? Seront-ils jugés ou tout cela serait remis aux calendes grecques comme bien d’autres complots avant ?

Pourtant, on devrait se féliciter d’une réalisation importante durant cette période qui n’est autre que la rapidité avec laquelle la justice prononce des verdicts. L’ancien président provisoire Moncef Marzouki a écopé de quatre ans de prison ferme pour avoir ouvert la bouche et exprimé un avis politique. Aussi nauséabonds que soient les agissements de Marzouki, il se retrouve condamné en à peine trois mois sur la base de déclarations dans les médias, l’exploit ! Alors, la Justice, il faut se bouger dans cette affaire de complot et d’autres pendantes d’ailleurs pour qu’on se dise que la confiance règne enfin et qu’il est révolu le temps d’une justice à deux vitesses et à la botte du pouvoir…

Dans le bord opposé, certains adeptes du diable, de grands militants, se sont mis en tête de s’affamer pour ébranler le trône du président-Messi et le lui ravir. Non, excusez mes égarements, je rectifie, pour défendre la démocratie et les libertés. Rien d’intéressé dans la démarche, que de gentils personnages ayant à cœur de porter les plus nobles principes. Remake, comique, d’un 18 octobre, avec des instigateurs qui sont à l’origine même de la situation chaotique actuelle. Qu’on ne se leurre pas, les nouveaux pare-chocs ont vraiment à cœur qu’Ennahdha et ses acolytes échappent à toute sanction ou poursuites après des années de destruction méthodique des assises de l’Etat. Ils représentent la quintessence de ce qu’on a honni et rejeté avant la date fatidique du 25 juillet. N’ayons pas la mémoire courte, dénions pour une fois notre réputation d’amnésie collective. Quand ça parle de reprise du processus démocratique, cela veut dire tout simplement, le retour du Parlement et le retour de l’emprise de toute la bande d’opportunistes, islamistes et satellites, sur les rouages du pouvoir.

Entre un Président qui fout le chaos et des pseudo-opposants roublards, nous sommes pris en tenaille. Quand je vous disais que nous sommes aux portes des enfers.