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Le financement opaque des partis et associations à la veille des élections
08/08/2014 | 1
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Le financement opaque des partis et associations à la veille des élections
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Deux mois à peine séparent les Tunisiens des élections législatives et l’opacité continue à régner sur un acteur-clé de ces élections : l’argent ! Comment et à hauteur de combien sont financés les partis politiques. Idem pour les associations. Les législateurs de l’ANC ont laissé tellement de trous dans les lois régissant l’aspect financier que tous les abus deviennent possibles.

Le don de deux voitures blindées fait par les Emirats arabes unis à Béji Caïd Essebsi a fait couler de l’encre. Notamment chez les partis opposés à Nidaa Tounes.
Que BCE ait tort ou non, qu’il soit dans la légalité ou pas, pareille polémique n’est qu’une bonne chose dans un pays qui prône la transparence et s’inscrit contre toute forme de manipulation dans le scrutin.
Reste que les critiques farouches envers BCE manquent de crédibilité quand ils crient au scandale alors qu’il s’agit de leur adversaire politique et deviennent sourds, aveugles et muets quand il s’agit de leur partenaire.
A voir de près la scène politique nationale, il est quasiment impossible pour tout observateur politique ou investigateur journalistique de déterminer le budget et le poids réel de chacun des partis en course pour les législatives.

Le meilleur outil pour déterminer, approximativement, le budget d’un parti politique est d’obtenir le nombre de ses adhérents. Généralement, la carte d’adhésion est de dix dinars que l’observateur multiplie par le nombre d’adhérents afin d’obtenir le budget approximatif. Chez nos partis, aussi bien le nombre d’adhérents que le budget global demeurent un des secrets les mieux gardés. Rares sont les partis qui l’annoncent et si l’on excepte le Tayyar (de Mohamed Abbou), on ne connait aucun parti qui rend ses comptes publics.
Ce qui est notoirement connu, c’est que des partis comme Ennahdha ou le CPR sont financés par de l’argent qatari. Il manque cependant les preuves tangibles. Il y a même eu des scandales sur des valises de devises transportées par des dirigeants politiques d’Ennahdha et interceptées par les douanes françaises. Rappelez-vous de l’affaire de Belgacem Ferchichi, arrêté en août 2012 à l’aéroport d’Orly. Le scandale a été rapidement étouffé par des démentis contradictoires d’Ennahdha et de l’intéressé.
Idem pour le salaire que recevrait Moncef Marzouki de chez Al Jazeera. Il était question de 50.000 dollars par mois payés par la chaîne qatarie. La révélation, qui manquait de preuves, a été démentie par la présidence dont la crédibilité est devenue chancelante, au fil des jours, au vu des démentis eux-mêmes démentis par la suite.

Ces rumeurs et ces suspicions auraient pu disparaitre totalement du paysage médiatique tunisien si les partis acceptaient le jeu de la transparence.
A défaut, les médias et les analystes se limitent aux déclarations disparates. Le nombre d’adhérents d’Ennahdha ? 80.000, d’après une déclaration de Rached Ghannouchi. Recettes estimées par an : 800.000 dinars. Comment est financé tout le reste et qu’on évalue à des millions de dinars ? Mystère. La réponse officielle toujours donnée par les Nahdhaouis : dons des adhérents.
A Nidaa Tounes, le chiffre fuité (et à vérifier) est de 100.000 adhérents, soit un million de dinars de budget annuel. Le parti de BCE dépense, à vue d’œil, des millions de dinars et nul n’a une idée sur l’origine de son financement.
Au CPR, troisième parti de Tunisie, on ne donne pas de chiffres non plus. Les donneurs de leçon numéro un en Tunisie, en matière de transparence et de lutte anti-corruption, ne publient rien en ce qui concerne leurs comptes. Idem, leurs dépenses se comptent en millions de dinars au vu du loyer de leurs différents locaux et des rencontres régulières qu’ils organisent dans des hôtels assez luxueux.
Les dirigeants de ces partis esquivent avec subtilité ces questions liées au budget et au nombre d’adhérents quand ils sont interrogés dessus.
Une opacité qui n’interpelle pas les autorités de tutelle et qui, si elles creusent un peu, sauront trouver des scandales bien pires qu’une affaire de voitures blindées.

Les médias essaient de temps à autre d’interpeller les autorités, mais c’est rare qu’il y ait des réponses. Deux exemples, parmi d’autres, l’association Tunisia Charity dirigée par Abdelmonem Daïmi, frère de Imed Daïmi SG du CPR et l’association Entraide dirigée par Néjib Karoui, de tendance islamiste et fils de Hamed Karoui, président du Mouvement destourien.
Entraide a joué la transparence en publiant ses comptes de 2011. Mais on ne trouvera pas ses comptes 2012 et 2013 sur son site web. Son siège aux Berges du Lac et son budget de six millions de dinars interpellent fortement, vu qu’il s’agit d’un gros montant dépassant largement les montants moyens des associations en Tunisie. En regardant de près les comptes d’Entraide, on remarque que dans la case recettes il y a un montant de cinq millions de dinars provenant de Libye. Un financement étranger dont on ignore la véritable origine. Dans la case dépenses, on remarque un virement de 4,9 millions de dinars. A quoi correspond-il ? Pourquoi une association tunisienne reçoit-elle et dépense-t-elle autant d’argent en Libye ? (cliquer ici pour voir le détail).
Tunisia Charity, pour sa part, a été financée en 2012 à hauteur de 655.000 dinars dont 289.000 de dons internationaux. Comment se fait-il qu’une association obtienne autant de dons étrangers ? A la lecture détaillée de ses comptes, quelques réflexions s’imposent. Cette association a dépensé en 2012 plus de 10% de ses recettes à la seule direction générale (75.000 dinars). Ses résultats 2013 ne sont toujours pas publiés. Elle a pu obtenir des financements publics en dépit de l’opposition de certains cadres dirigeants. C’était le cas au ministère de la Femme (voir notre article à ce sujet).
On remarquera au passage que le budget de Tunisia Charity a explosé entre 2011 et 2012 en passant de 98.000 à 655.000 dinars (cliquer ici pour votre le détail). On remarquera aussi que Tunisia Charity et Entraide s’essaient malgré tout à la transparence contrairement à l’écrasante majorité des associations en Tunisie.

Ce n’est pas l’unique budget qui a explosé quand on s’intéresse de près à certains ministères qui subventionnent les associations.
Le cas de celui de la Femme est curieux. Jugez-en ! Quand on voit de près le budget de l’Etat (cliquez ici) et les montants octroyés aux différentes associations et amicales, on remarque qu’il y a le détail de la subvention accordée à chaque association ou amicale et qu’il y a systématiquement une ligne consacrée à « autres associations ». C’est une sorte de ligne fourre-tout. Dans cette ligne « autres », la majorité (pas tous) des ministères inscrivent des montants à quatre chiffres, c'est-à-dire inférieurs à 9999 dinars. En passant au peigne fin, on remarque que le ministère de la Femme a attribué un montant de 703.000 dinars dans cette ligne fourre-tout pour l’année 2013. C’était du temps de Sihem Badi, ministre de la Femme et, accessoirement, membre du BP du CPR. Cette ligne fourre-tout « autres » du ministère de la Femme était auparavant de 188.000 dinars. Pourquoi ces subventions ont explosé sans que l’on ait le détail ? Mystère.
On se rappelle de l’autre scandale, aussi vite étouffé d’ailleurs, quand la même ministre a accordé à l’Organisation de la Femme arabe un budget de 116.000 dinars, alors que la ministre précédente en 2011 l’a supprimé totalement. En guise de retour, l’OFA invitait quelques semaines plus tard la sœur de la ministre, alors qu’elle n’avait aucune appartenance officielle au ministère.
Tout le monde se rappelle du scandale (en voie d’étouffement) du million de dollars en provenance de Chine viré sur un compte spécial du ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, qui est aussi membre du conseil de la choura d’Ennahdha. Outre ce scandale, le ministre a accordé un marché public de gré à gré, et en toute illégalité, à l’animateur d’Al Moutawassat Mokdad Mejri. L’intéressé avoue son méfait publiquement (voir notre article à ce sujet).
Paradoxalement, c’est lui qui parle de corruption et pense pouvoir épingler BCE à travers ses insultes sur FB.

Ces mêmes constats sur Tunisia Charity, Entraide ou le ministère de la Femme peuvent être élargis sur les différentes associations réputées proches du pouvoir et dont les comptes sont totalement secrets, à l’instar de Sawaed ou des LPR. Combien de subventions publiques ont-elles versées dans les comptes de ces organisations ? Mystère. Y a-t-il eu des ristournes de ces subventions publiques vers les partis ? Mystère également. On sait juste que ces associations bénéficient de dons publics et de dons étrangers et que leurs comptes ne sont pas tous disponibles. De là à dire qu’il y a des malversations dans les partis, il n’y a qu’un pas.

Raouf Ben Hédi
08/08/2014 | 1
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