Chroniques
Ils voulaient gagner du temps et ils l'ont gagné

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Par Nizar BAHLOUL
Cela fait deux mois que Mohamed Brahmi est assassiné et cela fait deux mois que l’on va d’une tergiversation à une autre.
Cela fait près de huit mois que Chokri Belaïd est assassiné et cela fait huit mois que l’on attend un gouvernement de compétences.
Cela fait près d’un an que la légitimité du gouvernement, de l’ANC et de la présidence de la République n’est plus et cela fait près d’un an que l’on attend que le processus démocratique reprenne son cours.
La Tunisie, après une première expérience démocratique et des élections réussies en octobre 2011, ne cesse de reculer et de préparer le terrain à une dictature nouvelle. Pire, elle devient le terreau du terrorisme, du proxénétisme et du blanchiment d’argent. L’incompétence se banalise au plus haut sommet de l’Etat et l’injustice commence à devenir acceptable. Même le ministre de la Justice s’y accommode. « Et alors si Zied El Héni a été emprisonné ? Il n’a qu’à aller en appel, puis en cassation », a déclaré approximativement Nadhir Ben Ammou devant l’ANC, jeudi dernier.
Après l’assassinat de Mohamed Brahmi, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, plus d’une fois, pour protester et crier leur colère.
Ces centaines de milliers de personnes voulaient en finir avec cette incompétence de la Troïka qui a dépassé ses délais légaux au pouvoir, mais qui s’y accroche quand même, contre vents et marées.
Ces centaines de milliers de personnes appelaient de toutes leurs forces à l’instauration de la légalité, de la légitimité réelle, de la démocratie, de la justice et du droit.
Mais voilà, il se trouve que la Troïka n’a pas d’ouïe pour ces personnes, venues de tous bords.
La puissante centrale syndicale a appelé à la chute du gouvernement.
La puissante centrale patronale a appelé à la chute du gouvernement. C’est rare de voir ces deux organisations d’accord, et pourtant elles le sont ! Des dizaines d’autres organisations nationales et non gouvernementales sont d’accord avec l’UGTT et l’UTICA à propos de l’incompétence de ce gouvernement. Il y a la Ligue des Droits de l’Homme, l’Ordre des avocats, le Syndicat des Journalistes, la Fédération des Directeurs de Journaux, les partis politiques. Même les pays frères et amis ont réagi pour inviter cette Troïka à dialoguer avec ses adversaires politiques. Dans les coulisses, on leur a bien signifié que la Tunisie devient ingouvernable en l’état et que la situation actuelle ne peut plus durer.
Malgré toute cette mobilisation, malgré tous ces appels, la Troïka est là et multiplie les astuces pour rester là où elle est. Elle refuse d’admettre son échec.
Où sont parties les centaines de milliers de personnes descendues au Bardo cet été pour crier leur colère ?
« Nous avons eu une douche froide depuis la rencontre de Paris entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi ! », nous dit-on.
Une rencontre maintenue secrète et ébruitée (par accident ou par calcul) un samedi soir au moment où l’on s’y attendait le moins.
On jure ses grands dieux qu’il n’y a pas de deal et que l’intérêt de la Tunisie prime. Soit ! On aimerait bien croire ça. Mais le fait est là, la Troïka est encore au pouvoir. Les ministres partent en vacances comme si Brahmi n’a pas été tué et comme si l’économie et la situation du pays étaient au beau fixe.
Les ministres qui trainent les casseroles et de graves poursuites judiciaires sont présents sur les plateaux télévisés et parlent, en toute indécence, de légitimité.
Cela fait deux mois que Brahmi est tué et cela fait deux mois que l’on nous sert des plats refroidis, fades et amers.
Deux mois durant lesquels on continue à nommer des directeurs dans toutes les administrations.
Regardez les derniers journaux officiels et vous saurez ce qu’il en est.
Rien que le dernier JORT (N°75 du 17 septembre) contient 109 (cent-neuf) nominations ! Il y a eu 17 nominations dans le N°74 du 13 septembre et 59 nominations et attributions de classe exceptionnelle dans le N°73 du 10 septembre !
Sans remettre en question ces nominations, et leur bien-fondé, il est aujourd’hui indéniable que toute œuvre du gouvernement est sujette à caution et suspecte. Qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Comment avec toutes les nominations opérées par Hamadi Jebali, puis par Ali Laârayedh, peut-on organiser des élections en toute sérénité, sans douter qu’elles ne soient falsifiées ?
Comment, après avoir attrapé, la main dans le sac, des députés de la Troïka en train de voter à la place de leurs collègues (Lobna Jeribi) et des députés en train de falsifier des textes (Habib Khedher), peut-on avoir confiance dans les prochaines élections pour qu’elles soient justes et honnêtes ?
La Troïka, comme une pieuvre, a placé ses tentacules partout dans l’administration et on constate l’incompétence partout, à tous les niveaux. Il suffit de demander leurs avis aux hauts cadres de l’administration pour se rendre compte de la situation et de sa gravité.
Depuis le décès de Brahmi, toute journée restée au pouvoir est une journée de gagnée pour nos gouvernants. Certains en profitent pour détruire des documents importants, d’autres pour partir en voyage et d’autres pour placer leurs pions.
Légalement parlant, la Troïka aurait dû partir le 23 octobre 2012 après avoir constaté son échec. Il aurait fallu, dès ce jour-là, mette en place un gouvernement de transition jusqu’aux élections. Il ne fallait pas se laisser intimider par les Moncef Marzouki et Mohamed Abbou qui miroitaient les potences, encore moins par les LPR et les salafistes qui multipliaient les actes de violence.
L’incompétence de la Troïka n’est plus à prouver, son échec est plus que constaté et son illégitimité est indiscutable.
Depuis le 23 octobre 2012, toute journée passée au pouvoir est une journée de gagnée pour la Troïka pour placer ses pions et faire disparaître les preuves de ses échecs et de ses éventuelles malversations.
Tout ce temps perdu sera difficilement rattrapable par la suite. Mais voilà, il se trouve que l’opposition et le quartette continuent encore à négocier et à lancer les deadlines, sans jamais les respecter. Régulièrement, on fait des pauses pour discuter un communiqué de presse d’Ennahdha ou une rencontre secrète à Paris. On lance des débats et on reporte tout, après un voyage à Alger. Jusqu’à quand ? Il faut bien mettre le holà et siffler la fin de la récréation, un jour ou l’autre. Plus c’est tôt, mieux ça vaut !
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