
Il est 21 heures dans le beau jardin des locaux de la chaîne Al Hiwar, sis à la Manouba. Une bonne centaine de personnes sont rassemblées. Des élus, des journalistes, des syndicalistes et des militants de tous bords. Les flics sont partis depuis un moment, mais leur ombre est encore là. Taher Ben Hassine risque encore d'être arrêté. Son crime ? Avoir appelé à la désobéissance civile après que le gouvernement actuel ait dépassé les délais légaux de son mandat depuis le 22 octobre 2012. Son appel a déplu à la présidence de la République qui a déposé plainte.
On discute, on analyse, on rigole et on pleure. On pleure ce pays dirigé par une troïka qui a perdu ses légitimités légale, politique et morale.
On cherche des yeux si par hasard on retrouverait les "militants" rendus célèbres par leur militantisme. Les Moncef Marzouki, Sihem Ben Sedrine, Samir Dilou.
Et on se rappelle l'Histoire. L'Histoire toute récente. Elle date de janvier 2011 lorsque Ben Ali, ne sachant plus que faire, procédait aux arrestations arbitraires. Slim Amamou, Aziz Amami, Hamma Hammami s'en souviennent. Lorsque ses ministres disaient que tout allait bien et que lui essayait de négocier avec l'UGTT. L'Histoire bégaie...
Taher Ben Hassine était convoqué devant la brigade criminelle pour répondre de son acte lundi dernier. Souffrant, il a présenté un certificat médical. Une autre convocation est émise, elle est pour le 9 septembre. Mais on ne sait quelle mouche a piqué la brigade, elle décide finalement que non, il doit être interrogé aujourd'hui. Des agents pointent devant les locaux et lui demandent de les accompagner. En dehors des horaires administratifs et sans aucune convocation écrite. Ce qui est doublement illégal.
On se dit que le pouvoir est devenu vraiment aveugle par son pouvoir. Qu'après avoir perdu sa légitimité légale et politique, le voilà maintenant en train de perdre sa légitimité morale devant ces locaux. Il n'y a pas que les hommes qui ont de la mémoire. Les arbres du jardin du siège d'Al Hiwar en ont aussi.
Un militant d'Al Massar se rappelle et nous raconte l'Histoire, celle d'un certain Ali Laârayedh en 2006 qui est venu se cacher dans ces locaux. Il nous montre un arbre escaladé par l'actuel chef du gouvernement fuyant la police de Ben Ali.
Près de l'arbre, les studios de la chaîne. Cette même chaîne qui a servi, dans les années 2000, à relayer les SOS des islamistes et des anciens militants aujourd'hui au pouvoir ou ne recevant plus leurs subventions de militantisme.
La chaîne se souvient. Elle a son ADN et sa mémoire est intacte. Elle se rappelle de tous ces anciens militants qui parlaient de démocratie et qui critiquaient ces dirigeants arabes qui s'accrochent au pouvoir, malgré la volonté du peuple. Ces anciens militants qui critiquaient ces dirigeants qui se croient indispensables. La mémoire de la chaîne Al Hiwar est intacte, comme tous ceux présents ce soir pour soutenir Taher Ben Hassine dans les beaux jardins de sa chaîne. Tout le monde se souvient, sauf les anciens militants-nouveaux dirigeants devenus amnésiques.
Ce jour de 2006, Ali Laârayedh est parti libre, les flics sont rentrés bredouilles. L'histoire bégaie. En 2013, ils sont également rentrés bredouilles.
Ben Ali a été chassé. Ali Laârayedh et le plaignant Moncef Marzouki le seront également. L'histoire bégaie.
N.B.
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