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Chroniques
J'appelle à la chute du régime
18/07/2013 | 1
min
J'appelle à la chute du régime
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Par Marouen Achouri
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Saint Augustin disait : « A une loi injuste, nul n’est tenu d’obéir ». Le parquet tunisien informe qu’une instruction judiciaire sera ouverte contre toute personne qui appellerait à la chute du régime. La peine encourue va de deux ans de prison à la perpétuité voire la peine capitale. C’est vraisemblablement là une nouvelle trouvaille du pouvoir en place pour faire taire les voix discordantes qui oseraient contester la « légitimité ». Ou plutôt un dépoussiérage puisque ces lois existaient bien sous Ben Ali et ce sont ces mêmes lois liberticides et répressives qu’on remet au goût du jour.

La crise égyptienne n’a pas fini de faire trembler nos frêles gouvernants. L’annonce faite par le ministère public tunisien sonne comme une énième tentative pour se protéger contre toute velléité de mise en doute de la légitimité du pouvoir en place. En agissant ainsi, le parquet tunisien donne l’impression de devenir le porte-voix du pouvoir en place reléguant ainsi aux oubliettes les rêves de justice indépendante.
Le slogan : « le peuple veut la chute du régime », qui a participé à faire tomber la dictature, est devenu illégal sous nos latitudes révolutionnaires. L’adoption d’une telle mesure de répression témoigne de la fragilité d’un pouvoir qui ne tient plus à grand-chose. Un pouvoir qui espère se maintenir en usant de la menace et de la terreur, aussi bien institutionnelle que partisane. Entre les menaces de mort proférées par des leaders des partis au pouvoir et cette mesure qu’avait déjà brandie Mohamed Abbou, il nous est interdit aujourd’hui d’oser remettre en doute la sacro-sainte « légitimité ».
De plus, cette annonce ne semble pas être uniquement dissuasive, puisque Tahar Ben Hassine, patron de la chaîne El Hiwar, a été convoqué dans le cadre de cette mesure. La menace est donc réelle. La menace qui pèse sur les droits fondamentaux et sur la liberté d’expression, déjà perceptible, se matérialise aujourd’hui avec des méthodes pour le moins contestables.

L’hypocrisie d’une telle mesure est manifeste. Moncef Marzouki, l’opposant du passé, avait arpenté les plateaux télé pour crier, à qui veut bien l’entendre, que le régime de Ben Ali était illégitime et qu’il fallait qu’il chute. Les leaders islamistes n’ont-ils pas défendu les mêmes thèses depuis leur exil, abstraction faite des tractations de couloir ? Les tribuns du CPR n’ont-ils pas fait de même ? N’ont-ils pas appelé à la désobéissance civile ? N’ont-ils pas appelé les investisseurs et les touristes à boycotter la Tunisie ?
Aujourd’hui aux commandes du pays, ils privent leurs opposants du droit de défendre ces mêmes thèses. Incapables de confronter des arguments ou des résultats aux revendications de chute du régime, nos gouvernants actuels préfèrent user de la main d’une justice en chantier faisant ainsi preuve d’une lâcheté sans nom.
Ces mêmes gouvernants, qui promettent des droits à tour de bras, ont été les chantres des droits de l’Homme et de la protection des droits fondamentaux. Maintenant au pouvoir, ils s’évertuent à circonscrire des droits et des libertés conquis au prix du sang.

Cet acharnement à faire taire toutes les voix discordantes vient de cette volonté de se protéger des appels lancés depuis des mois par les médias, la société civile et une petite partie de l’opposition : « Oui, ce régime est illégitime. Oui ce régime doit chuter. Un régime qui a dépassé ses prérogatives et ses délais légaux. Un régime qui maintient des personnes en prison en toute illégalité est un régime illégitime. Un régime qui emprisonne des personnes dont le seul tort est de ne pas se soumettre ou de penser différemment est un régime illégitime. Un régime qui menace ses opposants de potence, de poursuites et de prison est un régime illégitime. »
Paradoxalement, ces mêmes propos auraient pu être prêtés il y a quelques années à un Moncef Marzouki ou à un Ali Laârayedh. Rappelons, dans ce contexte, que l’Assemblée nationale constituante devait finir ses travaux le 22 octobre 2012, selon le décret qui avait permis sa création et précisé sa mission. Depuis cette date, cette assemblée et toutes les institutions qui en découlent n’ont plus aucune légitimité légale ou électorale. Celles-ci ne tiennent plus que grâce à une légitimité consensuelle entre les acteurs politiques du pays. Une légitimité vacillante que l’on a tenté de colmater à coups de « conseil des sages », de différentes initiatives de dialogue national et, dernièrement, avec une commission des consensus au sein de l’Assemblée.
Aujourd’hui, le vent de révolte égyptien fait vaciller plus encore des institutions aux pieds d’argile. Des institutions qui brandissent, aujourd’hui, l’arme judiciaire pour prévenir toute contagion.

Nos gouvernants estiment que leur victoire –relative- aux élections du 23 octobre 2011 équivaut à une carte blanche qui leur permettra de légiférer comme ils le veulent et de gouverner sans contrôle. Cette incompréhension de la démocratie se trouve aujourd’hui confirmée par les mesures prises. Il serait sûrement judicieux de rappeler à nos gouvernants qu’Hitler avait été élu et qu’il jouissait, aussi, d’une légitimité. C’est le cas également pour Mussolini et pour quelques unes des pires dictatures qu’a connues l’humanité.

Condamner à la prison ferme toute personne qui appellerait à la chute du régime est une mesure dictatoriale et absurde après une révolution. Cette mesure révèle la logique de butin que suivent nos dirigeants, ce pouvoir est à nous et personne ne nous le prendra. C’est pour cela que Moncef Marzouki parlait d’une tarte à se partager en parlant de la Tunisie.
Ce même Moncef Marzouki, monsieur opposant défenseur des droits de l’Homme, ne rechigne pas à cautionner des agissements de ce genre. En tant qu’opposant il n’a cessé d’expliciter ses théories sur la nécessité de faire chuter le pouvoir de Ben Ali. Aujourd’hui, il tourne les talons. Il a été également défenseur des droits de l’Homme. Aujourd’hui, il a oublié ces droits et notamment l’article 35 de la déclaration qui stipule : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». En clair, mettre une personne en prison, car elle appelle à faire chuter le régime, est une violation des droits du peuple.
Par conséquent, s’élever contre une telle mesure est un droit garanti par la déclaration universelle des droits de l’Homme et nul ne peut désormais mettre quiconque en prison pour avoir exercé ce droit.
C’est contre ce type de lois que se sont battus Nelson Mandela, Martin Luther King et Gandhi entre autres. C’est ce type de lois que l’ancien Moncef Marzouki prétendait dénoncer.
L’application de ce type de mesures suscitera des vocations. Pour chaque Tunisien qui sera emprisonné, après avoir appelé à la chute du régime, il y en aura mille autres qui crieront leur indignation dans les rues.

*Marouen Achouri, journaliste de Business News
18/07/2013 | 1
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