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Chroniques
En Tunisie, la liste des prisonniers politiques s'allonge
03/06/2013 | 1
min
En Tunisie, la liste des prisonniers politiques s'allonge
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Par Nizar BAHLOUL

Le sujet des prisonniers politiques était une des principales plaies de l’ancien régime de Zine El Abidine Ben Ali. Avant, on mettait islamistes et opposants en prison ; aujourd’hui, ce sont les anti-islamistes et les figures de l’ancien régime qui les remplacent.
Avant, sous Ben Ali, on fabriquait des procès de toutes pièces et on essayait de coller les preuves. Aujourd’hui, on ne se donne même plus cette peine, on met en prison d’abord et on étudie les cas ensuite. Les dossiers de ce genre sont de plus en plus nombreux. Quant aux principaux défenseurs des droits de l’Homme du pays, ils sont désormais aux abonnés absents. La révolution du printemps arabe n’a touché que les politiques, les pratiques sont restées les mêmes. Seuls les bénéficiaires (et les victimes) ont changé.

Le mois dernier était riche en termes d’arrestations qu’on pourrait aisément qualifier de politiques. Cela a démarré avec la jeune adolescente de 19 ans, Amina, membre du mouvement Femen arrêtée depuis le 19 mai. On l’a accusée, sans preuve aucune, de s’être dénudée et d’avoir profané un cimentière. A la tête des accusateurs, le gouverneur de Kairouan qui représente officiellement le président de la République dans la région. Sur Express FM, il ose accuser la jeune adolescente ouvertement et sans preuves, enflammant ainsi une population conservatrice et très sensible à tout ce qui touche à l’aspect religieux. Le mensonge du gouverneur a bien payé, la population voulait la peau d’Amina. Traduite devant le tribunal de Kairouan le 30 mai, elle a écopé d’une amende de 300 dinars pour port d’arme blanche (ladite arme n’est en fait qu’une bombe d’autodéfense). Son arrestation pendant onze jours tombe donc à l’eau et devait être libérée de suite. Mais cette indépendance et intégrité du juge n’était pas pour plaire au procureur qui s’est empressé de lui coller un deuxième mandat de dépôt (), pour d’autres faits anciens (elle a montré sa poitrine sur Facebook). Amina reste donc en prison, elle y est encore !
Trois camarades d’Amina, deux Françaises et une Allemande atterrissent, mercredi dernier, de Paris, pour la soutenir et se présentent, seins nus devant le Palais de justice de Tunis. Pour défendre leur cause, elles ont clairement et indéniablement violé la loi tunisienne, comme le faisaient jadis les actuels gouvernants. Arrestation immédiate. Une provocation inutile ? Pas quand on défend certaines causes, selon les membres de Femen. Toujours est-il que le pouvoir actuel, au lieu de les renvoyer chez elles, a préféré garder la patate chaude entre ses mains, question de donner l’impression qu’il n’a pas les mains tremblantes.

La même semaine, on procède à l’arrestation du journaliste Borhène Bsaïes, de l’ancien ministre de la Communication Oussama Romdhani et de l’ancien PDG Ali Ghodhbani. Motif : emploi fictif.
Borhène Bsaïes était un des plus grands défenseurs du régime de Ben Ali et il était payé pour ça. Mieux qu’être payé, il était convaincu par son discours et il n’a pas changé d’avis après la révolution. C’est son opinion et c’était celle (en apparence du moins) de la majorité du peuple tunisien.
Oussama Romdhani était un des architectes de l’outil de propagande de l’ancien régime. Lui aussi, il en était convaincu et il n’a pas changé d’avis après la révolution. D’ailleurs, on ne l’a plus entendu depuis décembre 2010, lorsque Ben Ali l’a limogé.
Pour des questions d’ordre administratif et bureaucratique, Oussama Romdhani faisait payer Borhène Bsaïes par le biais de la Sotetel, une entreprise publique dirigée à un moment par Ali Ghodhbani. La pratique était très courante et existait dans un grand nombre de départements. Le journaliste se moque quelle partie le paie, puisqu’il pensait avoir affaire à l’Etat.
Erreur ! Il fallait qu’il vérifie d’où provenait son virement et il fallait qu’il dise à Ben Ali : « Non, je veux être payé par le ministère et non par la Sotetel ! ».
Comme tous les PDG de cette époque despotique, Ali Ghodhbani est parmi ceux qui ne savent pas et ne peuvent pas dire non à la hiérarchie.
Erreur ! Il fallait qu’il joue à la pointeuse et vérifie de lui-même si l’ensemble de ses 500 salariés sont réellement dans leurs bureaux ou sur le terrain. Il fallait dire à Borhène Bsaïes, figure médiatique très connue : « tu viens de suite au bureau après ton direct sur Al Jazeera, sinon je te licencie ! ». Mais voilà, il se trouve que d'après nos informations, Ali Ghodhbani aurait carrément quitté la Sotetel lorsque Bsaïes l'a rejointe !

Avant Oussama Romdhani et Borhène Bsaïes, d’autres PDG et ministres se trouvent en prison, et depuis des mois, pour des faits similaires d’emploi fictifs. L’exemple le plus célèbre est celui de Nébil Chettaoui et Rafaâ Dekhil, anciens PDG de Tunisair. On leur reproche de ne pas avoir licencié une nièce de Ben Ali. Le hic, c’est que dans cette politique de « deux poids-deux mesures », ce ne sont pas ces deux là qui ont recruté la nièce en question, mais d’autres PDG qui se trouvent, eux, en liberté.
Le hic également, c’est que cette politique d’emploi fictif menée par l’ancien régime, était très courante. Sanctionner tout le monde pour une pratique courante est déjà bête et contre-productif. Que dire alors si l’on va sanctionner à la tête du client, comme c’est le cas actuellement.

Autres prisonniers politiques qui continuent à croupir en prison, l’ancien ministre Abdelwahab Abdallah, le producteur Sami Fehri et les cinq anciens PDG de la Télévision tunisienne. Ceux-là, on leur reproche d’avoir échangé des programmes en contrepartie d’espaces publicitaires. Pratique tout à fait courante à l’époque et qui a été légalement autorisée la semaine dernière par le chef du gouvernement Ali Laârayedh. La question s’impose : pourquoi alors sept personnes se trouvent en prison pour une pratique que l’actuel chef du gouvernement estime indispensable pour la survie de la Télévision publique ?

La liste des prisonniers politiques ne s’arrête pas là, elle est beaucoup plus longue. Elle comprend des ministres et des personnalités qui ont dépassé les délais légaux de détention (Grira, Abdallah, Ben Dhia, Ghariani), des personnalités qui n’ont fait qu’obéir aux ordres ou n’ont pas eu le courage de dire non (Boubaker Lakhzouri), sans parler de ces personnalités (hommes politiques et membres de la famille) qu’on accuse du matin au soir d’avoir volé le pays, alors qu’on n’a toujours pas réussi à prouver un quelconque enrichissement.
En revanche, on sait que les ministres de l’actuelle troïka ne sont pas tous blancs comme neige. Les cas de Rafik Abdessalem, ancien ministre des Affaires étrangères, ou de Sihem Badi, actuelle ministre de la Femme, sont de parfaits exemples. Ils échappent à la justice ou à la sanction exemplaire, tout comme Samia Abbou, les assaillants de l’ambassade américaine ou les milices des LPR.
Ils parlent de protection de la révolution et veulent exclure certaines figures politiques. La vraie protection de la révolution passe, pourtant, par l’exclusion de pratiques que certains de nos actuels dirigeants sont en train de perpétuer !
03/06/2013 | 1
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