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Chroniques
Des ministres interchangeables, un président irremplaçable
Par Ikhlas Latif
07/02/2025 | 16:00
4 min
Des ministres interchangeables, un président irremplaçable

 

La scène est violente et résume à elle seule l’absurdité d’un pouvoir. Le président de la République, Kaïs Saïed, accompagné d’une caméra, s’introduit sans prévenir dans le bureau de Sihem Nemsia Boughdiri, ministre des Finances. Fidèle à ses méthodes de mise en scène autoritaires et théâtrales, il n’était pas là pour discuter, pas pour échanger, mais pour sermonner. Le ton était celui d’un instituteur en colère face à une élève fautive.


Une mise en scène humiliante

Face à lui, la ministre, debout, reçoit la leçon, muette. La mise en scène est soignée : le président parle, la ministre encaisse, impuissante. Puis, comme pour parachever l’humiliation, la présidence a publié la vidéo sur sa page officielle, s’assurant ainsi que l’affront soit rendu public. Un supplice transformé en spectacle.

Quelques heures plus tard, dans un mépris absolu de toute forme de respect, Sihem Nemsia Boughdiri est limogée sans cérémonie, sans remerciements, sans égards. Exit la ministre. Après près de quatre ans à la tête du ministère des Finances, elle est priée de disparaître aussi brutalement qu’elle a été humiliée. Une éviction exécutée dans le plus grand mépris comme si elle n’avait jamais existé. Un acte qui, en réalité, en dit bien long sur le fonctionnement du pouvoir en place.

 

Une conception pervertie du pouvoir

Mais que l’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas par compassion pour une ministre qui a adhéré, soutenu et défendu le projet présidentiel que cette scène nous pousse à l’indignation. Après tout, la ministre a cautionné et accompagné ce régime. Non, ce qui suscite la honte, c’est l’image désastreuse d’un chef d’État rabaissant publiquement un ministre, foulant aux pieds la fonction. Kaïs Saïed n’a cessé de proclamer qu’il est là pour restaurer le prestige de l’État.

Ce que le président a piétiné, ce n’est pas seulement une personne, c’est l’image de l’État lui-même. Celui-là même qu’il prétend défendre avec ferveur, celui dont il clame vouloir restaurer le prestige, celui qu’il affirme protéger contre les complots et les traîtres. Or, ici, en pensant démontrer sa puissance et son intransigeance, il ne fait que saper ce qu’il prétend incarner.

 

Derrière cet épisode se cache une conception profondément pervertie du pouvoir. Kaïs Saïd ne fait pas la distinction entre lui et l’État. À ses yeux, il est l’État, et l’État est lui. Les ministres ne sont pas des responsables politiques nommés pour exécuter une mission au service du pays, mais des serviteurs à sa botte, interchangeables, jetables. Leur existence ne se justifie que tant qu’ils servent son projet, et leur disgrâce doit être aussi brutale que leur ascension a été soudaine.

Ce n’est pas ainsi que l’on gouverne un pays. Un État n’est pas une propriété personnelle. Il n’appartient pas à un homme, aussi président soit-il. Un ministre représente l’État et, en l’humiliant publiquement, Kaïs Saïd n’a pas seulement rabaissé une fonctionnaire. Il a rabaissé l’État lui-même. En croyant démontrer sa force et sa rigueur, il n’a fait que mettre en lumière son propre mépris des institutions et sa conception archaïque du pouvoir. Gouverner par l’humiliation n’est pas gouverner. C’est détruire, petit à petit, ce qu’il prétend préserver.

 

Un pouvoir sans responabilité

Cependant, il faut le dire, cette scène ne surprend plus personne. C’est devenu la marque de fabrique d’un régime où les responsables sont des fusibles destinés à sauter à la première occasion, dès que le maître du palais a besoin d’un bouc émissaire pour masquer les échecs. Qu’importe que ce soit lui qui détienne tous les pouvoirs, qu’importe que les politiques qu’il impose échouent : la faute est toujours celle des autres.

Son pouvoir est pratiquement absolu, mais sa responsabilité, elle, est toujours nulle. Ce sont les autres qui échouent, jamais lui. Il ne se trompe pas, il ne commet pas d’erreurs, il ne fait pas de mauvais choix. Les fautifs sont ceux qu’il a nommés et qu’il se plaît à congédier avec fracas. C’est ainsi que l’on entretient l’illusion d’un chef infaillible qui, malgré les catastrophes qui s’accumulent, ne serait jamais responsable de rien.

 

Et que dire de la réaction des partisans du régime ? Hier encore, la ministre était encensée. Ils saluaient son rôle clé dans l’exécution du projet présidentiel. À peine limogée, la ministre est devenue un rebut politique. En un clin d’œil, les encenseurs ont applaudi son éviction dans un retournement aussi prévisible que pitoyable, démontrant encore une fois que cette caste n’a pas de principes, mais seulement des allégeances opportunistes. La seule chose qui compte pour eux, ce n’est pas la loyauté, ce ne sont pas les principes, c’est le vent… c’est suivre la direction qu’il prend.

Ce sont ces mêmes partisans qui, demain, seront les premiers à acclamer un nouveau pouvoir, un nouvel homme providentiel, un nouveau « sauveur ». Les mêmes qui, une fois le roi déchu, crieront haut et fort « Vive le nouveau roi ! ».

En attendant, le pays continue de s’enfoncer dans une farce tragique.

 

Par Ikhlas Latif
07/02/2025 | 16:00
4 min
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Commentaires
bta
Manière forte
a posté le 09-02-2025 à 18:38
KS un rouleau compresseur imprévisible qui utilise la manière forte. Dites moi, cette Nemsia a eu ce qu'elle mérite, elle était sans pitié aux commandes d'une machine à pomper les sociétés, les banques et les citoyens ( voire la loi de Finance 2025).
Idem pour les 2 derniers 1er Ministre une catastrophe au gouvernement. Le député qui disait on ne parle plus de la dizaine ( années) noire mais de vingtaine, a totalement raison. Le prochain c'est qui Jaffel
Quand on veut faire de la politique on assume ses succès et ses erreurs.
Zrig
Bonne analyse
a posté le 08-02-2025 à 20:08
Le président est toujours hors sujet
Fares
Echiquier
a posté le 08-02-2025 à 14:13
L'échiquier de l'ère rose post 25 se compose de trois pièces maîtresses: le Shah, le frère du Shah et la belle Reine. Toutes les autres pièces sont des pions anonymes (je ne prends même plus la peine de mémoriser les noms de ces ministres du jour), amorphes, jetables à la première occasion que le Shah est menacé. Le hic est que les pions sont en nombre fini, à un certain moment de la partie il n'y aura plus de pions à sacrifier. Que fera le Shah en ce moment, lorsqu'il ne restera plus que son Excellence, son frère et la belle Reine sur l'échiquier? Cette partie semble être perdue d'avance.
Rebel
Mme Ikhlas LATIF
a posté le 08-02-2025 à 11:17
Je partage l avis de certains lecteurs lorsqu ils décrivent positivement vos fines analyses. En revanche, personnellement, je crains pour vous et vos camarades que l 'ouragan s' abat sur BN . La Tunisie traverse un moment très difficile de son histoire et espérant que la situation ne vas pas aboutir à un fleuve de sang et champ de ruine. Puisque la majorité est passive et se laisse faire.. Il faudrait faire appel au 7 médecins qui ont statué sur le cas de Bourguiba 1987.
le financier
je suis curieux de connaitre les notes de la
a posté le 07-02-2025 à 18:13
je suis curieux de connaitre les notes de l ambassade de france , des USA et de la grande bretagne .
c est sur toute les universit2 du monde vont l inviter
Vladimir Guez
Cris d'orfraie
a posté le 07-02-2025 à 18:03
Un ministre n'est pas un élu. C'est un exécutant nommé et chargé de mener une politique.
Ce n'est pas une institution et il n'a pas mandat . On ne porte pas atteinte à l'Etat en virant sans ménagement un "collaborateur" comme dirait l'autre.
La manière manque de classe, de dignité et de savoir vivre , certes mais tous ces cris d'orfraie au sujet de cette affaire sont tirés par les cheveux.

En contre partie la responsabilité pèse sur celui qui l'a nommé. Et l'irresponsabilité quasi enfantine de ce Président , que vous avez décrite, est le principal problème dans la gouvernance de ce qui est devenu un bateau ivre , soumis aux caprices, aux colères et au vent.
A4
Une histoire de ... clou !
a posté le 07-02-2025 à 17:27
LE CLOU
Ecrit par A4 - Tunis, le 03 Février 2023

Ce n'était rien qu'une belle planche
Qui avait besoin d'un coup de rabot
Avait des taches brunes et blanches
Des petites bavures et des copeaux

Elle n'était pas en bois d'ébène
Ni dans un bois tendre de poirier
Elle a été, mais non sans peine
Découpée dans un tronc d'olivier

Elle sentait bien la terre fraîche
Reflétait un ciel bas, nuageux
N'était pas lisse mais plutôt rêche
Avec un caractère orageux

Mais je ne sais pourquoi ni comment
Un vieux clou entièrement rouillé
Vint soudain s'y planter bêtement
Avec son air de poule mouillée

Il était complètement tordu
Avec une tête bosselée
Venait du rayon des invendus
Mais ne sachant hélas où aller

Il tenait bon et il s'accrochait
Ne sachant où et comment partir
Comme un rescapé sur un rocher
Il ne voulait jamais déguerpir

Il s'arc-boutait, l'air très menaçant
Pointant vers le haut sa sale tête
Il sortait des cris assourdissants
Et se tortillait comme une mauviette

Il voulait prendre toute la place
Chassant les boulons et les rondelles
C'est certain qu'avec son c'?ur de glace
Il n'avait que la haine pour modèle

Devant toute cette stupidité
Moi je suis certain que pour bientôt
Une grosse main pleine d'agilité
L'assommera à coups de marteau

Il aura la tête au fond du trou
Plus jamais de paroles hystériques
Quitte à ensuite camoufler le tout
D'une bonne couche de mastic !
A1
Recherche Hommes d'Etat désespérément...
a posté le 07-02-2025 à 17:25
Bravo Mme Latif, vous avez tout dit. On n'a plus d'Etat, plus d'hommes et de femmes d'Etat, plus de respect des hauts commis, plus de reconnaissance de l'Etat pour ses serviteurs.
Une farce tragique dites-vous... Absolument, le roi est nu est très peu ont la lucidité pour le constater depuis maintenant six ans.
Disons que la farce avait commencé en 1974 avec un Bourguiba président à vie et les bénis oui-oui qui applaudissaient déjà... Cela avait continué avec un Ben Ali qui a tué toute vie politique et castré politiquement les hauts commis de l'Etat, et maintenant le comble... Un mab...l sad...que à tendances messianiques aux commandes...
C'est une malédiction qui colle à notre chère patrie.
Chelbi
Excellent texte
a posté le 07-02-2025 à 16:54
Encore une fois, bravo madame pour ce texte surtout le passage: 'son pouvoir est pratiquement absolu mais sa responsabilité est toujours nulle'?'.

Ce qui fait mal c'est que le désastre était complètement évitable avant le 25/7 si on a laissé de coté l'aveuglement idéologique et neutraliser quelques 'fachos'?' qui guettaient la transition démocratique.
A1
Incompétences...
a posté le à 17:30
Oui, mais ces nahdhaouis (comble de l'incompétence politique) qui font tomber leur propre gouvernement dirigé par le pas si mauvais Fakhfakh, la Abir qui faisait son cirque et les Karama qui jouaient aux petits caids... Tout avait été fait pour tuer le jeune projet démocratique qui génait vraiment tout le voisinage.
Un voyage de trois jours en Egypte printemps 2021 et le tour fut joué.
Chelbi
Vous avez raison
a posté le à 21:03
Tout à fait et je suis foncièrement convaincu que le braquage arme du pouvoir n'avait rien à voir avec la médiocrité de certains parlementaires.

Il était décidé sur la base d'un désir personnel de dévorer tous les pouvoirs peut être pour copier le modèle des dictatures arabes surtout après des visites éblouissantes chez eux.