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Chroniques
Le racket des hommes d’affaires
Par Nizar Bahloul
11/09/2023 | 15:59
7 min
Le racket des hommes d’affaires

 

Pour financer leurs partis et leur train de vie, les hommes politiques de la période 2011-2019 ont pratiqué, pendant ces années, un des plus vieux sports au monde, celui du racket.

Alternant la carotte et le bâton, ils ont poussé les hommes d’affaires tunisiens, les plus en vue, à étaler des chèques de dizaines et centaines de milliers de dinars.

Pour ce qui est du bâton, le deal était simple, soit tu paies, soit tu passes par la case prison. Pour justifier la prison, rien de plus simple, les hommes politiques de l’époque s’appuyaient sur le rapport très, très approximatif de Abdelfattah Amor. Pourquoi approximatif ? Parce que le rapport était totalement à charge contre l’ensemble des hommes d’affaires qui se sont enrichis sous l’ère Ben Ali. Il n’a laissé aucune place à la présomption d’innocence ni au doute. Il a laissé très peu de place à la défense dont les propos étaient bien inaudibles à cette époque. Il a mélangé les torchons et les serviettes. Il a présenté des chiffres fantasmagoriques. Dans n’importe quel pays où le droit était respecté, le rapport était à jeter à la poubelle. Au mieux, il pouvait constituer une base pour commencer une investigation pour chacun de ces hommes d’affaires, séparément. Bref, face à la prison dont les portes étaient grandes ouvertes à cette époque, les hommes d’affaires qui avaient des choses à se reprocher étaient prêts pour le racket et ils se sont laissés racketter avec succès puisqu’ils ont échappé à la prison. Ceux qui ont refusé le racket se sont trouvés derrière les barreaux, à l’instar de Djilani Daboussi, Sami El Fehri ou Khaled Kobbi.

Pour ce qui est de la carotte, le deal était encore plus simple. Tu allonges un chèque et je te refile un ou des marchés. Si tu allonges un gros chèque, non seulement je te refile un marché, mais je te mets en tête de liste pour les législatives pour devenir député. Ici aussi, le marché entre politiques-prédateurs et proies-opportunistes était un vrai succès. Pendant une certaine période, il y avait plus d’hommes d’affaires au parlement qu’au siège de l’Utica.

Tout ça, c’était avant. Depuis « tashih el massar » (correction de la trajectoire, titre pompeux qualifiant le putsch du 25 juillet 2021), les hommes politiques ne peuvent plus marchander avec les hommes d’affaires. Fini le racket ! Notre président est intègre, honnête et juste. Il ne fait pas de racket, il veut la justice. Mieux encore, il traque les corrompus là où ils sont pour récupérer l’argent du peuple spolié.

Pour atteindre son objectif, le président de la République a créé en mars 2022 une commission spéciale chargée de récupérer l’argent spolié. Elle a pour mission de proposer aux hommes d’affaires corrompus d’échapper à la case prison s’ils acceptent de rendre l’argent spolié ou s’ils investissent dans les régions défavorisées. L’idée (du président) est que les plus corrompus investissent dans les régions les plus défavorisées et que les moins corrompus investissent dans les régions les moins défavorisées. Si le projet est mené à terme, on aura des noms de bourgades portant des noms de famille de corrompus. Il suffit qu’il y ait un corrompu dans la famille pour que toute la famille soit désignée du doigt durant des décennies. Ça ne ressemble pas à du racket ? Mais non, voyons ! Le président est intègre et juste ! Il est le Robin des bois des temps modernes. Il enlève aux corrompus pour donner aux pauvres.

La commission en question a commencé son travail en novembre 2022 et avait six mois renouvelables une fois. Au bout de ces six mois, elle n’a rien ramené. Pas un dinar, pas un kopeck. Trois de ses membres, dont le président, ont été limogés. Il leur fallait un deuxième et dernier délai. Délai accordé. Au bout de trois mois, des deuxièmes six mois, la commission n’a toujours rien ramené. Pas un dinar, pas un kopeck !

Maintenant, le temps presse, on est à deux mois des deuxièmes six mois.

Conscient de la situation, le président de la République est allé rendre visite (pour la quatrième ou cinquième fois) aux membres de la commission. C’était vendredi dernier. « Il n’y a pas de discussion possible, ils doivent signer les chèques ! », a clamé le président qui rejette catégoriquement les questions liées aux procédures (chronophages à ses yeux), les expertises et les contre-expertises (douteuses à ses yeux). Et la présomption d’innocence ? Pour le président, il n’y a aucun doute possible sur la culpabilité des hommes d’affaires désignés dans le rapport de Abdelfattah Amor. Et comment fixer les montants dus, comment savoir si ces montant sont inférieurs ou supérieurs à ce qui a été réellement dérobé. « La commission évaluera à sa manière », répond le président.

Ça ne ressemble pas un peu à du racket ? Mais non, voyons ! Le président est intègre et juste ! Il est le Robin des bois des temps modernes. Il enlève aux corrompus pour donner aux pauvres.

Grâce au président et sa clairvoyance, à ne plus démontrer d’ailleurs, les pauvres vont avoir de l’argent bientôt. Certes, la commission de réconciliation n’a rien ramené en dix mois de travail, mais il est fort à parier qu’elle va collecter les 13,5 milliards de dinars dans les deux mois qui lui restent. Le président l’a dit et le président sait de quoi il parle !

Pendant que la commission de réconciliation travaille d’arrache-pied, sous l’œil vigilant du président, la vie continue.

Un des plus gros investisseurs du pays a été arrêté la semaine dernière. Pourquoi ? Une affaire d’argent. 

Un autre, tout aussi gros, a été interdit de voyage. Pour la énième fois. Pourquoi ? Une affaire d’argent.

Un autre qui se trouve déjà en prison (pour une affaire d’argent) s’est vu, la semaine dernière, accusé de l’assassinat d’une femme. Ce même homme d’affaires a fait l’objet d’une tentative de racket (enregistrée) il y a quelques mois. Le meurtrier a pourtant été arrêté, il a avoué son crime, il a participé à la reconstitution des faits devant les autorités judiciaires et a déclaré qu’il n’avait aucun complice. C’était juste un braquage qui a mal tourné, conduisant l’assassin à violer puis tuer sa victime. Peu importe ce qu’il dit, peu importent les preuves, l’homme d’affaires est mis en examen !

Quel est le rapport entre ces trois hommes d’affaires, les délais de la commission de réconciliation et la visite présidentielle ? Aucun ! Juste des coïncidences de calendrier.

Vous y croyez, vous, aux coïncidences de calendrier en politique ? Mais bien sûr, voyons ! Le président est intègre et juste ! Il est le Robin des bois des temps modernes. Il enlève aux corrompus pour donner aux pauvres.

Ce qui se passe avec cette commission et ces hommes d’affaires n’a-t-il pas une incidence négative sur le climat de l’investissement dans le pays et sa croissance ? Mais non voyons ! Le président sait ce qu’il fait ! Et, de toute façon, on n’a pas besoin de ces hommes d’affaires du vieux modèle économique libéral et capitaliste, le pays a besoin d’idées neuves.

Des idées neuves comme l’utilisation de l’intelligence artificielle dans son business ? Mais non voyons ! Le président ne croit pas du tout à cette déshumanisation réelle et a déjà apporté la solution avec les sociétés communautaires. Elles vont, sans aucun doute (mais vraiment aucun) révolutionner le système économique tunisien, voire mondial ! Ces entreprises foisonnent d’idées neuves et sont bien inscrites dans la mouvance de la politique présidentielle. Rien que la semaine dernière, le représentant de l’une d’elle a donné une interview pour parler de son magnifique projet de mettre du sable dans des sachets. D’autres ont lancé des fermes communautaires sur des terrains appartenant à l’État. Des terrains appartenant au peuple qui ont été octroyés de gré à gré, sans aucun respect des procédures. Le serpent qui se mord la queue ? Mais non, voyons, le président est intègre et juste vous dis-je !

Par Nizar Bahloul
11/09/2023 | 15:59
7 min
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Commentaires
FALLAG
Mais surtout sans les parasites..
a posté le 12-09-2023 à 13:44
On dit souvent que les personnalités politiques avec le grand Emir de Carthage, sont déconnectées et incapables de flotter dans un monde parallèle. Il s'agit pourtant d'un diagnostic erroné. Ces messieurs et dames font exactement ce qu'on leur demande.

Les personnalités des partis politiques, sans parler de Sakhafouna, sont les vrais coupables, car elles ont le monopole de la législation et de la jurisprudence et donc le pouvoir dans l'Etat. C'est ce pouvoir qui conduit à la corruption.

En présentant les "hommes de l'ombre" comme les vrais responsables, on ne fait que détourner l'attention des vrais coupables.

C'est comme si l'on déclarait un braqueur de banque innocent parce qu'il n'a pas pu obtenir l'argent autrement qu'en le volant.

Si je veux faire éffondrer une maison, je peux commencer à travailler péniblement du haut vers le bas, étage par étage, avec une boule de démolition.

Les nez avec leur argent, la banque centrale et leurs banques, résident quelque part relativement haut dans la maison, les médias peut-être au milieu, les fonctionnaires, les ministres, les partis etc. au-dessus ou en dessous. Mais tous se sont installés confortablement dans la maison.

Maintenant, au lieu d'avancer étage par étage, on peut faire s'effondrer la maison, l'hôte (le propriétaire), en plaçant une grosse charge explosive au rez-de-chaussée. Si la maison (l'Etat) s'écroule, les bandes parasites qui s'étaient si bien installées s'enfuient à l'extérieur. On peut alors reconstruire quelque chose de neuf - sans les vieux parasites de 1960 aussi.
CHKOBBA
Ce que je pense: Tout est une masse corruptible..
a posté le à 14:48
Mais les parasites s'installent à nouveau lorsque tu construis quelque chose de nouveau. Et ils y parviennent toujours, car il y a des gens corruptibles partout. La plupart des matérialistes sont corruptibles, c'est-à-dire qu'ils vendent leur grand-mère pour de l'argent - c'est une métaphore. On ne peut pas construire quelque chose de nouveau avec de telles personnes (PSD,RCD,NIDA, gauche et droite).

On pourra dire qu´il faut intégrer ces gens, mais aussi les contrôler ?
Cette idée de Ghannouchi / BCE s'est égarée, n'est-ce pas ?

Mais le contrôle ne fonctionne qu'au niveau communal. Au niveau du district et au plus tard du gouvernorat (et encore plus au niveau de l'Etat), il ne l'est déjà plus, car le président/ministre/gouverneur ne doit pas s'attendre à ce que je lui casse la tête s'il se laisse corrompre. Il est bien trop éloigné, déconnecté et s'entoure d'une armée de gardes du corps. Mon chef de communauté, lui, ne sait que trop bien que je peux lui monter sur le toit.

La réponse aux problèmes n'est donc pas l'Etat, ni un autre Etat, ni le retrait du pouvoir aux nez.

Les communautés libres comme le souhaite Sakhafouna ne peuvent pas exister en tant que telles et ne peuvent pas être intégrées, car tout est une masse corruptible. C'est logiquement moins le cas dans les petites sociétés, car cela se remarque, mais cela reste ainsi. La masse est corruptible et stupide. Cela ne changera jamais. C'est pourquoi le système de "liberté" ne fonctionne pas. Le "citoyen" choisira toujours la "sécurité" qu'on lui fait miroiter. Celui qui veut les deux perd tout.
takilas
Vous vivez dans une autre planète ou quoi ?
a posté le 12-09-2023 à 12:13
Pourtant tout le monde sait que c'est nahfha ou de même les proches de marzouki qui se sont enrichis ne laissant rien au peuple tunisien et dont l'état tunisie a laissé, en 2011, plusieurs ressources financières et plusieurs réalisations, que nahdha a mis la main dessus pour se permettre le luxe et l'octroi de luxueuses demeures.
riri
Il enseignait le droit réellement
a posté le 12-09-2023 à 09:41
Mais somment cet homme a t 'il pu enseigner le droit
Pegase
La "propreté" ne figure dans une étude sur les qualites requises chez un homme d'etat
a posté le 12-09-2023 à 09:13
On peut discuter si KS est oui ou non propre, honnête...ces mots dont se gargarisent ses fans. Mais ce dont on ne peut douter c les nombreuses académiques ( ou autres) effectuées sur la question. Ouvrez Google et jetez un coup d'oeil sur les études et témoignages relatifs aux qualités requises chez un homme d'état (en démocratie ou dictature, en occident et en orient, aujourd'hui ou autrefois) et vous allez voir que non seulement les mots propreté, honnêteté n y figurent pas, mais que kS n'a aucune des attributs d'un bon chef qui doit être d'abord rassembleur, charismatique, claire ds ses propos et le projet qu'il porte....KS revasse ou, manipule, on en débattre, mais ce qui est plus grave c que les électeurs et ses partisans (la plupart) sont hors jeu, hors système d'évaluation. Ils se croient intelligents ou convaincants en nous rabattant les oreilles par des mots creux..
G&G
Proportionnellement nous étions tous des corrompus
a posté le 12-09-2023 à 01:42
En 2011 à l'instar de l'études que j'avais faites pour sauver la jeunesse diplômée et en chômage en instaurant la retraite prématurée obligatoire et rapportée par BN(https://www.businessnews.com.tn/le-paradoxe-de-la-retraite-anticipée-obligatoire-dans-le-secteur-public,526,63858,3) qui malheureusement avait passé inaperçue par les décideurs, j'avais en parallèle réalisé une autre étude pour récupérer "l'argent spolié"
En effet partant du principe que tous les citoyens avaient profité de façon directe ou indirecte du régime de Ben Ali ou de El 3ahd EL Bated et que une bonne partie de cet argent a était dépensée pour l'acquisition, pourquoi ne pas changer le titre de propriété par une une carte magnétique dont l'acquisition nécessiterait le paiement d'une redevance ou un taxe de 2% de la valeur de la propreté immobilière ou des actions determinées par le pouvoir public. Cette taxe de réenregistrement (comme le poinçonnage de l'or) pourrait rapporter l'équivalent de 50% des recettes budgétaire de l'Etat.
stuc
je reve !!
a posté le 11-09-2023 à 22:16
moi ce que je retiens de tout ca ,c est que l etat propose aux speculateurs qui se sont enrichis frauduleusement d etre blanchis pourvu qu ils payent !
Gg
Séparation des pouvoirs
a posté le 11-09-2023 à 19:27
La corruption est vieille comme le monde...
En tous cas votre article démontre l'absolue nécessité d'un Parquet Financier (on dit Pôle Financier chez vous) doté de grands pouvoirs et surtout libre et indépendant.
On en revient toujours à la séparation des pouvoirs.
En France, le PF a mis fin aux exactions de corrompus de haut vol, incluant des ministres et de grands dirigeants, et je vous jure qu'il n'est pas au chômage!
Abidi
Génie
a posté le 11-09-2023 à 18:24
Comme tout le monde est bête et vous êtes le seul génie,il n'a jamais été question de racket c'était des marchés entre politiques pouilleux et hommes d'affaires corrompus sinon pourquoi accepter d'être racketter alors qu'on est clean et puis le problème du pays c'est les lobbies,les corrompus et les pouilleux et une énorme partie du peuple est concerné donc les commissions dont vous parlez et qui sont sensés traquer ces hommes d'affaires ont eux même des choses à se reprocher vu qu'ils avaient traité avec les gouvernements déchus et que par dessus le marché nos médias sont les meilleurs du monde côté décadence
Amazigh
tri selon Nizar
a posté le 11-09-2023 à 18:04
Si Nizar,j'aime bien comment tu fait le tri dans tes articles.
inocent, traitre patriote, extrémiste, moderniste...
Je peux faire un tableau avec les favoris et nes détestés par Nizar.....
Zarzoumia
Ommi sissi
a posté le 11-09-2023 à 17:47
C'est l'histoire d'ommi sissi, une dame intègre, maniaque sur les bords, elle n'arrête pas de balayer, elle adore ettathir. Bientôt sa fille rentre de l'école et elle n'a rien à lui proposer sauf un partère moins poussiéreux qui sent fortement la Javel. Elle a balayé toute la journée sans trouver le moindre sou. Ne sachant quoi faire pour nourrir sa fille, elle a attrapé le chat du voisin ( ya rabbi ach na3mel bih) et elle lui a coupé la queue. Le chat pleurait, la suppliant de lui rendre sa queue. Ommi sissi raja3li b3ibissi. Ommi sissi lui a promis de lui rendre sa queue à condition de lui ramener du poisson.
La morale de l'histoire, pour pouvoir remuer sa queue il faut ramener le poisson.
Une autre version de cette histoire parle de l'eau pour avoir de l'herbe, de l'herbe pour avoir du lait et du lait pour avoir des poissons. Mais tout ça, c'est trop compliqué pour ommi sissi, ça demande beaucoup de travail. Ommi sissi ne sait faire que balayer et jeter de la Javel.
Fares
@Zarzoumia
a posté le à 21:57
Je suppose que l'histoire de Ommi Sissi peut aussi s'appliquer à Bou Sa3dia, comme ça on pourra vraiment parler de pêche et de remuage de queue.
NBA
Ecchaab yourid
a posté le 11-09-2023 à 16:38
Comme disait Winston Churchill « Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais c'est peut être la fin du commencement ».
Hbib
Yaadh
a posté le à 18:13
Vous êtes sûr que c'est Churchill Vous ne confondez pas comme notre Yaadh national, j'espère...