Opération « Mani Pulite », le retour…
L’opération dite « Mani Pulite », mise en veilleuse depuis des semaines, a récemment repris de plus belle. Elle a été déclenchée de manière spectaculaire un certain 23 mai 2017, avec l’arrestation, en une seule journée, de quelques gros bonnets de la contrebande et à leur tête Chafik Jarraya, suivie de celle des non moins célèbres Yassine Chennoufi, Néjib Ben Ismaïl et Ridha Ayari. Retour sur les derniers développements…
Au cours de cette opération, toutes les personnes accusées ont été arrêtées selon les dispositions de la loi d’urgence. Elles ont été placées en résidence surveillée en attendant leur transfert devant le Pôle judiciaire et financier. Seul Chafik Jarraya est appelé à comparaître devant la justice militaire puisqu’il est accusé, outre de contrebande, de complot contre la sûreté de l’Etat et de connivence avec l’armée d’un pays étranger.
Le chef du gouvernement avait assuré, sur le coup, qu’il s’agissait d’une « action de longue haleine qui allait se poursuivre ». Du côté des sceptiques, nombreuses personnes évoquaient une simple campagne limitée dans le temps et dans l’espace. On l’avait qualifiée de « sélective », dans le sens où, d’autres personnes soupçonnées de corruption auraient dû être touchées par les arrestations mais ne l’ont pas été.
Avec le temps, ces thèses commençaient à trouver écho puisque les arrestations ont marqué le pas. En effet, à part quelques affaires de moindre importance dont celle des médicaments avec l’arrestation de plus de 20 personnes et l’émission de 4 mandats de dépôt, la pause de près de quatre mois a été jugée comme étant trop longue.
Entretemps, et avec la présentation des nouveaux ministres de son gouvernement fortement remanié, Youssef Chahed a tenu à parler cette fois-ci, d’une stratégie de lutte contre la corruption avec le déclenchement d’une véritable guerre contre les contrebandiers et les corrompus.
La suite des faits vient de lui donner, en grande partie, raison. A peine vingt jours après son passage devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour l’obtention de la confiance des élus, voilà qu’on a enregistré, au cours de la seule journée du samedi 23 septembre 2017, l’arrestation de cinq gros bonnets de la contrebande.
Réputés pour leur implication dans le trafic portuaire, notamment à Radés, les malversations douanières et le commerce illicite tous azimuts, ces barons ont été appréhendés avec annonce préalable. Ceci prouve que les services sécuritaires étaient sûrs de leurs dossiers ficelés, apparemment, bien à l’avance.
Or, là encore, les mauvaises langues ont trouvé à redire. On qualifie cette dernière opération de « régionaliste » dans la mesure où les cinq présumés suspects sont, tous, originaires de la région de Sfax. Tous ont, pourtant, été arrêtés conformément aux dispositions de la loi d’urgence
Sur ce point précis, les mêmes contestataires estiment que cette procédure constitue une sorte de solution de facilité. Les autorités se retrouvant, ainsi, exemptes de présenter la moindre explication ou justifications des motifs détaillés des arrestations, ni sur la durée des détentions et leurs lieux.
Il est utile de mentionner que compte tenu de l’organisation de ces gros bonnets et du fait qu’ils soient entourés des meilleurs avocats de la place, le gouvernement recourt, de son côté, à des formules exceptionnelles pour pouvoir les coincer et les empêcher de se dérober.
L’autre facteur exploité par les détracteurs de la guerre anticorruption est celui soulevé par l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC). En effet, Chawki Tabib, président de l’instance, affirme qu’on ne fait pas suffisamment confiance à l’INUCC qui se retrouve. Il estime que si l’instance a été écartée de la campagne anti-corruption menée par Youssef Chahed, « c’est parce qu’on ne lui fait pas confiance». Il considère, ainsi, que le chef du gouvernement est le seul responsable, officiellement, de ladite stratégie.
Et autre argument brandi par les septiques consiste dans le fait qu’une guerre de longue haleine en la matière exige la mise en place de mécanismes et autres outils adéquats pour lui garantir le maximum de chances de succès. Ce qui, selon eux, n’a pas été le cas, jusqu’à présent.
Un des derniers points relevés par ceux qui mettent en douté la « sincérité de cette lutte » est celui de l’arrestation de l’homme d’affaire Ali Hlioui qui est passée presque inaperçue. Tout d’abord, les autorités officielles ont très peu communiqué sur ce dossier, pourtant, très grave puisque la malversation consisterait en une action de blanchiment d’argent et autre escroquerie portant sur une somme d’argent de l’ordre de près de 500 millions de dinars.
Il faut dire que les observateurs soupçonnent que ce black-out soit motivé par le fait qu’Ali Hlioui est connu pour être proche du mouvement Ennahdha et un ancien homme d’affaires faisant partie du cercle rapproché du clan de la famille de l’ex président Ben Ali.
En tout état de cause, pour réussir, la guerre contre la corruption devrait bénéficier de l’adhésion de toutes les parties, aussi bien partis politiques qu’administration et simples citoyens qui doivent, dans leur globalité, faire confiance en la bonne volonté et la bonne foi de Youssef Chahed et de son équipe gouvernementale.
Il faut se mettre à l’esprit, en effet, que l’affaire ne s’annonce pas de tout repos. Il y a à peine quelques mois, l’idée même de s’attaquer à l’un des « barons » déjà arrêtés, était impensable. Qui aurait prédit l’arrestation de Chafik Jarraya qui n’hésitait pas à s’attaquer publiquement et médiatiquement à toutes les personnalités, et ce en toute impunité. On se rappelle qu’il tournait en dérision, Youssef Chahed en personne en affirmant avec grande assurance « qu’il ne pouvait même pas arrêter un chevreau » !
Qui aurait prédit qu’on pouvait introduire une action en justice contre le « multimilliardaire » Slim Riahi, président de parti politique disposant d’un fort bloc parlementaire et président d’un grand club populaire de la place ?!
Le chef du gouvernement l’a fait et continue à agir dans le même sens tout en affirmant, encore et toujours, qu’il est en train de mener une guerre et non une campagne.