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Reportage à la frontière tuniso-libyenne
24/02/2011 |
min
Reportage à la frontière tuniso-libyenne
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Les premières estimations évaluent à dix mille le nombre de Tunisiens ayant déjà quitté la Libye suite à la détérioration de la situation sécuritaire chez le voisin du Sud. L’infrastructure frontalière limitée de Ben Guerdane est réduite et risque de se faire submerger par ce flux. SOS humanitaire !
C’est le comité local de Ben Guerdane de soutien à la révolution, formé par diverses composantes de la société civile (syndicalistes, avocats, médecins, etc.) qui assure la prise en charge des flux de Tunisiens désemparés qui fuient la Libye.


La prise en charge commence dès le point frontalier de Ras Jedir, portail Sud de la Tunisie. Des tentes sont installées sur place pour offrir aide médicale, repos et nourriture. Des taxis et des estafettes assurent le transport vers la ville de Ben Guerdane. Elle se poursuit au village en les aidant à regagner leurs régions d’origine, surtout que la majorité des Tunisiens ayant fui la Libye ont été dépossédés de leurs biens. Plusieurs bus assurent des navettes vers plusieurs régions de la République selon les priorités.
La maison de culture a été par ailleurs ouverte pour offrir un abri à ceux qui n’ont pas trouvé le transport adéquat. Mais ces efforts louables risquent d’être très insuffisants lorsqu’on sait qu’il y a plus de 200.000 Tunisiens installés en Libye et que ce flux ne serait, semble-t-il, qu’à son début.
Mais que peut faire le petit village de Ben Guerdane qui a reçu, en l’espace de quelques jours seulement, près de 10.000 Tunisiens si l’on sait que l’Italie a décrété l’état d’urgence humanitaire suite à l’arrivée de 5600 Tunisiens en Sicile et à Lampedusa durant la deuxième quinzaine de janvier ?



Les citoyens locaux ont fait preuve d’un sens de citoyenneté et de solidarité à toute épreuve mais ils risquent d’être débordés et d’être dépassés par les événements qui se précipitent à une vitesse vertigineuse, surtout que la situation va crescendo et que les histoires racontées par les arrivants ne tranquillisent point, tant elles réunissent des similitudes sur l’agressivité inhabituelle avec laquelle Tunisiens et Egyptiens ont été traités par leurs ‘frères Libyens’. Plusieurs Tunisiens ont été malmenés et dépouillés de leurs biens avant de rentrer chez eux.
Samir, un licencié en économie âgé de 35 ans, originaire de Djerba et travaillant dans le secteur du pétrole à Mesrata, raconte comment « les comités populaires nous ont fait subir des fouilles humiliantes et systématiques ». « Ils nous ont demandé de nous mettre à genoux et nous ont agressivement tabassés avec les crosses de leurs armes. Ils ont pris tout notre argent et les autres biens que nous avions en notre possession », poursuit-il sans oublier « les prix excessivement chers pour aller de Tripoli à la frontière (70 dinars contre 10 dinars d’habitude) et les difficultés rencontrées sur notre route pour traverser les différentes villes à cause de l’état généralisé de la révolte populaire ».
Samir attire notre attention, à la fin de son témoignage, sur le fait que « ce sachet en plastique est tout ce que j’ai pu ramener avec moi après une année de labeur à Mesrata ». Le sachet en question contenait un jogging utilisé et une paire de chaussures d’été (chlaka). « Je possède certes de l’argent en banque et chez mon patron mais je ne suis pas sûr que je vais pouvoir le récupérer et si je vais le retrouver un jour », s’interroge-t-il.



Telles furent également les conditions de retour de Mourad, ce menuisier de 25 ans travaillant depuis deux ans à Tripoli. Il précise, en plus, que « les étrangers sont spécialement visés ». « Tunisiens et Egyptiens sont accusés d’être à l’origine de la révolution en Libye », explique-t-il.
La situation difficile dans laquelle se trouvent ces Tunisiens rentrant de force de Libye ne les a pas empêchés de s’indigner de la position adoptée par l’Occident. « Comment se fait-il que ces pays dits démocratiques ne bougent même pas le petit doigt contre ce qui se passe en Libye alors qu’ils ne cessent de nous prodiguer des leçons en matière de libertés ? », s’est interrogé Mohamed, un mécanicien de 28 ans qui a émigré il y a moins de trois mois en Libye.
« Il est clair que Sarkozy, Berlusconi, Obama et les autres ne pensent qu’aux intérêts économiques de leurs pays en dépit de toutes les valeurs humanitaires. Le communiqué de l’Union européenne est très mou. Il insiste sur le rétablissement de l’Internet et s’inquiète sur les risques de croissance des flux d’immigration clandestine vers l’Europe. Pour sa part, Mme Clinton n’a parlé qu’hier après le bain de sang et les centaines de victimes », poursuit-il en attirant l’attention de la communauté internationale sur « la situation humanitaire difficile en Libye. « Même les employés sur les champs pétroliers ne sont plus régulièrement ravitaillés en produits alimentaires. Les camions frigos sont pillés en cours de route ».

Il y avait certes de l’indignation généralisée face à « cette hypocrisie occidentale qui n’a du libéralisme que la face » mais il y avait aussi du recul dans l’analyse de la situation. « Les Libyens restent malgré tout nos frères. Nos sangs sont mélangés. On ne saurait vivre éternellement séparés. Bon nombre de Libyens sont mariés à des Tunisiennes. Même chose du côté tunisien », affirme plus d’un Tunisien malgré la détresse.

Mounir Ben Mahmoud
Notre envoyé spécial à Ras Jedir
24/02/2011 |
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