
L’avocat Abdessatar Messaoudi a indiqué que l’Ordre national des avocats de Tunisie se penchera, dans le cadre d’une réunion le 10 janvier 2024, sur l’affaire liée à Mannoubi Ferchichi et à d’autres enquêtes en cours. L’ordre a, aussi, décidé de ne plus aborder cette affaire médiatiquement et de laisser la chose aux mains de la justice.
Invité à la même date par Hatem Ben Amara à « Sbeh El Ward » sur Jawhara Fm, Abdessatar Messaoudi a indiqué qu’il respectait la décision de l’Ordre national des avocats de Tunisie au sujet du traitement médiatique de l’affaire de Mannoubi Ferchichi. Il a déploré le non-respect de la législation et des procédures juridiques. Il a expliqué, à titre d’exemple, qu’un juge d’instruction ne pouvait se prononcer au sujet d’un accusé qu’après son audition. Or, ceci n’a pas eu lieu. Émettre un mandat de dépôt sans audition est, d’après lui, contraire au code des procédures pénales.
« Le corps des avocats et ses structures étaient connus pour leur férocité… Ce n’est plus le cas… Une pétition circule et appelle à la libération des détenus se trouvant à la prison civile de la Mornaguia… Une réunion de l’ordre aura lieu aujourd’hui… Une autre réunion tenue par les bases de l’ordre portant sur la situation du pays et sur l’attaque sans précédent visant les avocats… On n’avait pas vu de telles choses en temps de Ben Ali ou de Bourguiba », a-t-il critiqué.
Abdessatar Messaoudi a rappelé que certains avocats se trouvaient en prison depuis plus d’un an. Il a expliqué que la loi autorisait dans des cas extrêmes et comme durée maximale une détention de quatorze mois. Néanmoins, dans le cadre de l’affaire de complot, les rapports ont été faits et les éléments de l’enquête sont supposés avoir été collectés. Le juge d’instruction doit soumettre l’affaire au parquet. Il n’est pas amené à se prononcer sur une affaire. L’enquête aurait pu se dérouler tout en laissant les accusés en liberté.
« Le monde entier adopte comme principe la liberté… La détention n’est décidée qu’en cas de crime grave… Certains utilisent le bracelet électronique… En cas de saisie de la cour de cassation, l’accusé passe une journée en prison afin que la justice puisse se prononcer au sujet de la requête… J’ai plaidé durant la première affaire de complot… Je m’attendais à des preuves. Mais, suite à l’enquête, j’ai constaté l’absence d’éléments dans le dossier… La lenteur dans le traitement de certaines affaires résulte d’une défaillance au niveau logistique… Certaines affaires n’ont pas été résolues alors que les parties concernées sont décédées », a-t-il poursuivi.
Abdessatar Messaoudi a, aussi, indiqué que le mouvement des magistrats était responsable de la chose. Le changement des juges d’instruction implique que ces derniers seront amenés à étudier de nouvelles affaires toutes les deux années. Il a assuré que le même phénomène pouvait être observé dans d’autres pays tels qu’en France.
Sur un autre plan, Abdessatar Messaoudi a assuré qu’il ne représentait pas Hafedh Caïd Essebsi, fils de feu Béji Caïd Essebsi, ancien président de la République. Abdessatar Messaoudi a assuré avoir seulement représenté l’ancien chef de l’État. Il a, également, indiqué que Hafedh Caïd Essebsi faisait l’objet d’une enquête liée à la gestion du parti Nidaa Tounes, dont il s’était emparé à la suite de plusieurs conflits politiques.
Dans un autre contexte, Abdessatar Messaoudi a estimé que la révision du décret-loi n°13, du 20 mars 2022, portant sur la conciliation pénale, avait compliqué davantage les choses. « La révision porte sur sept articles… La durée des expertises, dans l’ancienne version, ne dépassait pas les vingt jours… Dans la nouvelle version, il n’y a pas de délais… Nous avons l’habitude de faire appel à des experts… Dans le cas de prêts impayés, l’expertise dure trois mois… Comment allons-nous faire cela en vingt jours pour une personne ayant des biens, des actions, des comptes bancaires et des voitures ? Va-t-on bâcler les dossiers ? », s’est-il exclamé.
Abdessatar Messaoudi a affirmé que la conciliation pénale s’appliquait à toute personne faisant l’objet d’une sentence ou d’une enquête, ou auteur de faits pouvant être qualifiés comme étant des infractions économiques. Il a critiqué le flou entourant les dispositions du texte. La commission chargée de la conciliation pénale peut se saisir d’une affaire ou initier de sa propre volonté le processus.
« Le rôle de l’avocat est estompé… Il peut déposer la demande de conciliation en tant que représentant de la personne concernée… Il peut suivre l’avancement du processus de conciliation… La décision du conseil national de sécurité ne peut faire l’objet d’un appel… Il s’agit d’un texte pénal… Il touche à la liberté et aux biens d’autrui. Or, c’est une administration, relevant du pouvoir exécutif qui s’en charge… Elle est sous la tutelle de la présidence de la République… Théoriquement, toute personne exprime son opposition en faisant appel au tribunal administratif ou judiciaire », a-t-il dit.
Abdessatar Messaoudi a expliqué qu’il y avait trois types de conciliation : totale avec le versement de l'intégralité de la somme due, temporaire avec le paiement de 50% de la somme due et le reste sur trois mois et une autre conciliation avec le versement de 50% de la somme due et la réalisation d’un projet de développement. Dans ce troisième cas, le projet est soumis au conseil de sécurité nationale afin d’accepter, refuser ou réviser le projet. Pour ce qui est des personnes ayant bénéficié de la conciliation à travers le processus de justice transitionnelle, elles peuvent être appelées à entamer une conciliation pénale malgré cela. Il a, aussi, révélé qu’un processus de conciliation à travers l’engagement des hommes d’affaires dans des projets de développement, mais que l’ancien chef du gouvernement, Youssef Chahed s’était écarté de ce chemin. Il a transformé la chose en transactions.
Concernant la révision de la législation en matière de chèque sans provision, Abdessatar Messaoudi a expliqué que la suppression de la peine de prison n’était pas la solution. Il a appelé à se pencher sur des exemples de législation d’autres pays. Il a évoqué la possibilité d’élaborer un système permettant de consulter le solde bancaire de la personne émettant un chèque avant de l’accepter.
Quant au décret n°54 liberticide, Abdessatar Messaoudi a estimé que le texte symbolisait la plus grande régression de la Tunisie depuis la révolution. Il a indiqué qu’en Suisse les sanctions étaient purement pécuniaires et non accompagnées d’une peine de prison.
S.G

