
Par Sofiene Ben Hamida
La présidente du Parti Destourien Libre (PDL), Abir Moussi, a été transférée, une nouvelle fois, vers une prison de la région de Jendouba. Ce n’est pas son premier transfert : elle avait déjà été déplacée de la prison de La Manouba vers celle de Belli, dans la région de Nabeul.
La question simple qui se pose est : pourquoi tout cet acharnement, non seulement contre la présidente du PDL, mais aussi contre l’ensemble des prisonniers d’opinion et les détenus politiques du pays, qui subissent les mêmes pratiques ?
La seconde question, plus complexe, consiste à se demander jusqu’à quand cet état d’absurde et d’arbitraire va durer.
Un système pénitentiaire qui ajoute de la peine à la peine
La prison est une peine douloureuse et frustrante, car elle prive l’individu de sa liberté. Mais en aucun cas, elle ne doit le priver de ses autres droits fondamentaux : santé, salubrité, dignité.
Malheureusement, les pratiques en vigueur dans nos établissements pénitentiaires ne respectent pas toujours ces exigences. Les prisonniers sont souvent soumis à des traitements banalisés, pourtant proches de l’illégalité, qui s’ajoutent à leur peine initiale et la rendent plus insupportable.
Parmi ces pratiques : le « safari intercarcéral », ces transferts répétés d’un établissement à un autre. Bien plus qu’une mesure administrative, le transfert est une forme de pression psychologique. Il déstabilise le détenu, le prive de ses maigres repères dans un environnement déjà hostile. Il doit alors s’adapter à de nouvelles règles, de nouveaux visages, un nouvel univers carcéral.
Mais ces déplacements ne perturbent pas que le détenu. Ils affectent également ses avocats et sa famille, contraints à parcourir des distances parfois longues pour quelques minutes d’entretien. À la peine d’emprisonnement s’ajoutent ainsi des peines parallèles pour tous ceux qui entourent le détenu.
Quand la médiatisation révèle ce que l’omerta étouffe
Nombreux sont ceux qui critiquent les médias pour ne s’intéresser aux conditions carcérales que lorsqu’elles concernent des figures politiques, des hommes d’affaires ou des personnalités connues. Cette critique n’est pas infondée.
La réalité carcérale est la même pour tous : la majorité des détenus sont des prisonniers de droit commun. Mais en Tunisie, une loi du silence, une omerta, règne sur l’univers carcéral depuis des décennies. Ce qui se passe en prison reste en prison — parfois par honte, souvent par peur de représailles en cas de récidive.
Paradoxalement, l’incarcération d’une personnalité connue offre une fenêtre médiatique sur un système opaque. Elle permet aux journalistes d’accéder à plus d’informations sur le quotidien carcéral, et à l’opinion publique de mieux comprendre ce que vivent des milliers d’anonymes derrière les barreaux.
Une réforme en profondeur, urgente et incontournable
Il est devenu indispensable de réformer non seulement le système carcéral, mais aussi l’ensemble du système judiciaire. Pour cela, un débat national s’impose entre tous les acteurs concernés : administration pénitentiaire, ministère de la Justice, ordre des avocats, société civile.
Dans l’immédiat, certaines mesures concrètes pourraient transformer profondément l’image de la justice tunisienne : libérer la parole en abrogeant le décret liberticide 54 ; élire démocratiquement un Conseil supérieur de la magistrature réellement indépendant ; réhabiliter le tribunal administratif et enfin créer le tribunal constitutionnel tant attendu.
Enfin, sur le plan politique, il est crucial de reconnaître la pluralité. Les opposants ont pour vocation de s’opposer, par tous les moyens non violents, au pouvoir en place. Dans cette compétition, le pouvoir, lui, ne peut et ne doit pas instrumentaliser les ressources de l’État pour affaiblir ses adversaires. L’urne doit rester le seul arbitre légitime entre les différentes forces en présence.

