Nous sommes racistes, et alors ?
Par Ikhlas Latif
Disons-le une bonne fois pour toutes et qu’on en finisse, arrêtons de nous cacher la face et de feindre l’étonnement, le Tunisien est foncièrement raciste et il serait tout bonnement hypocrite de dire le contraire.
Il ne s’agit pas là de généraliser, mais les faits sont les faits. Une grande partie du bon peuple tunisien rejette les noirs qu’ils soient concitoyens ou étrangers. On constate cette discrimination même au sein des familles d’un certain niveau d’instruction et d’ouverture. On l’entend souvent cette phrase « Je n’ai rien contre les noirs, mais… ». Mais quoi ? De celui qui refuse catégoriquement que son enfant épouse un noir, de ceux qui les comparent sans ciller à des animaux ou qui les considèrent comme une « race » inférieure vouée à l’esclavage, on a l’embarras du choix.
La situation des Tunisiens noirs traités en citoyens de seconde zone a été un tabou pendant longtemps. Après la révolution, les langues ont commencé à se délier. Les associations militaient ouvertement pour que cesse la ségrégation. Les témoignages d’agressions verbales ou physiques se multipliaient, les réseaux sociaux aidant, nous renvoyaient une image hideuse d’une société « suprémaciste ». Honteux est ce racisme bel et bien ancré en cette Tunisie qui se targue des droits de l’Homme et des libertés durement acquises. Honteuse est cette mentalité raciste, qui s’assume et n’est pas prête d’évoluer.
Les noirs ont payé un prix élevé à cause d’une simple couleur de peau. Toutes les violences qui leur ont été historiquement infligées, toutes les exploitations dont ils ont souffert, notre pays y a participé et pas qu’un peu. La période de la traite négrière en est le témoin. C’est ainsi que dans la mémoire collective du Tunisien, on associe les hommes et les femmes noirs aux descendants des esclaves et par extension à des hommes de seconde zone.
Affligeante réalité. Avec l’arrivée de centaines d’étudiants subsahariens venus étudier dans les universités tunisiennes, ce racisme sous-jacent s’est exacerbé. Rien qu’hier, une étudiante burkinabè témoignait, choquée, d’une agression raciste. Cette agression n’est pas un cas isolé, le racisme en Tunisie revêt plusieurs formes allant d’actes discriminatoire à des violences verbales et physiques. Un racisme qui trouve son expression au sein même de notre dialecte local. Au passage de personnes noires dans la rue ou dans les discussions de tous les jours, vous avez sûrement entendu quelqu’un les qualifier de « Kahlouch » ou de « Wessif » (Ndlr. Nègre/esclave).
Le buzz qui a suivi l’apparition d’un présentateur météo noir, le premier jour de ramadan, sur la chaîne nationale, reflète l’étendue de la ségrégation en Tunisie. Que la chaîne nationale ait fait le choix de mettre en avant un noir est louable, sauf que normalement cela ne devait pas constituer un événement en soi. En temps normal, ce recrutement aurait pu passer inaperçu. Nous sommes à des années lumières d’une société égalitaire quand on sait que les jeunes diplômés noirs peinent plus que d’autres à décrocher un travail, lorsque l’on voit rarement un noir dans un poste de décideur ou un homme politique de couleur…
Hier aussi, un député de l’Assemblée des représentants s’est affiché fièrement avec l’hôtesse de l’air de la compagnie nationale victime d’une passagère raciste. C’était à l’occasion de la discussion du projet de loi portant sur la discrimination raciale. Parce qu’aujourd’hui après des années à trainer dans les tiroirs de l’assemblée, le sujet ne semblant pas prioritaire pour nos élus, la Tunisie s’apprête à adopter une loi criminalisant cette discrimination. En dépit des réserves émises par les associations antiracistes, le débat est ouvert et le vide juridique sera comblé, en espérant que les mentalités soient bousculées dans la foulée.