1000 femmes et un président
Plus de mille femmes étaient à l’honneur à la grande fiesta présidentielle du 13-août. Sur leur 31, avec leurs robes de cocktail, leurs coiffures impeccables et perchées sur des talons hauts, les femmes tunisiennes ont envahi…pardon embelli les jardins présidentiels de Carthage le temps d’une après-midi. Les invitées étaient de tous âges, tous les corps de métiers y étaient : les agents de la douane et de la sécurité avec leurs fabuleux uniformes, les journalistes et femmes des médias avec leurs jolies robes, les juristes et politiques avec leurs beaux tailleurs, les jeunes étudiantes avec la fraicheur de leurs robes à fleurs et les artistes et le charme de leurs tenues traditionnelles... La gent féminine a répondu présente à cette invitation présidentielle où, le temps de déguster des macarons et de siroter une citronnade bien fraîche, on parlait féminisme et droit des femmes. Où le temps d’une après-midi ensoleillée, on se réjouissait de lois vieilles de 59 ans.
« La femme tunisienne va bien », déclara notre hôte et président, du haut de son pupitre. Celles qui en veulent plus devront prendre leur mal en patience, finit-il par lâcher. En Tunisie, les femmes tunisiennes vont tellement bien qu’en gros, elles n’ont plus besoin de grand-chose. Elles ont tout ce à quoi une femme normalement constituée pourra aspirer...hormis l'égalité entre l’homme et la femme concernant la tutelle sur leur progéniture, une mesure qui sera prochainement rectifiée, tel qu'annoncé par le président dans son discours. Bon point ! « L’égalité de l’héritage ? » ce n’est pas d’actualité pour le moment et cela devra attendre, déclare Béji Caïd Essebsi applaudi par une audience venue célébrer la commémoration de la promulgation du code du statut personnel.
Ce code vieux de 59 ans qui fait encore la fierté des Tunisiennes aujourd’hui et qu’on leur brandit à tout bout de champ pour rappeler (à ces ingrates) à quel point leurs droits sont jalousement protégés et qu’elles n’ont rien à demander de plus.
Les femmes ne devraient pas se plaindre d’être sous-payées (dans certains secteurs) en comparaison avec leurs homologues masculins, de se heurter à un plafond de verre lorsqu’elles aspirent à des postes de responsabilité ou d’être sous-représentées dans la vie politique, diplomatique ou dans tout ce qui est en rapport avec les hautes responsabilités. Les femmes n’ont aucune raison de faire l’objet de moqueries dignes du moyen-âge, d’être au centre de stéréotypes obsolètes ou de rester dans un moule lié à un statut d’éternelle assistée. On fait des lois qui imposent la parité dans les assemblées, dans les entreprises et les structures de l’Etat, on prononce de beaux discours pour parler du rôle de la femme et de son statut inégalable et on lui chante moult louanges pour clamer haut et fort qu’elle jouit d’un statut privilégié. Pourquoi se plaint-elle ? Tout ceci n’est-il pas suffisant ?
Les lois sont là et elles datent de plus de 59 ans déjà. On a donné à la femme le droit de divorcer si elle le souhaite, le privilège d’avoir un mari à elle seule et la chance de ne plus être mariée de force, sans son consentement. Voilà qui est formidable !
Depuis 59 ans, la femme a droit aux mêmes privilèges que ceux dont l’homme a toujours bénéficié. Peu importe si, dans cette même loi, la notion de viol conjugal n’existe pas, si le violeur s’en sort en épousant sa victime, si la mère n’est qu’à moitié le tuteur de ses enfants, si les femmes qui souhaitent épouser un étranger doivent se heurter à des procédures fastidieuses ou si elles ont droit à la moitié de l’héritage de leurs frangins. Tout ceci devra attendre parce qu’aujourd’hui les femmes tunisiennes doivent plus se battre pour sauvegarder leurs droits vieux de plusieurs décennies que d’en réclamer de nouveaux. Les femmes tunisiennes n’ont pas le droit de l’ouvrir, sous peine d’être cataloguées d’ingrates, parce que les lois sont de leur côté. Peu importe si les mentalités sont dignes du moyen-âge et peu importe si les lois ne sont pas toutes appliquées dans les faits. La femme devra avoir honte de remettre en question cet héritage et de critiquer ses acquis. Elle devra subir des injustices en silence, être battue parce qu’elle l’a mérité, renoncer à des ambitions de carrière qui ne sont pas faites pour elle et faire des remarques sexistes et dégradantes son lot quotidien.
Le13-août reste une date symbolique. Non car la femme a besoin d’être fêtée ou que des cérémonies devront être organisées en son honneur mais pour rappeler que le chemin reste encore long et que de réelles actions devront encore être annoncées, sans gêne ni honte. Parce que les femmes ne devront jamais se satisfaire des acquis et que, plus que de les préserver contre un éventuel retour en arrière, elles devront aspirer à mieux, se battre contre des préjugés et des stéréotypes tenaces et s’imposer autrement qu’à travers une législation qui a rendu fières leurs grands-mères…