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Chroniques
Les futures élections seront un bordel
05/05/2014 | 15:59
7 min
Par Nizar BAHLOUL

Les futures élections en Tunisie ressembleront vraisemblablement à un véritable bordel. Que les pudiques m’excusent, mais il ne saurait y avoir d'autre mot pour décrire ces premières élections de la IIème République. Pour organiser le scrutin, il faut qu’il y ait un terrain favorable. Or le terrain que l’on prépare actuellement ne présage rien de bon. Bien qu’il y ait partout des revendications démocratiques, on sent et on voit clairement les airs despotiques et calculateurs des différents acteurs politiques de l’ANC, pères fondateurs de la Constitution, censés appliquer et respecter drastiquement la loi.

Trois faits ont eu lieu la semaine dernière autorisant ce diagnostic sceptique.

L’article 167 relatif à l’exclusion des acteurs politiques de l’ancien régime n’est pas passé au vote. C’est une excellente chose en soi, seuls les électeurs ont le droit de sanctionner qui ils veulent. On n’a pas, sous une démocratie qui se veut respectable, à concocter des lois sur mesure pour exclure X ou Y. Cet article a été rejeté in extremis, il y avait 108 voix pour, alors qu’il en fallait 109. Non satisfaits par ce résultat, les députés ‘’exclusionnistes’’ ont exigé et obtenu un deuxième vote. Usant, une énième fois, de la pirouette de l'article 93 du règlement intérieur, les élus ont fait repasser un article quasi-identique que celui refusé en plénière.
Là s’annonce le premier signal d’avertissement. Ce n’est pas parce qu’un résultat nous déplait que l’on doit repasser un vote. Ce n’est pas une première diriez-vous ? Oui, sauf que pour les suffrages précédents, il y avait des défaillances techniques justifiant ces deuxièmes votes et il n’y avait pas une insatisfaction des résultats obtenus. Et quand bien même il y en a eu, cela n’aurait jamais dû se passer et il fallait crier au scandale. Il est impératif que les députés soient les premiers à montrer l’exemple et à accepter les résultats d’un suffrage.
Ce deuxième vote relatif à l’article 167 est un prélude pour d’autres violations électorales. Qu’est-ce qui nous empêchera, demain, de refaire les élections si les extrémistes islamistes ou les RCDistes l’emportaient ? Après tout, il y a bien un précédent.
Autre enseignement de cet article 167, l’hypocrisie de certains députés. Parmi ceux qui ont voté pour l’exclusion, figurent certains qui n’ont pas cessé de bécoter avec les RCDistes et les lobbyistes les plus décriés. Mehdi Ben Gharbia, Mahmoud Baroudi et Moncef Cheïkhrouhou, à titre d’exemple. Devant les caméras, on les voit décrier le retour des figures de l’ancien régime. Derrière les caméras, on les voit comme cul et chemise. Non, cette hypocrisie ne présage rien de bon pour l’avenir.

Le deuxième fait qui autorise le scepticisme est les désignations des membres de l’Instance Vérité et Dignité, cette instance censée mettre en application la Justice transitionnelle. Sur les quinze membres « désignés », il y a au moins deux qui n’ont pas le droit, légalement parlant, d’y figurer. Il s’agit du militant Khemaïs Chammari et de la « salariée des Droits de l’Homme » Sihem Ben Sedrine.
M. Chammari était député MDS en 1994. Selon l’article 22 de la Loi organique 2013-53 du 24 décembre 2013, relative à l’instauration de la Justice transitionnelle et à son organisation, il est interdit à tout candidat à l’instance d’avoir exercé un mandat parlementaire ou assumé une responsabilité au sein du gouvernement, à partir du 1er juillet 1955. Ce n’est pas le cas de Khemais Chammari et pourtant sa candidature est passée. Il est indéniable que M. Chammari ait été un militant farouche sous Ben Ali. Nul ne pourrait remettre en doute son intégrité. Sa compétence est bien réelle, voire prouvée, et son apport à la Justice transitionnelle est incommensurable. Sauf que voilà, la loi est la loi et elle doit être, plus que jamais, respectée. On est en train d’inaugurer une nouvelle page dans l’Histoire de la Tunisie et on ne saurait la commencer avec de pareilles violations, au vu et au su de tous. Il vaut mieux exploiter la compétence avérée de M. Chammari en dehors de cette instance que de l’intérieur, car par cette violation légale, on jette le doute sur l’ensemble de la Justice transitionnelle. Mais son cas est loin d’être le pire.

La deuxième candidature, celle de Sihem Ben Sedrine, viole l’article 21 de cette même loi. Selon le volet III de cet article, les conditions requises pour la candidature sont : la compétence, l'indépendance, la neutralité et l'impartialité. Selon le volet V de ce même article, l’autre condition requise est l’absence d’antécédent de faillite frauduleuse. La compétence de Mme Ben Sedrine est sujette à caution. Elle n’est pas indépendante, puisqu’elle a été une véritable rentière, durant des années, de différentes organisations internationales. Elle n’est pas neutre et n’est pas impartiale et elle l’a prouvé à plusieurs reprises à travers ses différentes sorties avec les LPR ou encore son association avec un des hommes d’affaires qui ont fait leur beurre sous l’ancien et le nouveau régime. Quant à la question de la faillite frauduleuse, il est bon de rappeler que son entreprise « Kalima SARL » est en forte difficulté, qu’elle a cessé de fonctionner concrètement et qu’une partie de son personnel est actuellement aux prud’hommes après l’avoir accusée de différentes charges qui pourraient porter atteinte à l’honneur. Le 24 février dernier, dans ces mêmes colonnes, j’écrivais un article intitulé « Sihem Ben Sedrine, la mercenaire qui veut être juge » expliquant et démontrant pourquoi sa candidature dérange. Cette femme ne saurait être intègre après ses différents mensonges. Les plus célèbres d’entre eux sont les allégations d’existence de containers de fausses barbes ou encore le fait qu’elle n’assume aucune fonction dirigeante au sein de Kalima (vidéo à l’appui) alors qu’il y a une annonce au JORT qui prouve le contraire (cliquer ici pour voir). Comment peut-on désigner un membre qui dit des contrevérités dans une instance censée chercher la vérité ? Comment peut-on désigner un membre qui n’a pas respecté la dignité de ses salariés dans une instance censée rétablir la dignité ?
Partie comme elle est, et avec ces deux violations avérées seulement, la Justice transitionnelle ne sera pas juste et sera remise en doute par tous ceux qui vont y passer. Imaginez maintenant que cette instance épingle de futurs candidats à la présidentielle ou aux législatives. Ce sont toutes les élections qui seront ébranlées. Si untel ne plait pas à cette instance, elle aura la possibilité de le convoquer et d’empêcher sa candidature. On voit dès maintenant les polémiques qui vont caractériser cette période. Ce sera un véritable règlement de comptes et des deals seront négociés pour écarter toute candidature menaçant des amis des membres de l’Instance. Et si une personne refuse de se soumettre à la convocation de cette instance, elle sera passible de six mois de prison ferme. Quant aux abus supposés, du passé ou du futur, de certains membres de cette instance, la loi a fait de telle sorte de leur accorder l’immunité. Aucun recours possible !

Le troisième fait qui autorise le scepticisme quant au bon déroulement des futures élections est lié au code électoral. Un code qui va permettre à tous les charlatans et hurluberlus de se présenter aux élections en profitant de l’argent du contribuable. On est en pleine crise, on peine à combler le déficit du budget de l’Etat, mais on légifère en parallèle des textes autorisant des dépenses faramineuses. Et qui financerons-nous ? On va donner de l’argent à Brahim Gassas, Sonia Ben Toumia, Bahri Jelassi et Abderraouf Ayadi pour qu’ils se présentent de nouveau aux élections ! Non seulement, on ne met pas de garde-fous pour empêcher ces candidatures fantaisistes, mais on les finance avec notre argent (rare) en plus ! Il ne faut pas être grand expert en prospective pour voir ce que cela va donner sur terrain. L’électeur tunisien va se trouver devant des dizaines de candidatures pour la présidentielle et des milliers pour les législatives. Exactement comme en 2011. Le résultat final sera un parlement fragile, incohérent et incapable de légiférer et de diriger le pays. De grandes nations profondément démocratiques, comme l’Italie et la Belgique, ont été ébranlées par de tels parlements. Que dire alors de la Tunisie à la démocratie balbutiante ?

Avec ces trois faits majeurs, comment peut-on qualifier les futures élections autrement que par … un bordel !
05/05/2014 | 15:59
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