L’athéisme, une maladie mentale ?
Par Ikhlas Latif
« Dans notre pays, l’irréligiosité et l’athéisme sont une maladie mentale. Faire du camping et être actif dans le milieu associatif sont des signes suicidaires… », telles sont les paroles de Nouha rédigées depuis l’hôpital psychiatrique Razi. Il n’en fallait pas moins pour que la polémique éclate. De qui condamnant un internement abusif et une atteinte à la liberté de conscience, de qui mettant en doute le motif, et bien sûr y’en a ceux qui soutiennent cette décision qui permettra à une jeune égarée de revenir sur le bon chemin !
C’est que le père de Nouha, imam au ministère des Affaires religieuses a déposé plainte pour que sa fille soit internée. Le procureur de la République a répondu présent et a ordonné une hospitalisation d’office. D’après l’avocat de Nouha, le gentil papa considère que sa fille est athée et qu’elle se comporte contrairement aux normes ! La jeune fille se retrouve donc internée dans d’affreuses conditions, contrainte à ingurgiter des médicaments et ne pouvant utiliser de téléphone (sauf en cachette).
La mésaventure de Nouha, quel que soit son véritable motif, nous rappelle, en premier lieu, que dans notre société où le rigorisme religieux regagne du terrain, où le conservatisme moral prévaut, la liberté de ne pas croire n’est qu’un mythe.
Oui, un mythe ! Parce que dans nos contrées, le non-croyant est un marginal qui souffre d’une intolérance généralisée et d’une violence, sous-jacente certes, mais qui peut se manifester à tout moment. Le fait de proclamer son incroyance publiquement en Tunisie, peut en effet constituer un véritable danger pour ceux ou celles qui le revendiquent. Le non-croyant tunisien se tait, s’autocensure, même au sein de son cercle familial ou d’amis. Ses convictions, il doit bien se garder de les manifester en société, de crainte de subir une violence d’autant plus insidieuse que la norme voudrait que ce soit la religion qui doit être protégée, non l’absence de sentiment religieux…
C’est tout de même bien la liberté de croyance et de conscience qui est protégée par l’article 6 de la constitution. Cela ne supposerait aucunement qu’on fasse une distinction entre la liberté de croire et celle de ne pas croire.
Pour le moment, on ne peut se baser que sur le seul témoignage de Nouha et ses défenseurs. Le motif de son internement n’a pas encore été révélé par les médecins, secret médical oblige. Certains psychiatres n’excluent pourtant pas la possibilité qu'elle ait été effectivement hospitalisée pour seule cause d’athéisme, partant du fait que plusieurs personnes aient été, à maintes reprises, internées abusivement sur la base de considérations religieuses. Parce qu’il faut le dire, certains médecins pensent, par exemple, que le suicide ou l’homosexualité sont « haram » et doivent être soignés en renforçant le sentiment religieux du « patient ». Cela n’exclue donc pas ceux qui affichent des croyances qui sortent de la norme établie.
Toutefois, ce drame que traverse la jeune fille de 19 ans a eu le mérite de délier les langues de plusieurs médecins sur ce qu’ils considèrent comme une aberration législative. Le débat est lancé sur la loi régissant l’hospitalisation d’office et les conditions d’internement, notamment le fait qu’un médecin généraliste puisse statuer sur l’état mental du patient et le fasse interner. Mais encore, après l’ordre d’hospitalisation émis par le juge, le patient doit attendre 48h, tout en étant interné et obligé à prendre des psychotropes, à ce qu’un psychiatre statue sur son cas.
Selon la loi, la personne hospitalisée d’office ne peut sortir que lorsque le médecin psychiatre exerçant à l'établissement d'hospitalisation déclare, en vertu d'un certificat médical, que celle-ci peut être ordonnée. Dans ce cas, le directeur de l'établissement d'hospitalisation est tenu d'en référer dans les quarante-huit heures au président du tribunal territorialement compétent qui statue sans délai et en informe la direction de l'hôpital dans les quarante-huit heures qui suivent, passé ce délai, la levée d'hospitalisation d'office est acquise de plein droit.
Ainsi, cet article controversé, dispose que la personne internée d’office, soit enfermée dans un service psychiatrique, contre sa propre volonté, en attendant le résultat de l’examen médical qui jugera au final si oui ou non elle souffre de troubles mentaux. N’est-ce pas une mesure abusive susceptible d’entrainer des dérives et des injustices ?
Dans le cas de Nouha, qu’elle souffre ou non de troubles (ceci sera établi par le rapport psychiatrique), la jeune fille est doublement victime. Victime de l’intolérance d’une société qui exclut tous ceux qui sont différents. Victime des failles d’un système juridique qui voudrait qu’une personne soit internée de force par un tiers sans pouvoir se défendre dans les 48h qui suivent.