Immobilier : Vers une crise des "subprimes" en Tunisie ?
La Tunisie se dirigerait-elle vers une crise des "subprimes" ? C’est ce que redoutent certains professionnels du secteur même si la comparaison reste hasardeuse. La hausse des prix des intrants conjuguée à celle de la nouvelle TVA et aux hausses successives du TMM, les promoteurs broient du noir. Etat des lieux.
Depuis quelques années, la hausse des prix et la baisse du pouvoir d’achat ont fini par rattraper le secteur immobilier. Les délais de constructions sont de plus en plus long, les matériaux et prestataires de plus en plus chers, alors qu’en parallèle le Tunisien peine de plus en plus à joindre les deux bouts.
Les années 2017 et 2018 ont été particulières pour le secteur au niveau des Lois de finances et les nouvelles dispositions qu’elles comportaient, avec la hausse des droits d’enregistrement des biens immobiliers dépassant les 500.000 dinars et l’imposition d’une nouvelle TVA de 13% et qui passera à 19% à partir du 1er janvier 2020.
Mais, c’était sans compter avec les surprises réservées par 2018 et les deux hausses du taux directeur de la BCT de 175 points de base, qui passe de 5% à 6,75%. Ce qui a compliqué davantage les choses, le tout avec des textes applicatifs publiés 3 mois après la LF2018 et privant de surcroit les promoteurs de la récupération de TVA, augmentant de ce fait les prix des biens immobiliers.
D’ailleurs, certains professionnels du secteur ne cachent pas leur crainte : une éventuelle crise des subprimes en Tunisie, la crise financière qui a touché le secteur des prêts hypothécaires à risque dans plusieurs pays. Bien que le président de la Chambre syndicale nationale des promoteurs immobiliers Fahmi Chaâbane ait écarté ce scénario, eux estiment que tous les ingrédients sont réunis. Après tout, la crise des subprimes aux Etats-Unis en 2007 a débuté par une hausse des taux directeurs de la Réserve fédérale, ce qui a créé un renchérissant du coût du remboursement des prêts.
Certes pour le moment, la hausse du taux d’intérêt directeur ne sera pas appliquée sur les crédits logements comme décidé l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF), mais la hausse est appliquée aux crédits contractés par les promoteurs et le sera sûrement pour la comptabilisation des futurs prêts de logement. Le pouvoir d’achat étant en baisse et l’inflation en hausse, certains Tunisiens, pour ne pas dire une grande majorité, n’auront plus les moyens de contracter des crédits logements.
Le tout corrélé à une hausse du prix de l’immobilier en Tunisie qui n’a pas cessé de flamber, à cause de la hausse des prix des matières premières, des terrains et le manque d’ouvriers qualifiés. A ceci s’ajoute, un laxisme de l’administration tunisienne, de nouvelles impositions, une baisse du rendement des opérateurs et un désordre social qui sont à l’origine des retards dans la réalisation et la finalisation des projets en cours, ce qui affecte la qualité des produits immobiliers et engendre une augmentation de leurs coûts.
Pire, les promoteurs subissent aussi la concurrence d’intrus et de spéculateurs qui aggravent encore plus la situation, n’étant pas soumis aux mêmes règles et contraintes que les professionnels du secteur.
Ainsi, les décisions de gros investissements tels que l’achat de biens immobiliers sont ajournées voire même annulées. En effet, le retard de publication des textes applicatifs a eu un effet néfaste et désastreux sur les promoteurs. Ils ont coïncidé avec l’arrivée du mois de ramadan suivi de Aïd El-Fitr, des vacances estivales, de Aïd El Idha puis de la rentrée. Des mois à très fortes dépenses et donc où les Tunisiens, temporisent des achats qu’ils considèrent comme n’étant pas urgents. Donc au final, les promoteurs se trouvent privés de 9 mois de travail.
D’ailleurs, les chiffres publiés par les sociétés immobilières cotées en bourse sont assez éloquents et montrent une baisse significative de leurs chiffres d’affaires de plus de la moitié, dus au double impact TVA et lenteur dans la publication des textes applicatifs.
En voulant gagner plus de recettes fiscales, l’Etat s’en prive au même moment. Un comble. Le chiffre d’affaires des promoteurs ayant baissé, donc l’Etat touchera moins d’impôt sur le bénéfice et ayant vendu moins de biens, l’Etat aura moins de TVA et moins de droits d’enregistrement.
En plus, le secteur est en train de vivre une crise. Fin mai dernier, Fahmi Chaâbane annonçait que depuis le début de l’année et jusqu’à cette date, seulement 24 appartements ont été vendus. Ce qui explique le désarroi des professionnels du secteur et leur peur d’une crise des subprimes.
Quand le bâtiment va, tout va et inversement. L’immobilier est un thermomètre de la santé économique des pays. Lorsque le secteur vit une crise, il s’agit d’un indicateur important à prendre en considération. Entre l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, il est devenu difficile à un citoyen lambda d’acquérir sa maison. En parallèle, les promoteurs ne peuvent pas abaisser leurs prix, car ils ont des coûts à couvrir.
L’Etat devra trouver des solutions, en baissant même temporairement les impositions sur le secteur, garantir des terrains constructibles à prix raisonnables aux promoteurs pour baisser les coûts. Et pourquoi pas ouvrir l’achat de biens aux étrangers à partir de certaines fourchettes hautes, permettant de ce fait aux promoteurs de se renflouer et aux caisses de l’Etat des entrées conséquentes.
Imen NOUIRA