
Le non-Maghreb a un coût assez conséquent pour les pays membres. En effet et selon les différentes études réalisées, l’intégration commerciale permettait d’augmenter la croissance et d’améliorer le niveau de vie et ceci grâce aux économies d’échelle et la création d’un vaste marché intégré de près de 100 millions de consommateurs. Les taux de croissance des pays membres pourraient être relevés en moyenne de 1 % et même de 2,5 points s’ils parvenaient à diversifier leur économie, rehausser la qualité de leurs produits, etc.
Dans une récente étude intitulée "L’intégration économique du Maghreb : Une source de croissance inexploitée", le département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI) revient justement sur le coût du non-Maghreb, un sujet largement abordé, dont tous les pays et dirigeants sont conscients des atouts et potentiels, mais qui n’arrive bizarrement pas à être concrétisé.
Principaux indicateurs économiques de la région Maghreb
En effet, les échanges intra régionaux représentent moins de 5% du total des échanges des pays qui le composent (contre 70% en Europe), soit un pourcentage nettement inférieur à celui observé dans tous les autres blocs commerciaux régionaux du monde. «Des considérations géopolitiques et des politiques économiques restrictives ont empêché l’intégration régionale. Les politiques économiques, guidées par des considérations nationales prêtant peu d’attention à la région, ne sont pas coordonnées. Les restrictions aux échanges et aux mouvements de capitaux restent importantes et freinent l’intégration régionale pour le secteur privé», estiment les économistes du FMI.
Directions des échanges et des investissement
Le Maghreb couvre près de 6 millions de kilomètres carrés et compte une centaine de millions d’habitants. A l’exception du Maroc et de la Tunisie, les pays du Maghreb exportent une gamme réduite de produits. Malgré les dispositions institutionnelles existantes, les échanges commerciaux intra maghrébins restent maigres et aucun des cinq pays du Maghreb n’a pour principal partenaire commercial un autre pays de la région. Le gros des échanges du Maghreb s’effectue avec l’Europe.
Reflétant l’état de la coopération économique régionale, l’intégration financière transfrontalière reste limitée. En outre, les migrations officielles à l’intérieur du Maghreb semblent marginales, bien que la liberté de circulation ait été l’un des objectifs de l’Union du Maghreb arabe (UMA).
Flux commerciaux intrarégionaux
Les raisons du manque d’intégration au Maghreb sont complexes et nombreuses. On peut notamment citer l’application de politiques restrictives en matière d’échanges et d’investissement, la présence d’obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges, l’insuffisance des infrastructures régionales et des facteurs géopolitiques (notamment les désaccords entre l’Algérie et le Maroc).
Ainsi, les pays du Maghreb ne se voient appliquer de plus faibles droits de douane dans leurs échanges avec l’Europe que quand ils commercent entre eux. Par ailleurs, les échanges intra régionaux se heurtent aussi à de très nombreuses entraves non tarifaires, comme par exemple, le coût moyen des exportations qui est l’un des plus élevés du monde. A cela s’ajoutent d’autres obstacles comme la multiplicité des barrages routiers, les temps d’attente aux points de passage des frontières et la longueur et les défaillances des procédures de dédouanement. Les restrictions aux frontières ont souvent plutôt été durcies qu’assouplies pour protéger les intérêts nationaux, ce qui a créé d’autres possibilités de recherche de rente.
Intégration financière
La faiblesse des réseaux maghrébins de transport terrestre et aérien gêne aussi notablement l’intégration commerciale de la région. Les quatre modes de transport (mer, air, route et rail) sont insuffisamment développés à l’exception du transport maritime.
Les restrictions aux mouvements de capitaux qu’imposent tous les pays du Maghreb sont plus importantes que celles appliquées en moyenne dans les pays de comparaison et les restrictions frappant les sorties de capitaux sont à peu près les mêmes dans toute la région.
La faible étendue des migrations intra maghrébines peut tenir à plusieurs facteurs économiques et non économiques. Les migrants maghrébins préfèrent souvent tenter leur chance sur des marchés plus matures (principalement européens).
Une intégration plus poussée entre les pays du Maghreb a un sens en termes économiques. Ces pays sont stratégiquement situés entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne et jouissent d’une proximité culturelle et linguistique. S’ils étaient intégrés, ils pourraient tirer parti d’économies d’échelle, attirer davantage d’investissements étrangers, créer des chaînes de valeur régionales et mieux les intégrer dans les chaînes de valeur mondiales, et renforcer leur capacité de négociation conjointe, ce qui permettrait d’accroître les échanges régionaux et d’accélérer la croissance. Une plus grande intégration apporterait des avantages substantiels à la région grâce à des économies d’échelle. Cela créerait un vaste marché intégré de près de 100 millions de consommateurs. Le PIB régional par habitant était d’environ 4.000 dollars en valeur nominale et de l’ordre de 12.000 dollars en parité de pouvoir d’achat. Par ailleurs, une telle région intégrée, dotée de règles communes en matière de commerce et d’investissement, résisterait mieux aux répercussions éventuelles de l’escalade des conflits commerciaux mondiaux.
Un marché intégré créerait de fortes incitations dans les domaines suivants : entrées d’IDE, innovation et transferts de technologies. Mais, à l’heure actuelle, les pays du Maghreb négocient individuellement, souvent avec des partenaires commerciaux beaucoup plus importants et leurs blocs, alors que la plupart des autres régions négocient en groupe.
Selon de multiples estimations quantitatives, l’intégration régionale au niveau du Maghreb présente d’importants avantages en termes de bien-être. Il est impossible d’estimer avec précision ses effets potentiels sur la croissance et le commerce, mais diverses estimations laissent entrevoir la possibilité de réaliser des progrès considérables sur le plan du bien-être.
Dans l’ensemble, il a été démontré que l’intégration commerciale permettait d’augmenter la croissance et d’améliorer le niveau de vie. L’impact de la libéralisation du commerce sur la croissance a généralement été jugé positif. Par exemple, des calculs effectués à titre indicatif à partir de panels semblent indiquer que, sous l’effet conjugué d’une plus grande ouverture commerciale, d’une participation accrue aux chaines de valeurs mondiales (CVM), d’une diversification des exportations ou de la qualité des produits, les recettes pourraient augmenter de quelque 5 à 10% d’ici cinq à dix ans dans un pays émergent ou un pays en développement moyen. Une plus grande intégration au sein du Maghreb, parallèlement à des réformes structurelles plus larges, pourrait être une solution efficace pour atteindre ces objectifs et relever le taux de croissance à moyen terme des pays concernés. D’après les projections, la croissance annuelle moyenne sur la période 2018–23 est de 1,6% en Algérie, 3,9% en Libye, 3,4% en Tunisie, 4,1% au Maroc et 5,5% en Mauritanie. Ces taux de croissance pourraient être relevés en moyenne de 1 point de pourcentage si les pays du Maghreb s’ouvraient davantage, de 0,7 point s’ils renforçaient leur participation aux CVM, de 0,6 point s’ils diversifiaient leur économie, de 0,2 point s’ils rehaussaient la qualité de leurs produits, etc. Les bénéfices éventuels de l’intégration maghrébine devraient augmenter lorsque commencera la reconstruction de la Libye. D’autres estimations des effets possibles de l’intégration sur la croissance, qui pourraient valoir pour le Maghreb, donnent des résultats analogues.
Pour intégrer leurs économies, les pays du Maghreb devraient réduire les obstacles aux échanges et à l’investissement et relier leurs réseaux d’infrastructure. Ils devraient axer leurs efforts sur la libéralisation des échanges de biens et de services et celle des marchés financiers et des marchés du travail. La levée progressive des obstacles aux échanges intra régionaux, la construction d’infrastructures régionales et l’amélioration du climat des affaires stimuleraient les échanges au sein du Maghreb et permettrait d’intégrer davantage les chaînes de valeur mondiales.
Un raffermissement de la demande émanant de leurs partenaires commerciaux traditionnels en Europe générerait un surcroît de recettes, qui pourrait en partie servir à compenser les coûts initiaux d’une intégration intra- Maghreb plus large. De nouveaux investisseurs, dont la Chine à travers son initiative «La Ceinture et la Route», pourraient susciter des investissements supplémentaires au Maghreb au cours de la prochaine décennie. Si les pays du Maghreb coordonnent leur coopération avec la Chine dans le cadre de cette initiative, alors ces investissements pourraient être en partie utilisés au profit de l’intégration intra régionale.
En outre, le FMI se dit prêt à appuyer les tentatives d’intégration des pays du Maghreb. Il peut apporter un soutien dans le cadre d’accords financiers en Mauritanie (via sa facilité élargie de crédit), en Tunisie (mécanisme élargi de crédit) et, jusqu’à une date récente, au Maroc (ligne de précaution et de liquidité). Le FMI propose aussi une assistance technique et une formation dans tous les domaines macroéconomiques. Si les pays du Maghreb décident d’accélérer leur intégration régionale, le mécanisme d’intégration commerciale et l’assistance technique sur la politique et l’administration fiscales et douanières sont des outils pour appuyer leurs efforts.
Gains de croissance découlant de l’intégration commerciale
Pour résumer, l’intégration du Maghreb ne doit pas être considérée comme une finalité en soi, mais plutôt comme un outil pour atteindre les objectifs communs, qui sont importants pour chaque pays du Maghreb et pour la région dans son ensemble. Une plus grande intégration entre les pays du Maghreb se justifie sur le plan économique. Elle rendrait la région plus attrayante pour l’investissement direct étranger, réduirait les coûts des échanges intra régionaux et des mouvements de capitaux et de main-d’œuvre, et améliorerait l’efficience de la répartition des ressources. Cela renforcerait aussi la résilience du Maghreb face aux chocs exogènes et à la volatilité des marchés. L’intégration du Maghreb peut jouer un rôle important dans une stratégie visant à favoriser une plus forte croissance dans la région.
Diverses estimations suggèrent que l’intégration régionale pourrait, à long terme, contribuer à augmenter la croissance d’un point de pourcentage en moyenne dans chacun des pays du Maghreb. L’intégration pourrait entraîner un doublement des échanges intra régionaux qui soutiendrait la croissance et augmenterait l’emploi.
Le Maghreb est une opportunité pour l’ensemble des pays membres qu’ils devraient saisir ensemble pour sortir du marasme économique et profiter d’une croissance supplémentaire permettrant la création d’emplois et des conditions de vie meilleure. La Tunisie, plus que tout autre, et vu les conditions actuelles du pays, devrait veiller plus que les autres à mettre en place les bases de cette union régionale qui permettrait à tous de devenir une puissance régionale qui a son poids et son mot à dire. A méditer.
Imen NOUIRA
