Promotion immobilière : Un secteur en train de sombrer !
La nouvelle TVA imposée sur l’immobilier et non récupérable, a été un coup de massue pour les promoteurs. Alors que le secteur souffrait déjà des hausses des différents intrants, il subit une nouvelle taxe dont les textes applicatifs ont été publié 3 ou 4 mois après la loi, le tout conjugué aux hausses successives du TMM, plombant de ce fait l’activité. Les chiffres des sociétés cotés en bourse jusqu’à fin septembre sont assez éloquents. Ainsi, en cherchant à avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière, le gouvernement a perdu sur tous les plans avec des recettes en moins et surtout un secteur en crise systémique.
Les trois sociétés cotés en bourse ont publié leurs chiffres jusqu’à fin septembre et le constat est sans appel : les baisses des chiffres d’affaires sont conséquentes avec des diminutions de la moitié ou de plus de la moitié. Le revenu pour les neuf premiers mois de la Société immobilière tuniso-tsaoudienne (SITS) est passé de 4,4 millions de dinars (MD) à 2,54 MD, celui d’Essoukna est passé de 14,11 MD à 7,57 MD et celui de Simpar est passé de 8,77 MD à 3,75 MD.
Des promoteurs nous ont confié que les chiffres d’affaires de certains ont baissé des deux tiers. Dans les couloirs, on raconte que la Société nationale immobilière de Tunisie (Snit) n’a vendu que deux appartement pour un montant de 160.000 dinars, une information qui reste difficile à vérifier. Mais tous nos contacts parlent de crise. Ce qui est sûr, c’est que jusqu’à fin mai dernier, le président de la Chambre syndicale nationale des promoteurs immobiliers Fahmi Chaâbane avait annoncé que depuis le début de l’année et jusqu’à cette date, seulement 24 appartements ont été vendus.
En effet, le retard de publication des textes applicatifs a eu un effet néfaste et désastreux sur les promoteurs. Ils ont coïncidé avec l’arrivée du mois de ramadan suivi de l'Aïd El-Fitr, des vacances estivales, de l'Aïd El Idha puis de la rentrée. Des mois à très fortes dépenses où les Tunisiens temporisent des achats qu’ils considèrent comme n’étant pas urgents. Donc au final, les promoteurs se trouvent privés de 9 mois de travail.
En voulant gagner plus de recettes fiscales, l’Etat s’en prive au même moment. Un comble. Le chiffre d’affaires des promoteurs ayant baissé, donc l’Etat touchera moins d’impôt sur le bénéfice et ayant vendu moins de biens, l’Etat aura moins de TVA et moins de droits d’enregistrement.
Une grande majorité de la population pense que les prix pratiqués par les promoteurs immobiliers sont trop chers par rapport à certains autres biens vendus. Sauf que la réalité des choses est bien plus compliquée.
En effet, les promoteurs dénoncent justement l’entrée sur le marché de l’immobilier de concurrents intrus et de spéculateurs non-professionnels et non-conventionnels (avocats, médecins, hôteliers etc…), bouleversant ainsi les bonnes règles et pratiques du secteur. Ces concurrents ne sont pas obligés de respecter les mêmes règles que les promoteurs, n’ont pas les mêmes charges et peuvent ne pas déclarer leurs bénéfices. Les promoteurs, pour leur part, sont obligés de respecter les cahiers des charges et les diverses normes outre les procédures en vigueur. Des frais supplémentaires qui se répercutent bien sûr sur le prix de vente.
Autre facteur déterminant, la hausse de tous les intrants sans exception, que ce soit à cause du glissement du dinar ou de la hausse ou la création de nouvelles taxes. Ainsi, les promoteurs, confrontés à la rareté et la cherté des terrains constructibles, ont fait flamber les prix. L’indice des prix des terrains nus est passé de 98,5 à 141,2 entre 2011 et 2015, selon les chiffres de l’INS et l’indice général des prix de l'immobilier est passé de 95,7 à 151,1, pour cette même période. Certains promoteurs dénoncent, d’ailleurs, l’absence de l'Agence foncière de l'habitat (AFH), qui "ne joue pas son rôle" en leur proposant de nouveaux lotissements.
Les promoteurs subissent, aussi, l’augmentation substantielle du coût de la construction, notamment celui des matériaux (marbre, revêtement divers, etc.) - ’indice des prix des matériaux de construction étant passé de 102,1 à 137,1 - celui de son transport - le prix du carburant ayant augmenté à maintes reprises cette année - ainsi que celui de la main d’œuvre. La hausse des prix des matériaux a non seulement impacté la disponibilité de certains matériaux mais aussi la qualité, certains préférant importer une qualité moindre donc moins chère.
Les professionnels du secteur endurent, également, des retards occasionnés à plusieurs reprises par les prestataires de services publics (Steg, Sonede, municipalités, gouvernorats, Onas, Protection civile, etc.), outre ceux liés à l’obtention des différentes autorisations (PV de recollement, permis de bâtir, permis de raccordements divers, …). Des retards qui occasionne des coûts supplémentaires en matière de frais financiers et par conséquent accroissent le coût de revient des biens immobiliers. Par ailleurs, les sous-traitants (différents corps de métier) se retrouvent de plus en plus désorganisés, surtout depuis la révolution, par une main d'œuvre indisciplinée et manquant souvent de qualification. D’ailleurs, le rendement des ouvriers et le désordre régnant ont été à l'origine de beaucoup de retard dans la réalisation des projets occasionnant des frais supplémentaires.
Pour résumer, un laxisme de l’administration tunisienne, de nouvelles impositions, une baisse du rendement des opérateurs et un désordre social qui sont à l’origine des retards dans la réalisation et la finalisation des projets en cours, affectent la qualité des produits immobiliers, engendre une augmentation de leurs coûts et sale l’addition à la fin.
Le secteur est aussi entravé par l’aspect fiscal. Ainsi, à la panoplie d’impôts et taxes auxquelles est déjà soumis le secteur, les dispositions de 2017 alourdissant les droits d’enregistrement des biens immobiliers (3% pour les logements dépassant les 200.000 dinars, 2% en plus pour ceux compris entre 500.000 et 1 MD et 4% en plus pour ceux qui dépassent le 1 MD), le secteur subit une nouvelle TVA de 13% qui sera portée à 19% en 2020. Pire, ils ont été privés de leur droit à la déduction de la TVA. Il s’agit tout bonnement d’une nouvelle taxe, la TVA étant récupérable.
A tout ceci, s’ajoute un renchérissement du prix de l’emprunt, en 2018 deux hausses ont été opérées sur le taux directeur de la BCT de 175 points de base, qui passe de 5% à 6,75%. Le taux moyen du marché monétaire (TMM) a évolué de 4,11% mars 2017 à 6,04% en mars 2018 pour se situer actuellement au mois d'octobre 2018 à 7,27%. Une hausse appliquée aux crédits contractés par les promoteurs et sur les prêts de logement. La hausse a été tellement importante dans le remboursement mensuel des crédits pour certains nouveaux propriétaires (plus de 200 dinars), que certains ont décidé de vendre leur bien n’étant plus capable de payer leur emprunt, nous confient des promoteurs. Le pouvoir d’achat étant en baisse et l’inflation en hausse (plus de 7%), certains Tunisiens, pour ne pas dire une grande majorité, n’auront plus les moyens de contracter des crédits logement.
Ainsi, les décisions de gros investissements tels que l’achat de biens immobiliers sont ajournées voire même annulées. S’ajoute à ceci un durcissement de la réglementation vis-à-vis des acquéreurs de biens immobiliers avec présentation des 3 dernières déclarations des revenus lors de l'enregistrement des contrats d'achat par les clients et la menace de redressement fiscal pour plusieurs professions réputées fortunées.
Tout ceci a impacté négativement le secteur, l’offre dépassant la demande. Le contexte général morose a entrainé une contraction des ventes et par conséquent un allongement du cycle d'écoulement des biens immobiliers, à l'origine d'une récession de plus en plus importante de l'activité de promotion immobilière menaçant à terme les sociétés dans leur pérennité et bien évidement les emplois mais également ceux des activités connexes (BTP, menuiserie bois et aluminium, raccordement eau et électricité, marbre, ect.).
La promotion immobilière est bel et bien en crise, preuve à l’appui les résultats réalisés à cette heure. D’où l’urgence de prendre des décisions rapides, pour sauver ce secteur et ses emplois d’une crise systémique qui peut impacter l’ensemble de l’économie nationale. Le nombre des investisseurs en biens immobiliers a diminué de manière importante, les revenus locatifs ayant baissé outre la fait que la forte hausse du prix des logements et le coût des crédits ont rendu leur amortissement sur une période généralement admise pour le secteur (20 ans) impossible.
Comme porte de sortie à cette crise qui se profile, la Chambre syndicale nationale des promoteurs immobiliers a émis un ensemble de recommandations, notamment l’imposition d’une TVA de 7%, que certains promoteurs veulent qu’elle soit étendue à tous (promoteurs et particuliers). L’imposition d’un droit d’enregistrement fixe de 25 dinars par page et par copie à l’acquisition d’un bien immobilier auprès d’un promoteur et d’annuler toutes autres taxations, puisque le secteur est désormais assujetti à la TVA.
D’ailleurs, le Conseil d’analyses économiques présidé par Afif Chelbi dans un rapport qu’il a élaboré sur le plan de relance 2019-2020 qui comprend 100 mesures, est allé dans ce sens. Il recommande la révision de la question de la TVA sur la vente des logements en instaurant une TVA et un droit d’enregistrement au droit fixe (100 dinars) pour les logements vendus à l’état neuf et un droit d’enregistrement sur les logements anciens.
La chambre propose aussi la consécration par un texte de loi du droit au crédit de départ de TVA sur les stocks d'immeubles à usage d'habitation à la date du 31/12/2017 ainsi que l’annulation de l’augmentation des droits de consommation sur la céramique et le marbre instaurée par la Loi de finances 2018. Elle appelle, face à l’envolée du TMM, à la mise en place d’un fonds qui permettra de bonifier les intérêts des crédits immobiliers ainsi que les crédits accordés aux promoteurs.
D’autres mesures peuvent aussi prises comme l’abandon de l’autorisation du gouverneur pour l'acquisition de biens immobiliers pour les étrangers au moins à partir de certains montants importants. Des promoteurs évoquent aussi un retour vers un taux de faveur pour les crédits logement.
En outre, une réflexion doit être faite au niveau de la chambre des promoteurs immobiliers avec le ministère de tutelle pour moderniser les méthodes et le choix des matériaux de construction qui peuvent abaisser le coût de la construction. Il faudrait aussi penser à renforcer la formation professionnelle de la main d’œuvre.
Quand le bâtiment va, tout va et inversement. L’immobilier est un baromètre de la santé économique des pays. Lorsque le secteur vit une crise, il s’agit d’un indicateur important à prendre en considération, que le risque d’une crise systémique subsiste. Entre l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, il est devenu difficile pour un citoyen lambda de devenir propriétaire de son logement. En parallèle, les promoteurs ne peuvent pas abaisser leurs prix, car ils ont des coûts à couvrir. C’est donc à l’Etat de faire l’effort qui s’impose pour sauver ce secteur qui peut être un pilier de relance économique.
Le gouvernement a prévu dans le projet de la Loi de finances 2019 que les biens immobiliers réalisés par les prometteurs en dessous de 300.000 dinars soient exonérés de droits d’enregistrement, pour permettre aux ménages de la classe moyenne et celle défavorisée d’acquérir un logement. Une mesure qui reste malheureusement insuffisante pour le sauvetage de ce secteur.
Le gouvernement devra prendre des décisions courageuses en faveur du secteur, en baissant, même temporairement, les impositions et en garantissant des terrains constructibles à prix raisonnables aux promoteurs pour baisser les coûts. Et pourquoi pas, ouvrir l’achat de biens aux étrangers à partir de certaines fourchettes hautes, permettant de ce fait aux promoteurs de se renflouer et aux caisses de l’Etat des entrées conséquentes, ce qui arrangerait tout le monde !
Imen NOUIRA