
Par Mohamed Salah Ben Ammar *
« Pour anéantir une nation sans recourir à la guerre, il suffit de dégrader son système éducatif. »
— Nelson Mandela
Une tragédie révélatrice : l’alerte de Mezzouna
L’émotion est grande. Le 14 avril 2025, la vie de trois jeunes élèves, a été tragiquement interrompue à Mezzouna (Sidi Bouzid), en raison de l’effondrement partiel d’un mur dans leur lycée. Quinze ans après, Sidi Bouzid, berceau de la Révolution tunisienne, vit un drame. Tout un symbole. Cet événement ne constitue pas un simple accident, mais illustre de manière brutale une crise profonde affectant notre système éducatif. Sans surprise, les enquêtes préliminaires ont mis en lumière l’absence de maintenance et l’état vétuste des infrastructures.
Des établissements en délabrement : un constat alarmant
De nombreuses infrastructures scolaires, pour beaucoup construites dans les années suivant l’indépendance, sont aujourd’hui dans un état de dégradation avancé. D’après le rapport annuel de performance 2021 du ministère de l’Éducation, 52 % des écoles primaires et secondaires ne respectent plus les normes de sécurité élémentaires. On y recense des milliers de classes avec des vitres brisées, des établissements dépourvus de blocs sanitaires fonctionnels, et de nombreux bâtiments présentant des fissures structurelles significatives.
Dans la région de Kasserine, une récente étude a révélé que 70 % des écoles primaires manquent de chauffage adéquat, exposant ainsi les élèves en hiver à un froid glacial. Des enseignants de Jendouba témoignent de salles de classe où « il pleut à l’intérieur quand il pleut dehors », illustrant de manière concrète les conditions d’apprentissage indignes.
L’effondrement du mur à Mezzouna n’est pas un incident isolé : il symbolise l’effritement progressif de notre engagement envers l’éducation.
Enfants des marges : les conséquences de l’éloignement et de la précarité
Dans les zones rurales de Kasserine, Tataouine et Jendouba, l’accès à l’éducation est un véritable parcours du combattant. Des élèves parcourent quotidiennement jusqu’à dix kilomètres, souvent à pied, pour atteindre leur établissement. Une étude de Solidarité Laïque a révélé que 30 % de ces élèves arrivent en classe le ventre vide.
L’absence de cantines scolaires dans 60 % des écoles rurales et le manque d’internats pour les élèves éloignés sont des facteurs déterminants du décrochage scolaire. Selon les statistiques du ministère de l’Éducation, le taux de décrochage scolaire a atteint 4 % au niveau national en 2021-2022, représentant 91.222 élèves. Dans les zones rurales, ce taux est significativement plus élevé, atteignant 10 % dans la région de Kasserine.
Chaque année, des dizaines de milliers de destinées sont ainsi brisées par un système incapable de garantir l’égalité des chances, bafouant l’un des principes fondamentaux de la République.
Enseignants en première ligne : un héroïsme face à l’indifférence
Face à cette situation, les enseignants affectés dans les zones marginalisées incarnent un dévouement souvent ignoré. Confrontés à l’absence de logements de fonction et de moyens de transport adéquats, beaucoup consacrent une part importante de leur salaire pour se rendre à leur travail. Des récits poignants d’enseignants de Gafsa rapportent des classes surchargées, avec plus de 40 élèves, souvent sans manuels scolaires suffisants — un manuel pour cinq élèves en moyenne dans certaines écoles.
Malgré ces conditions de travail déplorables, on leur demande d’obtenir des résultats. La fracture géographique de la réussite scolaire est flagrante : les taux de réussite au baccalauréat dans les gouvernorats de Jendouba, Gafsa et Kébili ont été parfois inférieurs de 20 % en moyenne par rapport aux gouvernorats côtiers tels que Sfax et Monastir.
Cette « géographie de l’échec » constitue une preuve tangible d’une injustice systémique, où l’origine détermine trop souvent la destinée.
L’oubli programmé : quand l’indignation s’évapore
Dans un flot incessant d’informations, le drame de Mezzouna risque de s’effacer rapidement des mémoires collectives. Pourtant, il est essentiel de rappeler que des incidents similaires, comme l’effondrement d’une partie du plafond d’une salle de classe à Monastir en janvier 2023, avaient déjà soulevé des problèmes identiques, sans qu’aucune mesure structurelle significative n’ait été prise depuis.
Ce cycle de tragédie et d’oubli est une faute collective dont nous portons tous la responsabilité. Que signifie un État qui ne parvient pas à garantir la sécurité de ses enfants dans le lieu même où ils sont censés s’épanouir ?
L’éducation : d’ascenseur social à reproduction des inégalités
L’époque où l’école tunisienne était un véritable vecteur d’ascension sociale est désormais révolue. La marchandisation croissante de l’éducation — à travers l’essor des écoles privées et des cours particuliers — a enrichi certains acteurs tout en justifiant le désengagement progressif de l’État, autrefois garant d’un enseignement public de qualité.
Des études sociologiques récentes montrent une corrélation de plus en plus forte entre le milieu socio-économique d’origine et la réussite scolaire. Les enfants issus de milieux défavorisés ont 50 % moins de chances d’accéder à l’enseignement supérieur que ceux provenant de milieux privilégiés. Le manque d’investissement dans l’éducation préscolaire dans les zones rurales, l’inégalité d’accès à des infrastructures de qualité et le déficit de soutien pédagogique adapté creusent inéluctablement les inégalités.
Reconstruire avant l’effondrement total
Le mur de Mezzouna n’est pas seulement fait de briques effondrées : il est le miroir d’un système qui s’écroule faute d’avoir été entretenu, réformé, valorisé. Il nous renvoie à une vérité brutale : une nation qui abandonne son école abandonne son avenir.
Si l’éducation est bien le fondement de toute société libre et équitable, alors la remettre au cœur du pacte républicain n’est pas un luxe, mais une nécessité urgente. Reconstruire l’école tunisienne, c’est refonder le contrat social sur lequel repose l’espoir de toute une génération.
* Professeur de médecine et ancien ministre de la Santé



Concernant la santé, l'instruction nationale, les infrastructures... il n'y a plus d'argent. Il faut une équipe de choc à l'économie.
L etat devait investir renover et non pas compenser son incapaciter a fournir un environnement a la creation de richesse .
Pas grave les societe communautaires vont tous sauver en Tunisie
Ce "Trio" pesant lourd sur le budget de l'état, ce dernier a entamé un processus "subtil" de privatisation et encourageant l'investissement privé dans ces secteurs. Il s'agit d'un processus de privatisation à peine voilé dont le résultat logique fut un manque flagrant de financement et de subvention en faveur de ces piliers sur lesquels la jeune République Tunisienne a été bâtie, Bus à l'état d'épaves, écoles et hôpitaux en état de délabrement avancé, aujourd'hui, un sursaut de conscience s'impose afin de sauver ce qui peut l'être d'un effondrement certain.Aujhourd'hui, aprés 69 ans d'indépendance et 30 ans de "construction Bourguibienne" , se soigner, envoyer ses enfants à l'école et se déplacer dans des conditions humaines est devenue une histoire de "Gros sous" ...
Mais à quelle norme obéit un mur...


