
Par Mohamed Salah Ben Ammar *
Le dernier vomissement oratoire du factieux Mongi Rahoui, travesti en défenseur du peuple, exhale davantage le fanatisme d’un Torquemada en quête de victimes que la substance d’un projet politique crédible. Son obsession à multiplier les anathèmes, les amalgames putrides et les réécritures de l’histoire n’est qu’un recyclage éhonté des plus viles stratégies populistes : désigner des boucs émissaires, gangrener les institutions, ériger le pouvoir en totem sacré et pulvériser toute voix discordante sous l’accusation infamante de « complot ».
L’imposture « peuple contre élite » : une fumisterie toxique et un nationalisme réactionnaire
Rahoui, ancien député et président de la commission des finances, ex-dirigeant influent du Parti des patriotes démocrates unifiés (Watad), formation se réclamant historiquement du marxisme-léninisme, prétend aujourd’hui incarner la volonté populaire contre une « élite » honnie. Or, cette dialectique binaire, empruntée aux répertoires du populisme autoritaire, est une mystification.
Qui est ce « peuple » qu’il invoque à satiété ? Et qui sont ces « élites » qu’il voue aux gémonies ? En démocratie, les corps intermédiaires – partis, syndicats, médias, associations – sont des instruments de représentation, pas des obstacles à la souveraineté populaire. Fustiger systématiquement ces instances revient à abolir toute forme de médiation, pour n’imposer qu’une verticale autoritaire où seul le chef incarne la vérité.
Ce que Rahoui méprise comme « élite » est en réalité l’ossature vivante de toute démocratie moderne.
La conspiration généralisée : un écran de fumée pour légitimer l’arbitraire
Décréter que « 90% des personnes citées dans l’affaire de complot sont coupables » sans procès équitable, sans débat contradictoire, sans décision judiciaire, c’est bafouer le principe sacré de la présomption d’innocence. Ce n’est pas de la politique, c’est de l’inquisition.
En ressuscitant l’ennemi intérieur, en fabriquant une guerre permanente contre d’imaginaires conspirateurs, Rahoui recycle l’arsenal rhétorique des dictatures : désigner l’opposition comme un danger pour la nation, délégitimer toute critique, criminaliser la pluralité.
Révisionnisme politique et falsification de l’histoire
Qualifier la période post-2011 de « décennie noire » est une insulte à la mémoire collective. Rahoui, pourtant acteur de premier plan de cette décennie, ne peut effacer son propre rôle. Il fut parlementaire, président de commission, soutenant des lois budgétaires parfois antisociales, négociant avec les gouvernements successifs, espérant une nomination ministérielle qui ne vint jamais.
Son revirement n’est pas celui d’un dissident : c’est la rancœur d’un apparatchik frustré par l’échec de son ascension. Et c’est au nom de cette amertume personnelle qu’il dénigre aujourd’hui la liberté retrouvée après la révolution, cette effervescence démocratique unique dans l’histoire tunisienne.
Discours souverainiste dévoyé : quand la haine se cache derrière la patrie
Les accusations d’« allégeance à l’étranger » lancées contre les défenseurs des droits humains sont le dernier refuge des régimes paranoïaques. En assimilant les ONG, les journalistes ou les militants indépendants à des agents de puissances étrangères, Rahoui recycle un discours autoritaire et réactionnaire, nourri d’un souverainisme xénophobe qui justifie toutes les répressions.
Mais le vrai danger pour la souveraineté tunisienne ne vient pas des associations ni des intellectuels, mais de ceux qui piétinent l’indépendance de la justice, laminent la séparation des pouvoirs, neutralisent les contre-pouvoirs, et gouvernent dans l’opacité la plus totale.
Le 25-Juillet : un coup de force célébré comme mascarade révolutionnaire
Présenter le 25 juillet 2021 comme un sursaut révolutionnaire, c’est masquer un coup d’État rampant. Ce moment, soutenu avec ferveur par Rahoui, a vu la dissolution du Parlement, la mise au pas du pouvoir judiciaire, l’adoption d’une Constitution unilatérale et l’instauration d’un pouvoir absolu. Que reste-t-il de la révolution, sinon le mot vidé de son sens ?
Parler de lutte contre « l’infiltration de la justice » pendant qu’on licencie des magistrats par décret et qu’on embastille sans jugement revient à maquiller l’autoritarisme en croisade morale.
La démocratie n’est pas un complot, mais un combat pour les droits
Ce que Rahoui dénonce comme « complot » est souvent la simple expression du désaccord légitime, de la contestation pacifique, du pluralisme politique. La démocratie est par nature conflictuelle. Elle ne se réduit pas à l’unanimisme, elle se nourrit du débat, de la critique, de la divergence.
Les défenseurs de la liberté d’association, de l’indépendance de la justice, du droit à la transparence, ne sont pas les ennemis de la Tunisie, mais les derniers vigiles de sa dignité républicaine. Ceux qui, au contraire, fabriquent des ennemis imaginaires, délirent sur des conspirations permanentes et insultent la société civile, ne défendent ni le peuple, ni la souveraineté : ils défendent le pouvoir, et rien d’autre.
Les droits humains comme boussole
Il est temps de rappeler à Monsieur Rahoui une évidence : aucun pouvoir n’est au-dessus du droit. Aucune autorité, aussi « populaire » se prétend-elle, ne saurait se soustraire aux normes universelles de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs, du respect de la dignité humaine.
Les droits fondamentaux – liberté d’expression, droit à un procès équitable, liberté d’association, pluralisme politique – ne sont pas des concessions étrangères : ce sont les piliers de toute démocratie digne de ce nom. Les brader, c’est faire le lit de la tyrannie.
Les défendre, c’est refuser que la Tunisie redevienne ce qu’elle a mis tant d’années à quitter : un pays gouverné par la peur, le soupçon et le silence.
* Pr Mohamed Salah Ben Ammar MD - MBA
