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Chroniques
Laudateurs de BCE taisez-vous !
30/12/2014 | 15:59
5 min
Par Inès Oueslati

En parcourant mon fil d’actualité, je suis tombée, il y a quelques jours, sur une phrase qui m’a interpellée. « Le prochain combat, c'est la chasse au culte de la personnalité.», ai-je lu. La phrase m’a rappelé des photos que j’ai croisées sur le net et où on voyait des partisans de Nidaa brandissant le logo du parti aux côtés de personnes démunies ou malades, comme pour signifier une victoire en terres nouvellement conquises. Des photos qui, à leur tour, m’ont renvoyée vers le grotesque d’une autre où on voit une dame habillée d’une robe aux couleurs dudit parti et ornée de transcriptions glorifiant le nouveau sauveur de la Tunisie. Le tout circulant exclusivement sur les murs des détracteurs et volontairement bannies de ceux des Nidaïens qui, malgré l’appartenance commune, voudraient ne pas voir les aléas de la culture partisane qu’ils avaient eux-mêmes cultivée. Des photos d’un genre revisité qui, s’ajoutant à celles où l’on voit des portraits de BCE accrochés dans les locaux de Nidaa et même dans une administration, nous rappellent cette habitude fâcheuse que nous avions à l’époque de Ben Ali et de Bourguiba. Celle du culte démonstratif voué au chef, une habitude bannie après que le peuple se soit insurgé contre son système politique et se soit rebellé contre la figure quasi patriarcale d’un président dont l’omniprésence est devenue une voix vers l’omnipotence.

Béji Caïd Essebsi, BCE, Bajbouj… Plusieurs dérivés pour désigner celui qui est depuis lundi 22 décembre notre président. Celui qui a convaincu la majorité est devenu le lieu de cristallisation de l’espoir de s’en sortir manifesté par des Tunisiens que la chose politique a blasés. BCE en est devenu un héros susceptible de vaincre les rigoristes, les extrémistes, les affamés de pouvoir, même ceux refoulés ou qui s’ignorent comme tels. BCE, capable de faire revenir Bourguiba et de faire oublier Ben Ali et Marzouki réunis. Bajbouj celui aimé, adoré, adulé, vénéré, respecté par les jeunes et les moins jeunes, par les politiciens et les néophytes, par les opportunistes et par les plus désintéressés. Chacun sa raison pour apprécier BCE et chacun ses raisons pour le faire savoir.

En politique, il n’y a pas de place à l’affectif pourtant et il est mieux, quand tendresse, il y a, de séparer l’affect et la politique « publique ». La limite est en effet infime entre admirateur et laudateur, entre soutien et souteneur et le « lèche-bottisme », de ce fait, fort aisé. Apprécier l’opposant politique et sa défiance, encourager le président de parti et sa revanche, saluer le candidat et sa bravoure, applaudir la victoire du président qu’il devient, voilà ce que nous vivons désormais dans notre pays qui s’est trouvé récemment un chef. Cependant, pour qui sait que, dans ce pays, les mauvaises habitudes ont la dent dure et qu’un président déchu y a même déclaré qu’on lui avait brouillé la vue, pour justifier son aveuglement quant à la réalité qu’il ne voyait pas, mieux vaut, d’ores et déjà, crier gare à la tendance laudatrice qui pourrait naître chez quelques-uns, se confirmer chez certains et refaire surface chez d’autres.

Pareilles réflexions dérangent à coup sûr car déstabilisant ceux qui s’inscrivent dans cette tendance parce qu’elle les sert ou parce qu’ils pensent qu’elle pourra le faire. Elles dérangent ceux qui mélangent, dans le confort de la non-réflexion, patriotisme et culte de la personne dirigeante, elle dérange ceux qui n’aiment pas entendre ce que pensent les autres et qui adorent entendre ce qu’ils pensent penser (alors qu’en réalité, ils ne pensent presque pas). Ceux-là ont tendance à diaboliser toute idée perçue comme dissidente aussi logique soit-elle.

Quant aux autres, les plus lucides, les plus pragmatiques, ils disposent d’un discernement leur permettant de voir les nuances surtout celles basées sur l’adaptation de la réaction par rapport à la circonstance et de l’attitude par rapport au statut. Servir de laudateur pour BCE opposant à la Troïka avait une noble fin. Servir de laudateur à BCE devenu président ne pourra désormais que le desservir. L’attitude excessivement flatteuse de celui qui est devenu le chef de tous les Tunisiens rappellera l’image d’un passé politique que certains détracteurs attachent à mauvais escient à BCE. Faire du neuf avec du vieux, cela doit être possible dans ce pays que le parcours démocratique n’a pas effrayé.

Ceux qui ont donc soutenu corps et âme BCE doivent dorénavant faire preuve de modération, un vrai exercice de style voire un rôle de composition pour certaines personnes cherchant un schéma patriarcal dans celui politique en construction. BCE n’est plus le centre de son propre cercle, il est le centre de cette Tunisie qui sort grandie d’un parcours électoral applaudi partout dans le monde. BCE est désormais le président de tous les Tunisiens, ceux qui l’ont élu et ceux qui n’avaient pas coché de case pour qu’il soit là où il sera dans quelques jours.

Le cercle de BCE et celui convexe ayant été formé dans la spontanéité pour la bonne cause et pour celle bonne aussi mais plus calculée et intéressée, tous doivent trouver pour BCE un mode de soutien et d’encouragement autre que le culte voué ostentatoirement à sa personne. On évitera ainsi que le cercle ne se resserre trop autour de ce président. Celui qui jouit en évidence d’une popularité certaine gardera ainsi intact voire en progression son capital sympathie et le préservera de l’excessivité passionnelle de ceux qui le bénissent matin et soir et qui doivent me maudire à l’heure qu’il est.

Lors de l’interview qu’il avait accordée à Business News et à ma question « Que pensez-vous de l’effet des laudateurs sur votre image ? », BCE avait répondu qu’il craignait, de la même manière, les laudateurs et les détracteurs. Alors, avis aux adeptes la pensée laudatrice vous savez ce qu’il vous reste à faire : aimez BCE, mais en silence, ici on cultive la démocratie. La fleur rare a l’air de s’épanouir sous nos cieux, de la mesure dans le verbe et dans le geste sont donc vivement recommandés! Ceux qui ont fêté la victoire de BCE y ont surtout vu une page qui se tourne, faisons donc que soit respecté le sens de la lecture et la théorie de l’évolution voulant que soit capable de discernement celui qui est aveuglé par la passion politique et que cesse d’être diabolisé celui qui à la mesure l’appelle.


A lire également : Interview Béji Caïd Essebsi : C’est grâce à mon âge que j’y arriverai !
30/12/2014 | 15:59
5 min
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Commentaires (24) Commenter
DEONTOLOGIE
lotfi
| 01-01-2015 14:45
mes félicitations chère Mme Ines pour votre excellent article.
mais malheureusement il y a beaucoup de tunisiens et tunisiennes qui ne sont pas capable de comprendre ou qu'ils ne veulent pas comprendre votre réflexion
encore merci
Apres le soutien inconditionné
boulo
| 01-01-2015 13:24
Excellent article de la part de Ines Oueslati.
Apres le soutien inconditionné et inconditionnel le temps est à l'opposition à tout abus et tout dérive.
en soutenant BCE, nous soutenons la Tunisie en danger
Hannibal Genseric
| 31-12-2014 17:50
Le 27/09/2011 j'écrivais :

Rappelons au passage ce que disait Aristote dans sa «Politique» : Carthage possédait la meilleure constitution «renfermant de nombreuses dispositions sortant de l'ordinaire ' une preuve de la sage ordonnance du gouvernement carthaginois, c'est le fait que l'élément populaire demeure de son plein gré fidèle au système constitutionnel établi, et qu'il n'y a jamais eu, ce qui en vaut la peine d'être signalé, ni sédition ni tyrannie» (Aristote, trad. J. Tricot)
La fonction qu'a occupée BCE (Béji Caïd Essebsi), durant la période pré-électorale, peut se comparer aux fonctions de ces suffètes puniques, qui, lorsque la patrie est en danger, assurent la conduite de l'état et la sauvegarde des biens et des personnes. Nous lui reconnaissons le titre de sauveur de la patrie, durant la période incertaine que nous avons vécue après le 14 janvier et jusqu'aux élections d'octobre 2011.
Après son départ, tout le monde a constaté la dégringolade vertigineuse de l'autorité de l'Etat, le retour du népotisme et du favoritisme, la montée en flèche de l'insécurité et du chômage, le sommeil profond, quasi comateux, de la police et de la justice face aux exactions salafistes, etc.
Avec BCE, nous avions retrouvé un suffète exceptionnel qui a perpétué une tradition tunisienne vieille de plus de deux mille ans. Les élections du 23 octobre 2011 ont sonné le glas de tous ses efforts. Nous avions voté pour des gens qui devaient rédiger une constitution. Six mois après, ils n'ont pas voté un seul article. Encore une fois, les Tunisiens sont les « dindons de la farce » : nous sommes la risée du monde civilisé et la honte des pays arabes encore libres.

Ces lignes restent toujours valables.

http://numidia-liberum.blogspot.com/2011/09/beji-caid-essebsi-un-suffete-moderne.html
Je ne ferai aucun effort
Un Laudateur (si vous voulez)
| 31-12-2014 16:05
Personnellement je ne ferai aucun effort ! j'aime bien Bajbouj et je suis convaincu par les mêmes principes qui sont les siennes, donc je le soutiendrai ! déjà je ne sais pas si le nidaa aurai pu existé s'il n y avait pas une figure aussi charismatique comme lui .
c'est comme ça la vie il y a des gens qu'on aime directement (El 9boul) et cela existe même aux etats unis qui est la plus grande démocratie du monde il y a des personnages qu'on peut que les glorifié (a juste titre) mais malheureusement chez nous en tunisie casser les gens c'est un sport national celui qui a du talent ou celui qui a du charme ou celui que tout simplement pu réussir dans sa vie on essaye de l'écarter et de le le fustiger
Chère Mme Ines Oueslati
Citoyen de Tunisie
| 31-12-2014 09:37
Pour une fois, les laudateurs ont raison vu qu'il y a des détracteurs. Je leur donne raison car le tunisien de l'après révolution s'est vu projeté vers le gouffre obscur de l'ignorance, il a fait la connaissance d'une nouvelle race de gouverneurs affamés de pouvoir et de richesse. Le retour vers le passé proposé par BCE afin de pouvoir rebondir véritablement a été vu par la majorité des électeurs comme une bouée de sauvetage, pire même comme la seule et dernière possible pour s'éloigner du gouffre.
La troïka a précipité le pays vers la misère par son inexpérience et son incompétence. Le citoyen lambda en a eu marre des gouvernements provisoires et temporaires sans réelles solutions. Le taux des suicides a augmenté, l'économie s'est installé dans le parallèle au risque de faire naître une vrai mafia indéboulonnable.
Il fallait voir les visages des tunisiens, dimanche dernier après la proclamation des résultats des élections, le sang y est réapparu chère madame.
En son fond, le tunisien s'est dit un grand "ouf" car il voit en ce vieillard, le prince sauveur et charmant.
Oui, par BCE, la Tunisie se retrouvera et retrouvera son standing si chère à son peuple.
Pour finir, ces laudateurs n'ont rien à voir avec ceux de Zaba car ils seront exigeants avec les 3 présidents, le tunisien a cessé d'être dupe et c'est sa décision.
Pretention....
Sadok Kenani
| 31-12-2014 05:18
"Ceux qui doivent me maudire á l'heure qu'il est"..non mais je crois rêver..ainsi donc vous croyez qu'une fois la lecture de cette chronique terminée,il ne nous restera plus qu'à vous vouer au géhenne,détrompez-.vous,on aura en une journée lu et relu mille articles traitant du même sujet ici ou ailleurs et je ne crois pas qu'on aura retenu le non de l'illustre journaliste..des laudateurs,on n'en veut pas et des donneurs de leçons encore moins...
Illusions
tunivagil
| 31-12-2014 00:18
"L'histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d'accord." Blaise Pascal.
J.Wayne est au sandwitch au thon
salahtataouine
| 30-12-2014 21:52
M Haddad est au Jambon ( halal) au beurre .....
Ceux qui confonent JW e MH n ont rien compris ..
L un avance avec la memoire de Bouguiba et l autre aussi si on veut ..mais l un "se fait" berner par la copie "non conforme" ..pas l autre ...
L observation du tunisien n est facile sauf on vit au bled ....Mh est "loin" de la tunisie depuis un certain temps ..
Ils partagent surement l amour de la patrie come tant d autres sauf que dire les choses n est pas à la portée de tous
Il n etait facile de se reveiller le 14 01 ou le lendemain et dire ....la patrie est en danger ..
Vous connaiisez la suite ..

Je ne veux pas gacher la fete ........on verra la suite !!


Ps ...bonne anneé à toutes et à tous ..et que la tunisie s en sorte
@ john Wayne
k-desuet
| 30-12-2014 21:18
ah punaise et vous n'avez pas choisi n'importe quel nom de Cow boy, vous qui avez une aversion pour les yankees (je ne dis pas que vous avez tort sur le fond) !! John Wayne représente l'incarnation du Cow Boy ringard et antipathique !! Et pourquoi pas l'autre là Clint Eastwood :))) plus charismatique et moderne !! non?? Bref Alias John Wayne, il m'arrive souvent de vous lire jusqu'au bout et de partager la plupart de vos prise de positions (dans le fond pas dans la forme :)), d'ailleurs je leur trouve une étrange ressemblance avec celle d'un certain philosophe maitre de conférence et auteurs de plusieurs ouvrages politiques.. Non non ce n'est certainement pas BHL, c'est notre cher Mezri haddad. Je respecte l'érudition du monsieur et aussi ses "coups de gueule". Si si je trouve que vous partagez pas mal de points de vue, dans le fond et dans la forme!! héhéhé! qui se cache derrière le pseudo de john Wayne?? Bon ceci dit, et plus sérieusement, je partage vos prise de position, mais pour être plus crédible soyez un peu moins virulent, limite de l'hystérie parfois ce qui vous permettra de mieux propager vos opinions, non dénuées de bon sens et de vérités souvent. A bon entendeur Sir John Wayne
Cristallisation de l'espoir... et humilité!
Tounes hobbi
| 30-12-2014 21:15
Madame, vous avez pourtant bien dit une phrase clé:Béji représente "la cristallisation de l'espoir": là réside la vérité, laissez-nous encore un peu exulter, nous avons passé des années bien angoissantes ! Pour le tunisien,et fort heureusement, quand il n'est pas dans le rang des fanatico extrémisto inhibés, toute occasion est bonne pour faire la fête... Rabbi Yostor ! Donc tout le reste n'est qu'un simple avis, et je pense qu'il faudrait être, tout respect dû, un peu plus humble devant la joie parfois simplissime et non "très chic" des gens du peuple dont je fais partie... Bonne continuation...!