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Tribunes
La démocratie argument d'autorité, lettre à Alaa el Asswany
06/11/2013 | 1
min
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Par Maya Ksouri

L’amertume que j’ai éprouvée, quand avant les élections égyptiennes vous vous faisiez le coryphée romantique de la démocratie pour tous, ce qui vous valut les vivats habituels des détenteurs occidentaux du label démocratie, des guerriers de la liberté halal, mais aussi ceux des naïfs idiots utiles aux deux premiers et qui sont le plus gros du contingent, voyez-vous, mon amertume devant la capitulation d’un cerveau tel le vôtre devant les sirènes de l’un des consensualismes du printemps arabe, ne m’a pas empêché de souffrir du sort que vous ont réservé Pierre Puchot et son acolyte lors de l’interview fleuve que vous leur avez accordée en date du 16 octobre 2013.

A l’aune de leur patron démocratique perfidement plaqué sur la réalité égyptienne, toute personne, tel vous, qui ose se féliciter du limogeage des frères musulmans est considérée comme anti-démocratique, ayant donc failli à l’examen des printemps arabes unanimement salués et soutenus par l’Occident et par le Qatar.
Ainsi verra-t-on tout au long de l’article, les intervieweurs vous pousser à coups de massue démocratique dans vos retranchements de mauvais élève qui aurait mal compris …Votre attitude, sur la défensive, ne fera que confirmer cette impression. Vous ne vouliez absolument pas déroger aux standards du démocrate patenté par l’Occident.

Présenté comme un impératif catégorique, dont il ne sied de discuter ni les conditions ni les circonstances, l’argument démocratique dans la bouche de Puchot et Confavreux n’a été pour ainsi dire qu’un argument d’autorité ne visant qu’à confondre l’errant.
Effrayé par ce dispositif, vous avez oublié de rappeler à Puchot et Confavreux les fondements de la démocratie inexistants dans le cas égyptien sauf à réduire la démocratie à ses oripeaux de forme : la procédure électorale; Vous n’avez même pas osé effleurer le sujet des limites du raisonnement « légitimitaire » de vos examinateurs.

Je ne reviendrais pas sur la lamentable présentation par les preux chevaliers de la démocratie, pour vous confondre, tablant peut-être sur votre ignorance de ce qui se passe ailleurs que chez vous, des cas tunisiens et turcs comme des exemples de « l’islam politique modéré ».
Je n’ose penser que monsieur Puchot et son acolyte soient mal renseignés quant aux assassinats des opposants en Tunisie , couverts et favorisés par le pouvoir « islamiste modéré » en place et quant aux intimidations judiciaires et policières des artistes et des journalistes et même de leur emprisonnement…. Le nom de Jabeur Mejri ne doit certainement rien leur dire… Pour la Turquie, les statistiques des journalistes emprisonnés se chargeront du camouflet.

Vos inquisiteurs , monsieur Asswany , ont éludé à dessein le fondement de toute démocratie , le socle commun de valeurs , pour s’en tenir à une version de consommation rapide de la démocratie à l’usage des nouvelles peuplades converties. Ainsi n’arrêtaient-ils pas de vous opposer le droit des frères musulmans de faire partie du paysage politique à l’égale de toute autre formation légale . Vous avez omis de leur dire que ces ikhwanes professent des principes diamétralement opposés aux rudiments de la démocratie : leur but ultime, le califat, est une négation de l’alternance et de la représentativité, leur discrimination à l’égard des femmes (se rappeler le débat houleux en Tunisie lors de la proposition des islamistes tunisiens d’un statut d’être complémentaire pour la femme, la pression du parti islamiste Ennahdha pour évacuer la convention Cedaw et les campagnes électorales des islamistes égyptiens ou les visages des femmes candidates étaient remplacés soit par une photo de plante soit par celle du mari) est un affront aux Droits de l’Homme .

Leurs positions actives envers les minorités religieuses ou autres (les sévices contre les coptes en Egypte, le refus d’Ennahdha de l’inscription de la liberté de conscience dans la constitution tunisienne …). De socle commun des valeurs universelles, ils n’ont jamais été preneurs sauf à l’occasion de manœuvres tactiques auxquelles ne croient que ceux qui veulent y croire mordicus soit par intérêt soit par acquis de conscience de gauchiste attardé. L’existence même de ces partis s’érigeant sur des considérations de religion, est un large accroc à votre abécédaire démocratique. Ces partis qui n’ont dû leur visa légal qu’à un dysfonctionnement populiste drapé dans des révolutions adoubées par l’Occident à coups de workshops en transition démocratique prodigués depuis les années 2005 aux « élites islamistes » poussées par le « désengagement » des USA et par l’islamo-progressisme des Européens, sont en eux-mêmes une anomalie selon vos critères démocratiques.

Quand ils vous ont opposé, monsieur Asswany, la légitimité des urnes pour défendre Morsi comme argument lapidaire, que ne leur avez-vous pas rappelé leur posture à eux, français champions de la démocratie quand, à l’occasion d’une certaine présidentielle on vit le parti de monsieur Le Pen au second tour. Que ne leur auriez-vous rappelé leurs cris d’orfraies et leur godwinisations à l’envi : Pour barrer la route à un parti légal et ayant reçu une légitimité certaine via les urnes, tout le peuple français de son extrême gauche jusqu'à sa droite votèrent Chirac.

Rappelons que contrairement aux frères musulmans, le FN est un parti républicain ayant consenti aux règles du jeu, n’ayant jamais envisagé d’y toucher, outre que le FN n’assassine pas ses opposants et que ses chefs n’ont pas participé à des attentas à l’explosif sur leur territoire (se rappeler les attentats de Bâb Souika reconnus par Ennahdha et ceux de Kuriat palace, etc).

Je comprends votre réserve monsieur Asswany, votre réserve de brave type modéré qui ne veut pas faire de vagues, lorsque vous vous abstîntes de rétorquer par le soutien qatari aux démocraties made in printemps arabe quand Puchot et Confavreux pointèrent le soutien saoudien au régime égyptien actuel, manière de désavouer votre progressisme affiché en le faisant tributaire du réactionnaire pouvoir saoudien.

Je comprends monsieur Asswany, vous n’avez pas voulu choquer vos examinateurs si savants en leur révélant que les soutiens de Morsi, les Qatari, sont des gens qui mettent en prison les poètes pour cinq ans au motif d’un allusif vers qui s’est voulu libre.
Pour finir, je reprendrais les propos de K.Kintzler : « Une certaine idée du progrès veut, aujourd’hui comme hier, que l’on se rassemble sans faille autour de ceux dont on a décrété qu’ils sont l’emblème des opprimés : tout ce qui s’en écarte est donc du coté de l’oppresseur. Ainsi l’islamo-« progressisme », comme naguère la conscience politique, n’est pas un parti ni même un corps de doctrine, mais un dispositif de pensée qui, au prétexte de secourir une figure emblématique de la souffrance que l’on a qualifiée et unifiée a priori, s’érige en valeur morale inquisitoriale et forme autour de lui un rempart de bonnes opinions ».

La bien-pensance, monsieur Asswany, surtout la gauchiste, la germanopratine redresseuse de torts est insupportable quand on vit dans un pays où depuis que « l’islamisme modéré » a laissé assassiner Chokri Belaid, nous vivons tous en sursis.
Bien à vous

06/11/2013 | 1
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