
La réforme des procédures de divorce continue de susciter de vifs débats en Tunisie. On s’indigne contre cette « manipulation » qui va toucher les acquis du Code du statut personnel, faire régresser les droits des femmes dans ce pays qu’on dit si féministe… alors que les féminicides explosent et fragmenter des familles dans une société où on divorce de plus en plus et où on fait de moins en moins d’enfants.
Présentée comme un moyen de désengorger les tribunaux et de fluidifier la justice civile, elle pourrait bien, dans les faits, fragiliser encore davantage celles qui le sont déjà : les femmes.
En Tunisie, on divorce de plus en plus. Selon les dernières statistiques publiées par le ministère de la Femme et celui de la Justice, le nombre de jugements de divorce aurait atteint, entre 2020 et 2022, une moyenne de trente à quarante cas par jour. Le divorce par consentement mutuel y figure en tête. Il représente la majorité des cas traités. Ce constat a rapidement attiré l’attention de certains professionnels du droit, notamment les notaires, qui y ont vu une « opportunité » de s’implanter dans un domaine jusqu’alors réservé à la justice.
Un coup de projecteur sur les notaires
Ainsi, dans le cadre d’un projet de réforme plus large du métier de notaire, on envisage de leur confier la gestion des divorces à l’amiable. Cette réforme, attendue depuis longtemps par la profession, vise à renforcer la sécurité juridique des actes notariés en leur conférant une valeur probante accrue. En d’autres termes : plus de crédibilité, plus de pouvoir — et donc plus de responsabilités.
Présentée comme une avancée administrative, cette réforme s’inscrit dans une logique d’« allègement des procédures » et d’« amélioration de l’accès à la justice ». Elle étend aussi leurs prérogatives à des actes civils majeurs, comme les certificats de décès, jusqu’ici du ressort des tribunaux. Mais ce sont les divorces par consentement mutuel qui ont concentré l’essentiel de la controverse.
Les notaires affirment vouloir « soulager » les citoyens de la lourdeur des procédures judiciaires : audiences multiples, délais étirés, émotionnel exposé. Mais ce vernis de bienveillance masque une réalité plus brutale. Confier les divorces à des notaires revient à contourner l’intervention d’un juge, garant d’un certain équilibre dans les rapports de force. Or, dans bien des cas, les rapports de couple sont tout sauf égalitaires.
Qu’adviendra-t-il des femmes économiquement dépendantes ? De celles qui subissent des pressions psychologiques ou des violences ? De celles qui, dans un moment de fragilité, pourraient signer un accord inéquitable sans en mesurer toutes les conséquences ? Le rôle du juge n’est pas seulement technique : il est aussi protecteur. Le supprimer, même dans des divorces présentés comme « consentis », c’est prendre le risque de sacrifier les plus vulnérables au nom de l’efficacité administrative. Ce qu’on gagne en rapidité, on le perd en équité.
Un danger de marchandisation du divorce
Cette réforme soulève aussi un autre risque : celui de transformer le divorce en service payant, sous-traité à une profession libérale. Les coûts, laissés à la discrétion de chaque notaire, pourraient varier considérablement d’un cabinet à l’autre, sans encadrement clair de l’État. On passerait d’un acte judiciaire encadré à une prestation tarifée, accessible surtout à celles et ceux qui peuvent payer. Une justice à deux vitesses, où les plus pauvres seraient relégués à des solutions de second rang.
Un juge peut poser des questions, orienter vers une aide sociale, détecter une situation sensible. Un notaire n’en a ni la mission ni les moyens. Qui écoutera la partie qui hésite ? Qui détectera l’intimidation ? Qui offrira une alternative à la rupture précipitée ? Accepter cette réforme, c’est ouvrir la voie à d’autres formes de privatisation du droit de la famille. Demain, pourquoi pas des adoptions, des litiges successoraux ou des médiations conjugales confiés aux notaires, sans encadrement judiciaire ?
Des professions en confrontation
Sans surprise, les avocats s’élèvent contre ce projet. Certains y voient une menace directe sur leur propre rôle, bien sûr. Mais leur opposition repose aussi sur des arguments de fond : une procédure de divorce n’est jamais anodine, même à l’amiable. Elle implique des décisions majeures sur la garde des enfants, le logement, les pensions alimentaires. Autant de questions qui méritent d’être examinées avec rigueur et discernement par un juge, et non laissées à la seule discrétion d’un acte notarié.
Au-delà du duel corporatiste entre notaires et avocats, c’est toute la philosophie du droit de la famille qui est ici en jeu. Cette réforme, au lieu de renforcer la justice familiale, risque d’en banaliser les enjeux. Elle ignore les déséquilibres systémiques que vivent encore de nombreuses Tunisiennes, dans une société où les féminicides augmentent, où les violences conjugales restent largement impunies et où les droits des femmes régressent, alors qu’on n’arrête pas de dire et de penser le contraire.
Simplifier, oui...fragiliser, non
Il ne s’agit pas de rejeter en bloc toute tentative de simplification. Mais elle ne peut se faire au détriment des garanties fondamentales. Réformer, oui. Réduire à un acte administratif un processus aussi complexe qu’un divorce, non. Ce n’est pas d’une justice plus rapide dont les citoyens ont besoin, mais d’une justice plus protectrice, plus attentive, plus humaine.


Feu Bourguiba paix à son âme par l'adoption du CSP a démocratiser le mariage et le divorce...
Si on divorce beaucoup c'est parce que le mariage est démocratiser...
Vouloir modifier un article du CSP c'est rendre tout le code déséquilibré.
Non à toute modification du CSP!
Il n'en a ni la formation, ni la mission.
Donc en effet "Qui écoutera la partie qui hésite ? Qui détectera l'intimidation ? Qui offrira une alternative à la rupture précipitée ? Accepter cette réforme, c'est ouvrir la voie à d'autres formes de privatisation du droit de la famille..." et aux pots de vin,
aux dessous de table, pratique courante chez les notaires.

