
C’est une véritable colle que le président de la République, Kaïs Saïed, a posée à sa cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zanzri, et à sa ministre des Finances, Mechket Slama : il leur a demandé d’élaborer de nouvelles approches de financement du budget, ainsi que de rouvrir le recrutement dans de nombreux secteurs. Rien que ça !
Dépenser sans compter
Il faut dire que le président a cette fâcheuse habitude de déterminer comment et dans quelle proportion il faut dépenser l’argent de l’État, mais sans dire comment produire cet argent et où le trouver. En une phrase, il vient de déléguer cette tâche principale à ses deux ministres, les mettant ainsi dans un véritable pétrin. C’est que, pour financer le budget de l’État, contrairement à ce que semble penser Kaïs Saïed, il n’existe pas une multitude de moyens : les revenus de l’imposition, les prêts extérieurs et intérieurs, et les revenus non fiscaux de l’État. Pour l’instant, l’humanité n’a pas encore inventé d’autres moyens pour financer les États, mais peut-être allons-nous subjuguer le monde, encore une fois.
La Tunisie peut se targuer d’avoir l’un des taux de pression fiscale les plus élevés en Afrique. En 2022, la pression fiscale en Tunisie est presque le double de la moyenne africaine et avoisine celle de certains pays de l’OCDE. Il est évident que cette pression a un impact direct sur la croissance et sur l’investissement en Tunisie. Pourquoi investir lorsque l’État se rémunère au même niveau qu’un associé essentiel ? Toutes les entreprises sont tenues de payer des impôts élevés, indépendamment de leur santé financière ou des crises que peut traverser le pays.
Malgré tout ce que les soutiens du régime tentent de véhiculer, l’économie tunisienne est en berne, et il existe même des prémices de récession si l’on considère l’écart entre les taux de croissance du dernier trimestre 2024 et du premier trimestre 2025. Par conséquent, le contribuable tunisien est à bout de souffle, et il serait totalement inenvisageable d’augmenter encore plus la pression fiscale. À force d’en demander trop à la machine, on risque de la casser.
Fiscalité à bout de souffle, secteur informel en forme
Si cela arrive, il existera deux options. La première est que les PME tunisiennes seront obligées d’alléger leurs engagements, voire de mettre la clé sous la porte. La deuxième sera de pousser de plus en plus d’entreprises vers le secteur parallèle. Exercer dans l’informel est de loin plus confortable en Tunisie que de devoir passer son temps à la recette des finances ou à la CNSS. Le secteur parallèle prospère tranquillement et continue à produire près de la moitié du PIB.
S’attaquer sérieusement à ce secteur implique un coût « populaire » que le régime n’est pas prêt à payer. Il vaut mieux s’attaquer aux entreprises connues des services fiscaux et harceler les hommes d’affaires et les capitaines d’industrie. Donc, au final, il paraît peu probable, si l’on veut garder un minimum de sagesse, d’augmenter les impôts. Par conséquent, ce ne sont pas les taxes qui devraient apporter un plus au budget de l’État.
Que reste-t-il ? L’emprunt et les revenus non fiscaux. L’emprunt intérieur a également atteint des proportions inégalées dans l’histoire de la Tunisie. Certains craignent même une trop grande exposition des banques tunisiennes à l’État. L’inclination de l’État à emprunter sur le marché intérieur, avec tout ce que cela implique comme effet d’éviction et autres risques, se trouve renforcée d’année en année. La raison est simple : il existe une décision politique qui a condamné tout accès à des formules de financement du budget par des fonds étrangers, et en premier lieu le Fonds monétaire international.
J’exclus volontairement les formules de financement du budget du type prêt de l’Afreximbank, car il ne s’agit pas de solutions viables. Le grand méchant FMI pourrait profiter du prêt que nous sommes allés solliciter pour s’immiscer dans nos affaires intérieures et mettre en danger notre si précieuse souveraineté. Le FMI pourrait ne pas adhérer à des visions révolutionnaires comme les sociétés communautaires.
Entre-temps, nous avons fait le choix de tourner le dos au Fonds et d’enfoncer les portes de la Banque centrale de Tunisie, qui a financé, par deux fois, le budget de l’État. Étrange que personne n’y ait pensé plus tôt.
Des entreprises publiques en ruine… mais intouchables
Les revenus non fiscaux, à l’exclusion des emprunts contractés par l’État, nous renvoient directement à nos « trésors » nationaux : les entreprises publiques. Depuis des années déjà, les entreprises publiques sont devenues un poste de dépense pour l’État au lieu de lui rapporter de l’argent. Tergiversations en tout genre, corruption, mauvaise gouvernance et autres raisons sont à l’origine de la situation dans laquelle se trouvent ces entreprises.
À tout cela vient s’ajouter une autre décision politique : il n’est pas question de privatiser les entreprises publiques. Le régime se prend même à rêver d’une économie à la seventies, et le président estime même qu’une pauvre minoterie en ruines à Dahmani pourrait devenir une entreprise florissante. Par conséquent, on garde toutes les entreprises et c’est le contribuable qui va casquer. En plus, ces entreprises censées rapporter de l’argent à l’État traînent des déficits abyssaux que personne ne pourra payer. Il n’y a pas non plus de mise en place de plans de relance ou d’assainissement de ces différentes entreprises.
Lors de toutes ses visites dans ce genre d’établissements, le président de la République rassure les employés en leur disant que l’État ne cédera jamais ces entreprises. Et là, volent les vivats de la foule, et puis plus rien.
Au final, trouver de nouveaux moyens de financer le budget de l’État est loin d’être une mince affaire, même pour des politiciens aguerris et des experts en finances publiques. Il est clair que nous sommes loin d’une telle configuration. Pour dépenser l’argent du contribuable en sociétés communautaires, conseils locaux, régionaux et de districts, recrutements en tous genres et train de vie de l’État, on se bouscule. Mais savoir comment produire de la richesse n’est pas donné à tout le monde, loin de là.


Il suffit de s intéresser à l histoire de l économie et les plans de relances .