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Tribunes
Quand le pouvoir voile la raison
08/09/2024 | 11:30
6 min
Quand le pouvoir voile la raison
 

Par Mohamed Salah Ben Ammar
 
 
Certaines décisions, et non des moindres, de dirigeants politiques nous déroutent et nous éloignent de la rationalité pour nous faire plonger dans le monde obscur de l'imaginaire, des illusions et hallucinations de ces dirigeants. S’intriquent alors l’absence de contre-pouvoirs et les délires les plus fous d’un homme seul.
 
 
Nul n’est à l’abri de ses frustrations et de ses désirs refoulés, mais pour un dirigeant au pouvoir, la confusion entre le rationnel et l'irrationnel dans les actions peut avoir des conséquences dramatiques pour le peuple. Ces dirigeants au pouvoir absolu qui tombent dans un « délire onirique politique », qui s’avère le plus souvent dangereux, sont moins rares qu’on ne le pense. Des personnages tels que Mussolini, Staline, Mao, Kadhafi et, plus récemment, Trump ont tous été touchés par cette confusion mentale, oscillant entre mégalomanie et sentiment de persécution. Ces comportements de la part de figures publiques et de dirigeants peuvent mener à des décisions politiques imprévisibles, où les passions et illusions prennent le pas sur une vision réaliste. C’est le délire politique, caractérisé par des passions et des illusions qui remplacent une perception lucide et rationnelle de la situation.
 
Sous le règne de Staline, des scientifiques soviétiques ont rejeté les principes de la génétique classique, notamment les travaux de Gregor Mendel, au profit de théories farfelues défendues par Trofim Lyssenko. Cette période est connue sous le nom de Lyssenkisme. En 1948, un discours de Lyssenko, en partie préparé par Staline, a critiqué Mendel, qualifiant ses partisans d'ennemis du peuple. Les scientifiques qui s'opposaient à cette idéologie ont subi des purges, des emprisonnements, voire ont disparu, entraînant un ralentissement considérable de la biologie soviétique jusqu'à la chute de Lyssenko après la mort de Staline en 1953. Toujours sous Staline, dans un contexte de modernisation agricole, des projets d'irrigation ambitieux ont été lancés, comme la dérivation du fleuve Amou-Daria. Cependant, cette intervention dans les écosystèmes a eu des effets désastreux, notamment l'assèchement de la mer d'Aral, entraînant la perte de la pêche et de l'écosystème local, ainsi que des crises économiques et sanitaires pour les populations riveraines. Bien que motivés par un souhait d'autosuffisance, ces projets ont révélé une vision à court terme, négligeant les besoins des populations et les leçons de la nature, laissant derrière eux un lourd héritage de souffrances.
 
Le Grand Bond en avant de Mao Zedong, entre 1958 et 1962, visait à transformer rapidement la Chine d'une économie agraire en une puissance industrielle. Les paysans furent contraints de produire de l'acier dans des conditions rudimentaires, au détriment de l'agriculture, ce qui entraîna une famine dévastatrice causant la mort de dizaines de millions de personnes. Le même Mao a également lancé une campagne pour éradiquer les moineaux, considérés comme nuisibles. En mobilisant la population, il croyait que leur disparition sauverait les récoltes, mais cette initiative a perturbé l'équilibre écologique, aggravant la crise alimentaire et illustrant les dangers d'une gestion radicale et mal informée des ressources.
 
Au Venezuela, Hugo Chávez, dans une démarche certainement sincère, a nationalisé de nombreuses industries, y compris le secteur pétrolier, sans planification adéquate ni gestion efficace. Ces nationalisations ont entraîné une chute de la production et des investissements, provoquant une grave crise économique.
 
Plus proche de nous, parmi les décisions personnelles de Mouammar Kadhafi, celle de transformer le désert libyen en un paradis grâce au fleuve vert illustre ses ambitions démesurées. En investissant massivement dans cette initiative, il espérait irriguer des terres arides pour revitaliser l'agriculture libyenne, mais ce projet, comme tant d’autres projets personnels, a été un échec retentissant.
 
Pourquoi ces projets irréalistes ont-ils pu voir le jour malgré les avis contraires des experts ? Simplement parce qu'en l'absence de démocratie, la peur instillée par le système rend toutes les folies d’un seul possibles. En revisitant chaque exemple, on constate que ceux qui se sont opposés aux folies d’un dictateur ont été qualifiés de conspirateurs ou de traîtres par le régime. Les véritables experts, quant à eux, se sont souvent autocensurés ou ont choisi de se conformer par crainte de répression. La mort ou l'emprisonnement attendaient les contradicteurs et les experts dissidents. En l’absence de liberté de presse, aucune voix dissidente n’était audible. Avec les réseaux sociaux, les choses n’ont pas tellement évolué. Les conséquences de la suppression de la liberté d'expression rendent possibles des décisions économiques, sociales, écologiques et démographiques catastrophiques pour la nation. Des théories du complot deviennent des vérités, des positions extrêmes ou des conceptions radicales fantaisistes ou dangereuses sont martelées à une presse aux ordres à une population soumise.
 
En psychologie, le « délire » se définit comme une perturbation du fonctionnement mental, pouvant être réversible ou chronique. Karl Jaspers, dans son ouvrage de 1913, a établi trois critères pour identifier un délire : la conviction absolue de la croyance, son inaltérabilité face à des arguments contraires et sa fausseté manifeste. Il existe plusieurs types de délires, allant du délire de revendication au délire mystique, en passant par le délire mégalomaniaque et les délires de persécution. Ces manifestations ne sont souvent pas exclusives les unes des autres et peuvent coexister chez un même individu. Un dirigeant peut ainsi cumuler divers types de délires, chacun influençant son comportement et ses décisions.
 
Ceux qui concentrent le pouvoir de l'État dans un cadre tyrannique se sentent souvent persécutés et victimes de complots, des situations propices à toutes les formes de délires. La dictature n'explique pas à elle seule ces phénomènes. La quête de pouvoir absolu peut découler d'une peur omniprésente, d'une impression de menace constante, poussant ces dirigeants à agir de manière incohérente et à prendre des décisions risquées. Ce besoin de contrôle est souvent le reflet d'une profonde insécurité, engendrant un discours et des actions imprévisibles.
 
Ces projets démesurés cités plus haut ont pu prospérer en l’absence de démocratie. Le complotisme et un nationalisme exacerbé, souvent encouragés par ces dirigeants, ont amené une partie de la population à croire en la justesse de ces choix. L'oppression de toutes les voix dissidentes a éliminé ceux qui pouvaient éveiller les intelligences.
 
L’importance d’une "superstructure" idéologique dans les processus de transformation sociale est indéniable, mais le glissement vers une dictature qui ne reconnaît pas la hiérarchie de l'expertise est à prévenir. Le drame arrive quand un militant impose ses décisions à un expert. Les orientations idéologiques, aussi respectables et légitimes soient-elles, ont besoin d’expertise technique pour réussir, et l’expertise ne s’acquiert pas dans les cellules d’un parti. Un pouvoir, aussi légitime soit-il, ne saurait justifier des décisions farfelues au nom du peuple. L'humilité intellectuelle des Grands impose d'écouter ceux qui détiennent une véritable compréhension des enjeux, le savoir et l’expérience. Expertise et débats sont des garants de la réussite des projets, surtout quand ils tendent à transformer en profondeur un pays. L’équilibre entre le politique et le technique ne peut être trouvé que dans des instances techniques indépendantes. Et souvenons-nous que dans un passé récent, de nombreux projets ambitieux, souvent motivés par de bonnes intentions, ont abouti à des catastrophes en raison de l'absence d’études sérieuses et de débats sociétaux démocratiques.
08/09/2024 | 11:30
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Commentaires
Dr Mounir Hanablia
LIBERAL EN POLITIQUE, DICTATEUR ACADEMIQUE
a posté le 14-09-2024 à 08:27
Quand vous avez occupé la chaire d'anesthésie réa, vous avez à tort établi un barrage autour de la réanimation médicale. Vous n'êtes donc pas particulièrement libéral. Pour en revenir à la politique, il n'y a pas que le délire d'un homme, il y a aussi l'hystérie collective; par exemple croire dur comme fer ou faire croire qu'un système politique qui a sa propre histoire ( coloniale) , la démocratie libérale, peut faire sortir un pays moyenâgeux de l'ornière. On a vu où cela a mené quand les islamistes ont été élus . Je préfère encore un homme qui agit sans parler comme Marc Aurèle à ceux qui parlent sans agir ainsi que l'a fait durant dix années la classe politique que vous soutenez.
Djodjo
Apparemment en Tunisie certains aime la dictature
a posté le 08-09-2024 à 21:26
A tous les cretins qui justifie la dictature parce certaine ont des réussites économiques vous n'êtes que des ploucs, je ne vendrais jamais ma liberté et ma dignité pour devenir le sous-fifres d'un homme quel qu'il soit, question d'honneur.

Pour ce qui est de la réussite économique chinoise ou russe, bon ben j'ai envie de dire qu'en plus de ne pas avoir de dignité, vous êtes aussi très stupide.

Aucune dictature au monde n'a le pib par habitant des démocraties les plus en avance, par contre il est vrai que certaine démocratie ont des niveaux de vie de pays en retard (Inde Brésil etc'?')

Pour résumer, une dictature c'est l'assurance de voir nos droits bafoués, d'être considérés comme un animal domestique à la disposition du chef et de vivre dans un pays pauvre. Une démocratie ne garantie pas la réussite économique mais par contre, mes droits et mon statut d'humain sont respectés.

Gg
D'accord avec vous!
a posté le 08-09-2024 à 16:12
Il convient d'ajouter que l'exercice du pouvoir semble produire des ego hypertrophiés, sortes de délires de surpuissance. D'où la nécessité de l'alternance!
elfribo
TDS?
a posté le 08-09-2024 à 15:11
Toi aussi tu es atteint du virus TDS?
Tu mets cote-a -cote les noms de Stalin.Mussolini, Kaddafi et TRUMP?, alors la j'ai arrete ma lecture.J'ai compris que c'est une ordure.
(Pour les ignorants de ton acabit TDS veut dire TRUMP DERANGEMENT SYNDROME.)
le financier
votre article est faux
a posté le 08-09-2024 à 13:35
Vous partez d un postulat que les dictateurs sont irrationnels et vous citez des exemples d echecs mais vous ne citez pas leurs reussites ( bombe nucleaire , passage d une economie agricole vers une industrie qui fait la grandeur de la russie jusqu a ce jour , pour la chine je vous conseille de lire le livre rouge dans lequel mao avait donné la date exacte ou la chine passerait devant les usa , et les etapes )
Un dictateur n a pas plus d echec que les pseudo democratie , prenant l exemple de la france qui a construit un avion concorde qui a ete un echec commercial et je ne parle pas du tunnel sous la manche qui commence a peine a gagner de l argent ,sans parler du minitel ou du tgv deficitaire si on y rajoute la branche reseau ferré ...
Vous ne pouvez donc pas partir du postulat de pseudo echec pour justifier cette these .
Ces dictateurs ont une rationalité lié a un objectifs clair a long terme , que vous ne la compreniez pas est une chose qu il s amuse ou détourne des vérités pour arrivé a leurs objectifs est tout a fait rationnel mais non ethique il est vrai . Mais les democraties ont détruit nagazaki hiroshima amené hitler au pouvoir et detruise gaza , les objectifs sont au dessus de la rationalité ou de l ethique
Ridha
On ne peut mieux dire, financier !
a posté le à 23:38
Complètement d'accord avec vous.
Gg
Mais...
a posté le à 16:22
"concorde qui a ete un echec commercial"
Oui pas de bol, l'explosion du prix du pétrole l'a condamné prématurément

"tunnel sous la manche qui commence a peine a gagner de l argent"
Absolument nécessaire pour raisons géopolitiques et économiques qui dépassent sa stricte rentabilité

"sans parler du minitel"
Le premier outil de communication numérique image et son, vite dépassé mais précurseur

"tgv deficitaire si on y rajoute la branche reseau ferré"
Non, on ne saurait se passer des TGV aujourd'hui.
Ce train a formidablement rapproché les villes.
Le TGV est un gros moteur économique
Jilani
Michel Barnier a dit qu'il va écouter les gens d'en bas
a posté le 08-09-2024 à 12:38
Malheureusement cette arrogance et mépris du peuple n'est plus seulement une caractéristique des régimes arabes, elle se propage partout même dans les démocraties les plus anciennes. Chacun pense qu'il détient la meilleure idée. Macron défend ses EPR d'énergie nucléaire sans tenir compte de leur dangerosité. Chez nous il y a le projet du complexe sanitaire à Kairouan qui va démarrer par baguette magique la semaine prochaine et d'autres grands projets qui n'ont pas démarré comme la cité sportive au kram et dont on ne connait pas exactement l'utilité face à des projets plus importants comme le développement des énergies renouvelables ou la modernisation des canaux de distribution de l'eau. Tous ces projets qu'on veut démarrer par la force sans des études approfondies font travailler l'image du dictateur.
LMT
Délires...
a posté le 08-09-2024 à 12:23
Malheureusement, les théories du complot érigé en vérité inaliénable et découlant des délires intriqués (mégalomanie, persécution, paranoïa...) sont devenues l'emblème de la Tunisie post-revolution. Un emblème agité par des dictateurs foncièrement nuls et malades qui n'écoutent que leurs idées erronées et destructrices.