Par Mohamed Salah Ben Ammar
En 2024, et à l'échelle mondiale, les assassinats et les arrestations de journalistes sont en forte augmentation à travers le monde. En zone de guerre, plus précisément à Gaza, 159 journalistes ont perdu la vie sous les balles israéliennes.
Ailleurs, c’est durant les périodes électorales que les agressions contre les journalistes sont les plus fréquentes. En Tunisie, le célèbre décret 54 a permis l’arrestation de nombreux journalistes, dont Sonia Dahmani, Borhane Bsaies, Mohamed Boughaleb ou encore Mourad Zghidi, qui croupissent en prison simplement pour avoir exercé librement leur métier.
Toujours en Tunisie, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied Dabbar, a affirmé, samedi 7 septembre 2024, que le secteur des médias fait en ce moment face à de nombreux défis, parmi lesquels la menace d’un recul des libertés.
Zied Dabbar a révélé que « le nombre d’institutions médiatiques privées a atteint le chiffre alarmant de moins de quarante médias et que 80 % d’entre eux pourraient mettre la clé sous la porte en raison du contexte économique difficile qu'ils traversent. »
Mais de quoi s’agit-il ?
La concentration des médias entre les mains de l’État est très inquiétante, et la nomination de directeurs de publications et de rédacteurs en chef à la tête de journaux financés par l’argent public n’est pas constructive.
Le 1er août 2024, des menaces à peine voilées ont été proférées contre la directrice de la Radio nationale en public par le chef de l’État lors de sa visite dite inopinée au siège de la chaîne nationale. Il a affirmé « la nécessité pour la radio nationale de s’engager dans la guerre de libération nationale pour libérer le pays de tous les criminels qui ont infiltré tous ses rouages ».
Quand la plus haute autorité en place qualifie ses opposants de criminels, quelle marge de manœuvre laisse-t-elle aux journalistes salariés de l’État ? Un mois plus tard, un éditorialiste zélé a écrit dans un journal financé par nos impôts : « Nous évoquons des échecs, des choix malheureux et une exclusion généralisée, mais nous passons sous silence les trahisons, la corruption, la contrebande et les manœuvres sournoises, tout cela dans le but de discréditer le candidat Kaïs Saïed ou de minimiser ses réalisations durant son mandat. » (La Presse du 31 août 2024). De la propagande électorale, soit, pourquoi pas, mais de là à insulter dans un éditorial l’opposition, ce n’est plus du journalisme. Ce journal, encore appelé le journal aux deux éditoriaux, parce qu’en ce certain 7 novembre 1987, deux éditoriaux totalement contradictoires ont été écrits par un même journaliste, un avant le coup d’État vantant les mérites de Bourguiba et un autre le même jour après le coup d’État, ceux de Ben Ali. Ce journal n’existe encore que parce que le pouvoir le veut.
La confiance du public envers les médias doit se mériter. Lire la Pravda à l'époque soviétique était un exercice d'interprétation des messages codés. Les citoyens des pays où les libertés ne sont pas respectées doivent souvent déchiffrer les messages entre les lignes. De nos jours, pour éviter les représailles, de nombreux journalistes se contentent de reproduire des dépêches d'agences, remplissant des colonnes souvent négligées. Il n'est pas rare qu'une même information, relayée à la fois par un journal indépendant et un média d'État, soit interprétée de manière diamétralement opposée.
D’une façon générale, toutes les autocraties ont les mêmes réflexes face à la presse. Tous les leviers sont utilisés pour la soumettre : blocage des recettes publicitaires, interdiction de vente de papier, intimidations, arrestations ou même assassinats.
Journalistes : un métier à risques sous certains cieux.
L'information est un bien commun, nul n’a le droit de la déformer ou de la manipuler. Des hommes et des femmes risquent leur liberté, voire leur vie, pour nous tenir informés. Correspondants quelque part à un salaire insignifiant, vivant dans des conditions difficiles, se déplaçant dans des zones dangereuses, pigistes, la plupart des journalistes vivent difficilement de leur passion. Leur seul bien est une carte de presse et un gilet qui ne les protègent de rien ; bien au contraire, cela en fait des cibles de choix. Ils nous informent et éclairent nos choix au péril de leur vie.
Pour continuer à assurer leurs missions dans ces conditions, ils doivent développer une solide carapace. Il n’est pas donné à tout le monde de résister en toutes circonstances aux pressions, qu'elles viennent du pouvoir, de groupes d'influence ou des propriétaires de médias, qui cherchent à influer sur leur travail. Refuser un service, accepter des cadeaux, même minimes, ou des invitations compromet l’indépendance. Les professionnels le savent, les lecteurs aussi, et douter d’un organe de presse revient à le condamner à disparaître.
La confiance des lecteurs repose sur le respect d’une démarche professionnelle rigoureuse. C’est un objectif toujours remis en cause. Aller sur le terrain, observer, collecter, écouter et vérifier les informations confidentielles construit la confiance. Cette exigence de contact direct est essentielle. Cela implique une vérification rigoureuse, une hiérarchisation et une contextualisation des faits, afin de permettre au lecteur de distinguer l'essentiel de l'accessoire. Les journalistes doivent aussi interroger continuellement leurs propres biais et adopter une perspective équilibrée et réfléchie pour garantir la fiabilité des témoignages. La liberté de la presse ne se négocie pas. Un journaliste doit pouvoir effectuer son travail en toute quiétude ; il doit protéger ses sources sans être inquiété.
La confiance se construit grâce à un travail de qualité. Rapporter les faits sans dissimulation, sans peur ni exagération nécessite compétence et courage. L'objectivité journalistique n'est jamais absolue ; prétendre le contraire serait vain. Les pièges tendus par certaines chaînes d’information, qui se présentent comme des sources d’informations brutes, ont été clairement identifiés lors du conflit à Gaza. Il est donc essentiel d'assumer une certaine subjectivité responsable, permettant ainsi de bâtir la confiance. Chacun est libre de s'informer à travers la presse qui correspond à ses opinions. Au niveau des organes de presse, favoriser le pluralisme médiatique est essentiel. En démocratie, l’État n’intervient pas dans le travail des journalistes, quand bien même ils seraient salariés de cet État. Les chartes déontologiques et les comités d'éthique au sein des rédactions doivent remplir leur mission.
La survie même de nos sociétés démocratiques est menacée lorsque les journalistes abandonnent les valeurs qui confèrent à leur métier sa grandeur. Un accès à une information libre et variée est fondamental à la vitalité d’une démocratie. Il est impératif de retrouver des repères fiables au milieu de ce flux incessant d'images et d'informations, afin de permettre à chacun de participer pleinement au débat public et d’exprimer ses opinions avec discernement, plutôt que de se laisser emporter par des rumeurs.
Ceux qui n’ont pas réalisé que, dans le domaine de l’information, les frontières entre pays et continents s'estompent, et même la barrière linguistique n’en est plus une. L’information circule plus vite que leur réflexion interne. Ceux qui n’en ont pas pris conscience nuisent à leur pays. En attendant, deviner la une d’un de nos journaux étatiques le 7 octobre 2024 devrait être à la portée d’un enfant de cinq ans.
Comme d'hab tu dis n'importe quoi et il serait temps de redescendre sur terre.
Le lecteur doit seulement connaître l'opinion du journaliste.
Faute de lire l'arabe, je ne connais pas les journaux tunisiens, à l'exception de BN, que je trouve courageux et sincère.
Mais chez moi, entre Libération et Le Figaro, le son de cloche n'est pas le même. L'essentiel est connaitre le son des cloches!
Le vrai danger c'est la rumeur, la manipulation, le "fake". S'informer par facebook et autres est une catastrophe démocratique.
Encore une fois le journaliste de métier est indispensable...
PS: Parfois la connexion à BN ne fonctionne pas. Et tout de suite, je m'inquiète : ca y est, ils l'ont eu?
Et la connexion revient, alleliua!