Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a tenu, le 1er août 2023, une conférence de presse portant sur la situation des médias et la poursuite en justice des journalistes. S’exprimant lors de cet événement, le président du SNJT, Mahdi Jlassi, a critiqué la situation du pays et l’ouverture de 34 enquêtes visant les journalistes en dehors du décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l'impression et de l'édition.
Mahdi Jlassi a indiqué que les journalistes étaient poursuivis en vertu de la loi de lutte contre le terrorisme, du décret n°54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication ou encore du Code de la justice militaire. Il s’agit, selon lui, d’une politique visant à soumettre les médias et les journalistes à la volonté du pouvoir en place. Mahdi Jlassi est revenu sur l’arrestation de la journaliste Chadha Hadj Mbarek. Il a critiqué la chose et a affirmé que sa collègue était innocente. La journaliste avait été arrêtée dans le cadre de l’enquête visant l’entreprise Instalingo. Mahdi Jlassi a rappelé qu’elle n’occupait pas de fonction managériale au sein de la société et qu’elle ne faisait que créer du contenu journalistique. Selon lui, Chadha Hadj Mbarek fait l’objet d’une grande injustice.
« Nous avons tous été surpris, même sa famille, de son interpellation en pleine rue… Elle n’avait pas à être arrêtée… Il s’agit d’un règlement de comptes… Des mafias ont réussi à forcer la main de l’État… Des pages suspectes et ayant certaines orientations ont mené des campagnes d’incitation visant Chadha Hadj Mbarek… Les pages ont influencé la décision de la justice et ont poussé vers un changement du juge d’instruction… Cette situation reflète la situation du pays », a-t-il déclaré.
Le frère de Chadha Hadj Mbarek, Amen Hadj Mbarek, a indiqué que celle-ci avait préparé son sac et s’attendait à être arrêtée tout en étant convaincue de son innocence. Il a assuré que sa sœur n’était pas liée aux publications touchant à la situation économique du pays ou à la présidence de la République. Il a évoqué une détérioration de sa situation médicale.
Mahdi Jlassi a considéré que le SNJT et la société civile ne pouvaient plus tolérer les arrestations et les poursuites initiées par les ministres. Il a évoqué l’exemple du poète, Sami Dhibi. Il a été arrêté le 31 juillet 2023 suite à une enquête se basant sur une publication Facebook de ce dernier. Il a, également, mentionné l’ouverture d’enquêtes visant les journalistes, Nizar Bahloul, Mouna Arfaoui, Mohamed Boughaleb et Amine Dhbeibi.
De son côté, la vice-présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Amira Mohamed a considéré que Chadha Hadj Mbarek avait servi de bouc émissaire. Elle a considéré que les atteintes commises par le pouvoir en place ne se limitaient pas à l’arrestation de Chadha Hadj Mbarek. Elle a évoqué la question des médias saisie par l’État et plus précisément la radio Shems Fm et de Cactus Prod.
« Nous nous rappelons tous de ce qui s’est passé au niveau de Cactus Prod. Nos collègues, qui ont obtenu gain de cause auprès de la justice tunisienne, n’ont toujours pas pu obtenir ce qui leur est dû. L’État n’a toujours pas pris de décision. Que se passera-t-il ? Cette entreprise, va-t-elle être cédée ? Compte-t-on vendre ses biens ? Reprendra-t-elle son fonctionnement normal ? Pour ce qui est de Dar Assabah, vous avez tous été informés de la récente décision ! Nous n’avons pas plus de détails à ce sujet. On a décidé de fusionner deux entreprises. Comment ? Selon quels mécanismes ? Qu’est ce qui garantit la pérennité des deux sociétés ? L’indépendance de leurs lignes éditoriales ? Les emplois ? Des questions que tout le monde se pose. On nous a, seulement, indiqués que le programme de fusion n’a pas encore été étudié. Il sera abordé d’ici la fin de l’année », a-t-elle dit.
Amira Mohamed a affirmé que les employés de Dar Assabah n’ont toujours pas été payés. L’administration donne l’ordre de verser des salaires, mais on refuse cela. Elle a pointé du doigt la divergence entre la réalité et le discours du président de la République à ce sujet. Ce dernier avait mis l’accent sur l’importance et la valeur historique de Dar Assabah considérant qu’elle fait partie du patrimoine de la Tunisie.
Évoquant la situation au sein de Shems Fm, Amira Mohamed a crié au complot visant à affamer les employés de la radio. Le pouvoir en place cherche, selon elle, à les pousser à démissionner et à quitter l’entreprise. Ceci résulte de l’opposition du pouvoir en place à la ligne éditoriale de la radio. Elle a expliqué que les employés de Shems Fm n'avaient pas reçu de salaire durant quatre mois consécutifs. On leur a versé, par la suite, trois salaires. Cette somme a directement été dépensée en frais bancaires et autres dettes. Elle a critiqué l’absence de solution et de visibilité quant au futur de Shems Fm.
« Ce qui est encore plus dangereux reste les dires du président de la République. Il confond entre deux choses. Il a utilisé le terme "médias étatiques", mais au fond de lui il voulait dire "média gouvernementale"… Il veut en faire un média au service du pouvoir et non un média étatique au service du peuple tunisien… Il a parlé de la radio Shems Fm uniquement en raison du passage médiatique d’une personne dont les paroles n’ont pas plus au président de la République », a-t-elle critiqué.
Amira Mohamed s’est interrogée sur l’absence de décision au sujet de Shems Fm. Plus de 90% de cette entreprise est détenue par l’Etat. Néanmoins, il n’y a pas d’information claire à ce sujet. Elle a expliqué que Shems Fm était la source de revenu de soixante familles. Elles endurent les conséquences de la gestion catastrophique de ce dossier. Amira Mohamed a tenu le président de la République, Kaïs Saïed, responsable de la situation des employés et de leurs familles.
Par la suite, la présidente du syndicat des journalistes de Shems Fm, Khaoula Sliti a indiqué avoir rencontré une délégation composée des conseillers du président. On leur a indiqué que Kaïs Saïed cherchait à préserver la radio et à trouver une issue à la crise. « La rencontre était positive… On nous a fait plusieurs promesses… Réellement, Shems ne pourra plus continuer à exister… Venez voir le nombre de certificats médicaux émis par des psychologues et déposés par mes collègues… Nous vivons dans un climat toxique… Je continue à travailler en raison de l’engagement éthique au sein de l’entreprise », a-t-elle déclaré.
Khaoula Sliti a indiqué que les employés n’ont pas reçu leurs salaires de juillet et de juin 2023. Elle a indiqué que ceux qui avaient pris des congés sans solde n’ont pas été remplacés. On comble le vide par de la musique. Il n’y a plus de contenu à diffuser. Shems Fm a, aussi, enregistré une baisse du nombre de chauffeurs. Ces derniers ont été obligés de prendre des congés. On a demandé aux journalistes de présenter le bulletin d’informations à distance. Khaoula Sliti a mis l’accent sur l’absence d’un vis-à-vis et de la rupture des canaux de communication avec la présidence de la République.
Khaoula Sliti a critiqué les allusions et les accusations portées par le président à la radio Shems Fm. Elle a assuré que la radio ne complotait pas contre l’État tunisien et que les invités appartenaient à tous les courants. Elle a indiqué que les employés de Shems Fm ont été fortement lésés au niveau de leurs droits sociaux et économiques. Le préjudice qui leur a été fait inclut également des dommages psychologiques.
S.G