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Chroniques
L’intelligence suspecte
Par Maya Bouallégui
12/04/2025 | 15:59
5 min
L’intelligence suspecte

  

Hier vendredi 11 avril s’est tenu, en toute discrétion et visio-pudeur, le deuxième épisode du procès dit du “complot contre l’État”, ouvert le 4 mars dernier. Un feuilleton judiciaire qui, à défaut de preuves, déborde de rebondissements, d’absurdités et de morts revenus d’outre-tombe. De quoi faire pâlir Netflix et réhabiliter les scénaristes de téléfilms du dimanche après-midi.

Ils sont quarante. Quarante affreux, sales et (supposément) méchants, ligués contre la République. Quarante cerveaux en ébullition, dont un (feu Bouali Mbarki, paix à son âme depuis 2020) aurait même eu la gentillesse de comploter depuis l’au-delà. Il faut dire que quand on aime sa patrie, on ne compte pas les frontières entre ici-bas et là-haut.

À l’origine du scénario, deux super-informateurs, XX et XXX. Non, ce ne sont pas les noms de code de James Bond, mais ceux de deux gentlemen peut-être bien tunisiens, peut-être bien en prison, ou au Parlement, ou les deux. L’un aurait entendu un ami belge, qui tenait d’une amie britannique, qu’un Tunisien parlait à un autre Tunisien de Kaïs Saïed. Voilà, crime d’État.

Les preuves ? Aucune. Les confrontations ? Aucune. Les lieux de rencontre ? Luxembourg, Libye, Marsa, Gammarth. Même l’ambassade à Bruxelles aurait accueilli une réunion secrète, en présence d’un ambassadeur qui, curieusement, a été promu ensuite pour devenir ministre. Bel esprit d’équipe.

Le juge ? Nommé par la ministre, parce que le Conseil de la magistrature, c’est surfait. Il a auditionné les prévenus ? Non. Il les a confrontés ? Non. Il a vérifié que les accusés n’étaient pas morts ? Toujours pas. Il a prolongé les mandats de dépôt sans les voir ? Bien sûr. Juste après, il a pris la poudre d’escampette pour s’installer au Moyen-Orient.

Et tout ça, dans une ambiance feutrée, à distance, en visioconférence, parce que dans cette République nouvelle, la justice ne regarde plus ses prévenus dans les yeux. Elle les contemple à travers une webcam 480p.

Alors, complot ou cabotinage ? À ce stade, même Netflix aurait refusé le scénario : trop invraisemblable. Mais en Tunisie, on appelle ça un procès. Et certains osent encore parler d’État de droit sans rougir.

 

Trump appuie sur “pause” : les marchés jubilent, les neurones vacillent

Jeudi 10 avril, Donald Trump a eu une idée brillante — une de plus. Il a décidé que la révolution tarifaire qu’il avait lui-même lancée la semaine précédente méritait... une pause. 90 jours de répit, le temps de relire « L’Art de la négociation » et de comprendre ce qu’il a écrit dedans.

Le génie stable — c’est lui qui le dit — a donc fait marche arrière à 145 à l’heure. Pourquoi ? Parce que les marchés lui ont fait les gros yeux. Parce que même Elon Musk, son cheerleader en chef, a commencé à sortir les rames. Et parce que, semble-t-il, regarder le cours des obligations depuis ses toilettes dorées lui donne des frissons économiques.

Alors Trump, toujours aussi imprévisible que sa mèche, a dit : « Stop. » Sauf pour la Chine, bien sûr. Elle, c’est le vilain de service. 145 % de droits de douane, bim, parce que “l’ami Xi” est intelligent, certes, mais un peu trop communiste au goût du Donald.

Et voilà que vendredi 11 avril, Pékin a répondu avec le sourire carnassier des vieux empires : « très bien, on monte à 125 % nous aussi ». Le ministère des Finances chinois précise, pince-sans-rire, que les produits américains ne trouvent déjà pas preneurs sur le marché local, donc... ils ignoreront toute future augmentation. Autrement dit : bon courage avec vos Harley-Davidson invendables.

Pendant ce temps, les conseillers de Trump jonglent avec la narration : une masterclass de stratégie, affirment-ils. Il tweete dès 9h37 que « c’est le moment d’acheter », fait grimper le S&P 500 de 9,52 %, puis déclare que tout était prévu depuis le début. Un plan brillant, pensé... ce matin-là, au petit-déj.

« Nous avons rédigé ça avec le cœur », dit-il, ému, comme un poète fiscal en goguette. Et quand un journaliste lui parle des représailles européennes, il hausse les épaules et répond : « OK, je suis content qu’ils se soient retenus. » Traduction : je n’ai rien compris mais je fais genre que si.

 

Bref, l’Amérique joue à la roulette russe commerciale. Et la planète croise les doigts pour que la balle ne soit pas dans le barillet.

 

Macron, entre les deux États, son cœur balance

Mercredi 9 avril, sur le plateau feutré de « C à vous » sur France 5, Emmanuel Macron a lâché l’info comme on lâche un pigeon blanc au milieu d’un champ de mines : la France pourrait reconnaître l’État palestinien en juin. Enfin ! diront certains. Trop tôt ! s’étranglent les autres. Juste à temps pour les élections européennes, pensent les plus cyniques. Nous, on se contentera de prendre du pop-corn.

Car tout est là : Macron, ce funambule de la diplomatie, propose un deal cosmique — reconnaître la Palestine pour inciter les pays arabes à reconnaître Israël. Une sorte de troc moral à l’échelle de l’ONU. On appelle ça de la géopolitique quantique : deux réalités contradictoires cohabitent, jusqu’à ce qu’un Premier ministre israélien les observe et les fasse exploser.

Israël, sans surprise, voit rouge. La Palestine ? Elle y voit l’aurore. La gauche française applaudit, la droite tousse, l’extrême droite hurle. Bref, la République est en pleine schizophrénie diplomatique, comme souvent quand elle tente de jongler entre droits de l’homme et ventes de Rafale.

Et puis surtout : que reconnaît-on exactement ? Un État sans frontières définies, sans contrôle de son territoire, dont une partie est tenue par le Hamas (pas franchement amateur de la solution à deux États). Mais chut, ne compliquons pas la symbolique avec des détails logistiques.

Macron veut « peser dans l’Histoire » — et il le fera peut-être, entre la chute de Bachar, la flambée des morts à Gaza, et la déclaration d’un État dont le principal pouvoir est... d’ouvrir une ambassade rue des Renaudes à Paris.

Mais bon, si ça peut faire croire le journal libanais L’Orient-Le Jour qu’Emmanuel est devenu Émir-Manuel, pourquoi pas. Après tout, l’Histoire, c’est aussi une question de storytelling.

 

Par Maya Bouallégui
12/04/2025 | 15:59
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Commentaires
RMNiste
Où est passé Mme Latif ?
a posté le 13-04-2025 à 19:42
Le style de Mme Latif est singulier, très fin avec un texte soutenu et cérébral. J'adore la lire. Elle est de loin la meilleure chroniqueuse de ce site. J'espère qu'elle reviendra très vite.
Fares
@RMNiste
a posté le à 21:02
Oui ça fait trois vendredis qu'on n'a pas lu la chronique de Ikhlas Latif. Mais je viens de vérifier sur la page "Qui sommes nous?" dont le lien figure en bas, Ikhlas et RBH font toujours partie de l'équipe BN (selon cette page) et cette page semble être à jour puisque le nom de Maya Bouallégui y figure. J'espère qu'on lira les chroniques d'Ikhlas bientôt.
Nephentes
@Rationnel
a posté le 13-04-2025 à 16:13
Bravo pour vos commentaires de très grande qualité

Je me méfie du climat de semi liberté ambiant; c'est peut être une pause tactique

Et surtout je répète de manière obsessionnelle que l'Etat Tunisien semble être a moyen terme en danger mortel

D'ici une décennie au rythme de delinquescence de nos institutions publiques notamment hospitalières éducative de soutien a l'économie au transport de nos institutions judiciaires et sécuritaires.

Je ne vois pas très bien comment la cohésion sociale et la paix civile pourraient être preservees

La Tunisie est à mon modeste point de vue parvenue a un stade de putréfaction de ses fonctions régaliennes beaucoup trop avancé pour s'en sortir sans dégâts
Rationnel
Du Progrès
a posté le 13-04-2025 à 13:38
Cet édito est une preuve que la Tunisie fait du progrès. Une critique aussi directe prouve que le climat de la peur est en train de se dissiper. Un autre signe positif qui s'ajoute a d'autres comme les procès contre les ex-supporter de KS devenus ses critiques (Bdida, Samti, page FB : KS Bina wa Tachiid avec une critique virulente contre l'influence de l'Algérie...). Une pétition courageuse et directe par des leaders de la sociale civile qui sortent d'une longue période de somnolence.
Les perspectives économique de la Tunisie se sont nettement améliorer en une semaine grâce a Trump, chute du dollar de 10% vis-a-vis du Dinar donc réduction du fardeau de la dette, réduction des taux d'intérêt, chute du prix de pétrole de 20% en une semaine et réduction des déficits commercial et budgétaire.
Un printemps qui a bien commence.
L'intelligence suspecte des adversaires peut nous offrir des jours meilleurs. Sun Tzu : « Nous protéger contre la défaite est entre nos mains, mais l'opportunité de vaincre l'ennemi est fournie par l'ennemi lui-même. »
Fares
Anchor pricing
a posté le à 17:15
Je ne suis pas si optimiste que vous concernant l'amélioration de l'économie, ni concernant les libertés en Tunisie, d'ailleurs. Nous avons affaire à deux personnes instables. Leurs actions sont souvent compulsives et ils semblent adorer la destruction.

Cependant, comme dans l'anchor pricing, ceux qui observent Trump et ses abberations se rendent de compte que Saied n'est pas si mal que ça et est presque sympathique. On verra prochainement des hordes de tunisiens et tunisiennes sortir du placard pour annoncer fièrement leur kaisounisme, jusque-là refoulé. Avis à ceux qui "maintiennent" l'acronyme LGBT, un acronyme qui s'allonge à vue d'oeil, je leurs recommande d'ajouter la lettre K à cette désignation pour qu'elle devienne LGBT...K.

Andik fil hamm m'a takhtar.
Alya
J ai aimé la revue de la semaine
a posté le 13-04-2025 à 12:41
C est bien écrit. C est Light et cela nous ramène à une ancienne rubrique de Karim Guellaty
EL OUAFFY Y
LA DIPLOMATIE TUNISIENNE A INT'?R'?T DE RESTER DANS UNE OPPOSITION OBSERVATEUR .
a posté le 13-04-2025 à 08:48
La diplomatie Tunisienne a intérêt de rester en position d'observateur ni avec l'un ni l'autre vue le changement inattendu l'accord entre la Russie et Les U S A pourra bouleversé l'ancien méthode stratégie en géopolitique maybe la neutralité dans les frontières pragmatique c'est la meilleure que l'occasion ou jamais que le diplomate Hadi Nouira se trouvera très a l'aise .
Lucky Luke
Surfer sur la vague
a posté le 12-04-2025 à 18:30
On commence par nos besognes internes et on termine par Macron et les palestiniens en passant en escale par Donald Duck !
Merci pour la bonne Chakchouka, certes pas aussi fade que ça, toutefois sans filets de saumon rose ni fil rouge conducteur, un filon leitmotiv me manquait ! Mais ce n'est pas ça le plus grave..

Brabbi, qu'on laisse Macron, les français et leurs mirages tranquilles et qu'on s'occupe de nos propres mirages à nous à la sauce ahliya d'un maboul "habbel jma3a" !
Qu'on laisse les palestiniens saisir ce moment historique, même avec ses dégâts et malheurs, et décider de leur sort et leur futur en s'unissant eux concernés en premier contre l'occupant, car leurs problèmes sont, comme les nôtres, tout d'abord internes !
Une solution de deux états on dit, on oublie qu'il y a au moins trois états, un hébreu voyou et deux palestiniens encore plus corrompus que le premier, plus corrompu l'un que l'autre, tous deux défaillants, en conformité avec l'état actuel du monde arabe, présidés par des momies s'attachant au pouvoir tels des poux et qui sont incapables de jouer le moindre rôle de leadership et de résoudre les problèmes de leurs peuples.
Al Mokh
Lucky
a posté le à 23:51
Ni chakchouka, ni ratatouille niceoise, je crois que l'objectif de cette chronique du week-end est de nous fournir un récapitulatif de l'actualité nationale et internationale sur un ton humoristique. Personnellement, j'aime.
Lucky Luke
Alors certainement 3ejja bel mokh
a posté le à 15:34
Et comme disait l'autre instagrameuse :
"Mouch waw, ema je prends quand-même !"

Bon weekend et une pensée aux milliers de tunisiens sans électricité, des coupures devenues chose récurrente et presque ordinaire. On se donne rendez-vous prochainement et au plus tard l'été avec une belle tension électrique harmonieuse et harmonique et qui lève la tête au-dessus des 200 V aussi peu souvent que notre cher Moufti à la wataniya, bientôt tunis25, nous fait une de ces "7ala9a"s impromptues, à différencier bien évidemment du terme homonyme dénombrant l'épisode d'un feuilleton ramadenesque, "astaRfir Allah", comme disait un ami, car ILS cherchent à rendre coûte que coûte notre société décadente, "wal 3iyedh bellah" !
Fares
Des instables au gouvernail
a posté le 12-04-2025 à 18:00
Rétropédalage à volonté de la part de la boule orange, il faut rompre avec le passé entonna notre putschiste chéri tout en caressant la nostalgie des sixties, arrière el goddam. Deux adeptes de la pratique d'avancer à reculant. Où va le monde avec de pareils clowns aux commandes? In the meantime, le cynique voyou Vlad rigole à gorge déployée.
Mamadou
L' intelligente
a posté le 12-04-2025 à 17:05
Bravo Maya pour l'article , tres instructif comme toujours .

Enfin on a vu votre visage .

Bonne continuation .