Par Nizar Bahloul
Le remaniement tant attendu tarde à venir. Aux dernières nouvelles, il sera effectué ce mercredi 7 novembre. Drôle de date. Sera-t-elle annonciatrice d’une nouvelle ère ? Est-ce prémédité de la part du chef du gouvernement ? Les enchères pourront continuer pour 24 heures au moins et, à l’heure qu’il est, on ne sait pas qui va intégrer le gouvernement. Les noms des entrants qui circulent dans les coulisses (Watfa Belaïd, Kamel Morjane, René Trabelsi, etc) sont assez rassurants. Ceux qui sortent pareil. A défaut d’informations officielles, point d’analyse. Quant à la guerre entre les Caïd Essebsi et Youssef Chahed, il semble qu’il y ait une sorte d’accalmie entre deux batailles, en ce moment.
Le député et blogueur controversé Yassine Ayari a été condamné récemment à une peine de prison ferme, par contumace, dans une affaire d’opinion par la cour d’appel militaire.
Légalement, il est couvert par son immunité et le procès n’aurait pas dû avoir lieu sans que l’intéressé ne soit informé et que le parlement ne valide sa traduction. Techniquement, il n’y a aucune raison justifiant la contumace, puisque l’adresse du prévenu est connue. Déontologiquement, l’affaire n’aurait même pas dû être ouverte devant un tribunal militaire, puisqu’il s’agit d’un délit d’opinion qui, dans un pays prônant la démocratie, relève des tribunaux civils.
Pour toutes ces raisons, cette affaire dérange et on s’en passerait volontiers. La Tunisie devrait d’ailleurs se passer de toutes les affaires liées à la liberté d’expression. Seul un tribunal (aux magistrats spécialisés) devrait se pencher sur les plaintes des personnes diffamées et injuriées et les peines ne devraient jamais être privatives de libertés, sauf en ce qui concerne l’incitation à certains crimes. Le décret-loi 115 relatif à la presse prévoit d’ailleurs ces peines de prison (qui vont de un à cinq ans), mais on ne lit pas dans ce décret-loi une peine de trois mois de prison, telle celle subie par Yassine Ayari.
Que reproche exactement le tribunal militaire à Yassine Ayari ?
Les déboires judiciaires du député, à l’époque blogueur, ont commencé en 2014 quand son mentor Moncef Marzouki était encore président de la République. Il a été condamné à de la prison ferme et sa peine n’a été exécutée qu’en partie, à la faveur d’une grâce de Béji Caïd Essebsi qui a pris le pouvoir entre temps. Son tort, avoir rédigé des posts Facebook portant atteinte à de hauts gradés de l’armée, cités nommément.
Ce qui est bon à rappeler, c’est que Yassine Ayari figurait parmi les pires personnages du web. Ses posts étaient ignobles, tant il humiliait ses adversaires politiques. Diffamation, injures, grossièretés, violations de secrets professionnels et personnels. L’honneur des gens (hommes et femmes) n’était pas une ligne rouge pour lui et, à maintes reprises, il n’a pas hésité à parler des intimités d’hommes et femmes politiques et de médias. J’en sais personnellement quelque chose.
N’empêche, ce qu’il a commis comme centaines d’actes répréhensibles ne va pas jusqu’à ce qu’on le condamne à une peine privative de liberté. Qu’un citoyen dépasse les bornes, cela est acceptable. Mais quand c’est l’Etat qui dépasse les bornes, par le biais de son tribunal militaire, ceci doit être fermement dénoncé.
Il se trouve que les magistrats militaires sont tombés dans un piège en se mettant au même niveau qu’un blogueur. Un blogueur vil de surcroît. Ils sont tombés dans son piège doublement. En acceptant l’affaire d’abord au lieu de la renvoyer devant un tribunal civil et en le condamnant à de la prison ferme ensuite, là où de fortes amendes auraient suffi, comme cela se passe dans tous les pays démocratiques.
Le résultat ne s’est pas fait attendre, car Yassine Ayari (tout comme ses pairs d’Irada et quelques islamistes) a le don de savoir pleurnicher et jouer aux victimes quand l’étau se resserre autour de lui.
Il a exploité tous les bâtons tendus par les magistrats militaires en déclarant qu’il va purger sa peine et abandonner son immunité parlementaire, par souci de défense de la liberté d’expression. Pour lui, il est impératif de faire casser ce système. « LE SYSTÈME ». Il crie sur tous les toits qu’il est un adversaire et une victime du système, alors qu’il en a toujours fait partie et profité de ses dividendes.
Contrairement aux véritables exclus du système, Yassine Ayari est un fils de militaire, feu le martyr Tahar Ayari, paix à son âme, qui n’a jamais vécu dans la pauvreté et la précarité.
Contrairement aux véritables exclus du système, Yassine Ayari a travaillé (avant la révolution) avec le ministère de l’Intérieur à qui il a développé des solutions d’ingénierie informatique.
Contrairement aux véritables exclus du système, Yassine Ayari a figuré parmi les personnes les plus proches de Moncef Marzouki, quand il était président de la République.
Et contrairement aux véritables exclus du système, Yassine Ayari a profité de ce même système pour se faire élire Député de la Nation.
Combattre un système dont on a toujours fait partie et dont on a toujours profité est le summum de l’hypocrisie qu’on observe chez énormément de « révolutionnaires ».
Yassine Ayari n’est pas le premier condamné par un Tribunal militaire pour une affaire liée à la liberté d’expression. Avant lui, il y avait Ayoub Massoûdi, ancien conseiller à la Communication du président Moncef Marzouki condamné en 2012 à de la prison ferme pour des faits similaires par le même tribunal. S’il est vrai que Yassine Ayari a défendu M. Massoûdi, à partir de l’unique leitmotiv de la liberté d’expression, il n’a jamais dénoncé le fait qu’un civil soit traduit devant une juridiction militaire et encore moins l’implication de Moncef Marzouki dans cette affaire.
Qu’a fait depuis 2012 Yassine Ayari en faveur de la liberté d’expression ? Rien ! C’est même tout le contraire. Il a été pendant très longtemps celui qui injurie et salit l’honneur de ses adversaires, juste parce qu’ils ont une opinion et un positionnement politique différents des siens. Il se réjouissait carrément quand il voyait un journaliste « adverse » subir des déboires judiciaires !
Pour rendre à César ce qui lui appartient, Yassine Ayari s’est beaucoup assagi dans son comportement et ses publications depuis qu’il est député. Il est devenu posé et raisonnable, respectueux et poli. Sauf qu’il n’a pas abandonné sa nature pleurnicharde qui s’est même accentuée depuis qu’il est devenu collègue de Imed Daïmi.
Jusqu’à nouvel ordre, et d’après ce que l’on sait, un député n’a pas à pleurer et dénoncer une cabale judiciaire dans les médias. Ceci est du ressort du commun des mortels, pas de ceux qui font et défont les lois. Ayoub Massoûdi a été condamné (et éjecté de la scène politique) en 2012. Yassine Ayari lui-même a été condamné en 2014. Mais depuis 2017, Yassine Ayari est député et aurait pu déposer un projet de loi qui interdit aux magistrats militaires de juger des civils. L’a-t-il fait ? Non ! Le tribunal militaire s’est bien basé sur des textes de loi pour prononcer ces condamnations, pourquoi ces textes de loi sont restés en application, alors que le député aurait pu agir pour essayer de les annuler ? La procédure est longue, certes, mais elle n’a même pas encore été entamée ! Yassine Ayari a beau se la jouer défenseur de la liberté d’expression et de la presse, les faits ne plaident pas en sa faveur. Il n’a défendu que sa liberté d’expression et celle de ses amis terroristes et salafistes, mais jamais celle de ses adversaires. La citation attribuée à Voltaire « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire », il ne la connait pas !
Yassine Ayari, et en dépit de sa courtoisie et civilité toute récentes, est en train d’exploiter à merveille l’erreur des magistrats militaires pour marquer des points politiques. Au lendemain du scandale Khashoggi et à moins d’un an des élections, ce positionnement de victime de la liberté d’expression est tout « bénéf » pour lui. En étant condamné et en croupissant pour une douzaine de semaines en prison, il sait qu’il a tout à gagner, rien à perdre. Ses copains d’Irada feront tout pour médiatiser l’affaire au maximum. Les ONGs de Soros se mobiliseront pour lui.
Yassine Ayari qu’on peut aimer ou détester ne fait que jouer un rôle politique pour ses propres intérêts d’abord et ceux de sa famille politique ensuite. Il sait se taire quand il y voit son intérêt (rappelez-vous le scandale de Sihem Ben Sedrine qu’il a fait éclater et qu’il n’a plus évoqué depuis son élection) et sait pleurnicher et crier au scandale quand il y voit son intérêt.
La liberté d’expression est quelque chose de trop précieux, voire de sacré, pour qu’elle soit défendue par quelqu’un qui s’en rappelle par intermittence.
Evoquer Yassine Ayari dans une affaire de liberté d’expression est dangereux pour elle, car Yassine Ayari s’est créé tellement d’ennemis et a tellement sali l’honneur de personnes, qu’il serait très difficile pour tous ces gens-là de le défendre au nom de la liberté d’expression. Le risque est que cette dernière soit galvaudée, juste parce que c’est Yassine Ayari qui en est victime. Le risque est que le pouvoir actuel (et les militaires en premier lieu) soit redevable d’abus sur cette liberté d’expression, à cause d’idioties commises par quelques uns qui n’ont pas conscience de ce qu’est la liberté d’expression et son impact sur la démocratie.
Yassine Ayari ne croit pas à la liberté d’expression pour qu’il la défende et il l’a prouvé par son comportement passé en s’attaquant bassement à ses adversaires et il le prouve présentement en ne faisant rien à l’Assemblée pour la protéger.
Si Yassine Ayari est sincère, qu’il défende la liberté d’expression à l’assemblée, là où on le paie et qu’il laisse le terrain des médias et des réseaux sociaux pour les pauvres gens et mortels comme nous.
Commentaires (8)
CommenterGUILLAUME DELOISON avait dit sur la liberté d'expression
Les tunisiens ne voient que le bout de leur index
Mais , oublient-ils que les memes outils qui ont permis sa condamantion peuvent se retrouver contre eux ?
Le tribunal militaire est une arme à double tranchant et l'utiliser pour des diffamations et autres délits d'opinions constitue un grand risque pour le futur democratique du pays.
Les pseudo democrates et les antirevolutinnaires se réjuissent ensembles de cette condamamantion car leur vision est sans doute trop limitée.
Si demain, les islamistes prenaient le pouvoir complètement,sans leurs nouveaux amis actuels, mais rafleuraient une majorité totale aux élections, vous verrez bien s'ils abuseraient de cet outils dangereux pour faire taire les adversaires.
Pele mele , democartes et journalistes comparaitraient pour atteinte a la sureté de l'Etat devant un cour militaire, car , entre critiquer un haut representant de l'etat et y porter atteinte , il n'y a qu'un pas.
Mais les gens sont malheureusement , excusez du terme, trop bêtes , pour penser à cela , car ils vivent au jour le jour, tels de pauvres spectateurs abrutis par l'actualité qu'ils suivent et subissent.
Le pleurnichard c'est Ahmed Fria
Le Vieilles Pratiques Ont La Peau Dure !
Ceci dit, et quelles qu'en soient ses méthodes d'expressions extrêmement agressives et blessantes, le clouer pour trois mois au cachot, et tout aussi abusif que ses propos, une amande aurait suffi, j'ignore si le président de la république BCE pouvait accorder sa grâce hors des clous, c'est à dire hors des fêtes nationales !
Un conseil à Nizar
Une conclusion ta une maladie de haine car je lisais tes articles depuis 5 ans.
Bravo Nizar - LA LIBERT'? D'EXPRESSION EST UNE CHANCE unique au monde arabe
1 - Ne pas porter atteinte à la vie privée
2 - l'incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l'apologie de crimes de guerre ou du terrorisme, les propos discriminatoires à raison d'orientations sexuelles ou d'un handicap
3 - Ne pas tenir de propos diffamatoires : la diffamation se définit par toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne
4 - Ne pas tenir de propos injurieux : l'injure se définit comme toute expression
Essayant de la garder cette liberté de d'expression.
Quand à ce Yassine il merite bien sa punition
@Nizar Bahloul : Yassine Ayari, on s'en fout
Bien sûr, je devine votre démarche en toile de fond à partir d'un exemple précis comme celui de Yassine Ayari : dénoncer les dépassements de la justice militaire ou de la justice tout court pour une affaire d'opinion mais consacrer tout un article pour cette "chose" (Yassine Ayari) c'est exagéré. Il y a tellement d'autres sujets plus importants en ce moment que de s'occuper du cas Ayari dont je me soucie autant que celui de ma première chemise.