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Le financement du déficit budgétaire - Y a-t-il encore des marges de manœuvre ?
31/01/2022 | 17:37
6 min
Le financement du déficit budgétaire - Y a-t-il encore des marges de manœuvre ?

 

Par Ghazi Boulila

Professeur d'économie à l'Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis (ESSEC)

 

 

Le déficit budgétaire croissant depuis une décennie a entraîné plusieurs graves problèmes économiques. Tous les gouvernements passés ont cherché à financer ce déficit essentiellement par la dette. Ils n’ont pas mis en œuvre une stratégie de création de richesse pour augmenter les recettes de l’Etat et combler ce déficit. Au contraire, ils ont augmenté des dépenses de l’Etat pour acheter la paix sociale dans l’objectif de se maintenir au pouvoir. Tous les gouvernements ont consenti plus d’efforts dans les négociations avec le FMI que dans la recherche de solution pour créer la richesse. Or, il est clair que la faiblesse de la création de la richesse qui a exacerbé la pression sur les finances publiques. Aujourd’hui, les recettes propres de l’Etat sont loin de combler les besoins en dépenses incompressibles (salaires des fonctionnaires, service de la dette) sans évoquer le besoin en dépenses d’investissement génératrices de croissance. La vraie solution pour notre économie est d’instaurer des politiques pro-croissance économique qui génèrent des recettes à l’Etat.  Dans le cas où le gouvernement sera incapable de mettre en œuvre ces politiques, il sera contraint à diminuer ses dépenses (salaires, éducation, santé etc.) et de mener des actions non populaires. La grande question qui se pose aujourd’hui est comment sortir de ce piège et à quel prix ? Est-ce qu’on a encore des marges de manœuvre pour financer ce déficit et aller vers la croissance ?

 

La difficulté de trouver des financements extérieurs et pour combler ce déficit, le gouvernement devra puiser essentiellement sur les trois modes de financement : la fiscalité, la dette publique et le financement monétaire. Chaque mode a des avantages et des inconvénients. Il est important que le gouvernement privilégie celui qui génère un moindre impact négatif sur la santé financière de l’État.

 

1. La fiscalité : Elle concerne les prélèvements obligatoires qui comprennent les impôts et les cotisations sociales. Les taux d’imposition sont déjà élevés et leurs augmentations réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs et peuvent causer des perturbations sociales. L’impopularité des hausses des taxes a amené les différents gouvernements à ne pas chercher à imposer de nouvelles taxes ou à les augmenter. Par ailleurs, il est intéressant de dégager le taux optimal des prélèvements obligatoires en Tunisie dans l’objectif de l’ajuster. Cependant, il existe des marges pour améliorer le recouvrement des prélèvements obligatoires. Une réforme du système fiscal est fortement recommandée.  

 

2. La dette publique :  Elle regroupe l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques (l’Etat, les collectivités et les organismes de sécurité sociale) mais également la partie de la dette privée qui a obtenu la garantie du secteur public. Elle a dépassé les 100% du PIB dont la majeure partie est externe. Les différents gouvernements ont misé sur cette dette pour financer le déficit budgétaire. Les électeurs se préoccupent moins de la hausse de la dette publique contrairement à celle des hausses des taxes et des prélèvements obligatoires. Ce comportement opportuniste des partis politiques au pouvoir dans leur préférence pour la dette publique plutôt que pour la hausse des impôts ne fait que retarder l’échéance des taxes futures et les prélèvements obligatoires plus importants seront imposés aux générations futures.

L’excès de l’utilisation de ce mode de financement pour financer le déficit budgétaire a abouti à un résultat grave pour l’économie tunisienne qui consiste à rendre la dette extérieure non soutenable. Les gouvernements ont remplacé les anciennes dettes par de nouvelles dettes. Ce mode de remboursement de la dette publique par de nouvelles dettes peut s’assimiler à ce que l’on peut appeler un jeu de Ponzi. Ce refinancement est toléré à court terme dans le cas où le gouvernement bénéficie de la confiance et la crédibilité des créanciers et notamment le FMI. Cependant, à long terme, la dette doit être entièrement remboursée (no Ponzi Game). Il est important de constater que la marge de manœuvre de ce mode de financement commence à se rétrécir que le gouvernement doit chercher d’autres options et d’autres sources de financement.

 

3. Le seigneuriage ou le financement monétaire ou encore la planche à billet : Il correspond à une politique de financement basée sur la sollicitation de l’intervention des autorités monétaires par le gouvernement. Il concerne 2 formes : Le seigneuriage direct c’est-à-dire lorsque le gouvernement s’adresse directement à la Banque Centrale pour se financer (avance par la banque centrale au trésor qui est interdit selon l’article 25) et le seigneuriage indirect par les émissions de bons du Trésor et titres financiers publics de court terme (pratiqué depuis plusieurs années). Afin de rembourser les dettes en devises étrangères, la Banque Centrale a refinancé les banques pour l’achat de bons de trésor à trois mois en juillet/août et opéré un swap de change. Il est attendu à ce que ce type d’avance se multiplie dans les mois à venir suite aux pressions budgétaires. Ce financement correspond à une forme de taxe car il réduit la valeur de la monnaie détenue par les agents économiques et leur pouvoir d’achat d’où son appellation «taxe d’inflation ou impôt sur l’inflation ».

Cependant, le seigneuriage indirect n’est pas inclus dans l’interdiction institutionnelle du financement monétaire du déficit public. Le gouvernement a fait recours à l’émission de bons du Trésor pour faire face à ses besoins de financement depuis plusieurs années.

Il est recommandé de dégager les effets positifs et les effets négatifs du seigneuriage et de dégager un niveau de seigneuriage optimal ou un niveau d’inflation optimale c’est-à-dire avant ce niveau, le gouvernement peut continuer à financer le déficit public par la création monétaire sans que cela ne nuise aux agents économiques. En revanche, dès que le niveau d’inflation optimal est dépassé, le gouvernement n’a plus intérêt à continuer d’utiliser ce type de financement car l’inflation qu’il génère exercera un effet négatif sur les agents économiques. Il est intéressant de mener une étude pour dégager ce taux d’inflation optimal et minimiser l’effet négatif du financement monétaire du déficit public pour pouvoir y avoir recours en cas de besoin dans les mois à venir (la théorie du seigneuriage optimal).

 

En général, lorsqu’un gouvernement choisit le mode de financement du déficit budgétaire, il doit tenir compte de l’impact de ce choix sur les finances publiques. Pour le cas de la Tunisie, la non soutenabilité de la dette extérieure, le retard dans l’adoption des réformes et l’absence de croissance ne doivent pas contraindre le gouvernement à choisir des taux de taxe et d’inflation non optimaux pour ne pas réduire l’efficacité et empirer la santé financière de l’État. Le rééchelonnement de dette, la vente de quelques entreprises publiques aux étrangers, la baisse des salaires nominaux et l’impôt sur l’inflation seront des options réelles entre les mains du gouvernement durant les mois à venir.

31/01/2022 | 17:37
6 min
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Commentaires
Jelel Bouharb
Objections au professeur Boulila sur quelques préconisations!
a posté le 08-02-2022 à 01:12
Le professeur Boulila écrit:
" Le rééchelonnement de dette, la vente de quelques entreprises publiques aux étrangers, la baisse des salaires nominaux et l'impôt sur l'inflation seront des options réelles entre les mains du gouvernement durant les mois à venir."
Il est clair que toutes ces mesures seront totalement catastrophiques, sur un plan purement technique, pour résorber le déficit public énorme actuel.
De plus, elles auront des conséquences politiques gravissimes. Il est totalement certain qu'elles engendreront des émeutes si elles étaient suivies par le gouvernement. Il est hautement probable qu'elles ne pourront jamais être mises en oeuvre, ne serait-ce que par l'opposition attendue, et logique, de l'UGTT, qui sera certainement approuvé par l'ensemble du peuple Tunisien, ( moi compris!).
Hors de question donc de brader les entreprises publiques, ni de diminuer les salaires de la fonction publique, ( folie pure et simple!), ni de provoquer une inflation qui conduira le peuple aux émeutes.
Le réechelonnement de la dette sera une simple fuite en avant, et aggravera de plus le déficit, en le rendant structurel, et sera assorti de conditions draconiennes pour être octroyé par les pays créditeurs.
En réalité, la seule voie de sortie de la crise consiste à rembourser les dettes actuelles, ( voire même à négocier leur annulation pure et simple, moyennant les énormes concessions diplomatiques et militaires concédées par l'Etat Tunisien sans réelle contrepartie à l'UE et aux USA, et qui pourront être revues et corrigées en cas de refus!), sans en contracter de nouvelles, et concomitamment, à lancer une planification intelligente du développement accompagné d'une relance keynésienne continue et cumulative. C'est le plan que j'ai développé précédemment. Tout autre plan serait inefficace et voué à l'échec. Inutile donc de continuer à supplier le FMI, la Banque Mondiale et les banques des pays de lOTAN. La solution est entièrement entre les mains d'un ministre COMPETENT et INTELLIGENT de l'Economie, des Finances publiques et du développement économique. Or, le ministre actuel, Samir Taieb, est très loin d'être l'homme de la situation. Comme les prétendus "tayarate" qui l'ont précédé, ( la longue cohorte des Mehid Jemaa, Youssef Chahed, Brahim Yassine, Nizar Aiche, mongi Kooli, et autres), c'est un manager issu du mileiu bancaire, dont la seuel compétence consiste à quémander des prêts au FMI. Sauf que le FMI ne les accorde que moyennant la quadrature du cercle des mesures impossibles à faire passer en Tunisie, car catastrophiques, et de plus, le FMI exige leur ratification par l'ARP que notre génie constitutionnel, Kais SAied, un "tayara" du Droit, a eu l'excellente idée de boucler par les chars de l'armée!. Il ne restera donc plus à Kais Saied et cette autre génie du gouvernement tunisien, la "tayara" Najla Boudin, ( que j'ai bien connue au lycée Alaoui, et dont je connais intimement la réelle "valeur"!), qu'à demander à Marouen Abassi de leur imprimer des dollars USA et des euros de l'Ue pour satisfaire les céanciers internationaux de l'Etat tunisien, ou solliciter un nouveau "Protectorat" et une "Commission financière internationale", comle l'avait fait l'illustre Mohamed Sadek, alors "Bey" de Tunis, afin que les Erlanger, Scemama et Rotschild puissent se payer directement sur la bête!.
Jelel Bouharb
Précisions sur les mesures indispensables de résolution de la crise budgétaire Tunisienne actuelle! (fin)
a posté le 08-02-2022 à 00:33
A la place de cette politique irrationnelle et stupide d'endettement etranger, l'Etat Tunisien aurait dû mettre en place depuis 1956 une politique de développement planifié des secteurs industriels en symbiose avec les ressources naturelles de la Tunisie, ce qui suppose bien sûr l'annulation de tous les contrats iniques, constitutifs de véritables escroqueries et extorsions, arrachés par la domination militaire française entre 1881 et 1956, et reconduits en 1955-1956 "volontairement" par l'Etat Tunisien avec l'Etat français en conterpartie d'une "aide économique" qui n'est que la reconduction de l'hégémonie colonialiste sous les apaprences de la "souveraineté". Il est totalemet clair qu'aucun développement économique de la Tunisie n'est possible sans l'annulation pure et simple, unilatérale, de ces accords par l'Etat Tunisien actuel, à condition qu'il puisse clairement affirmer sa souveraineté, et cela suppose évidemment la révision radicale de la politique des "alliances" contre nature de la Tunisie avec les puissances impérialistes de l'OTAN, dont le passé colonialiste s'accorde avec le présent impérialiste!.
Jelel Bouharb
Précisions sur les mesures indispensables de résolution de la crise budgétaire Tunisienne actuelle! ( suite)
a posté le 08-02-2022 à 00:31
Ceci nécessite aussi la réforme de la loi sur le statut de la BCT, qui doit devenir un établissement public sous tutelle du ministère de l'Economie et des finances publiques, et non pas une SA intégrée dans le système des banques centrales internationales, comme c'est le cas actuellement. Bien entendu, l'extrême prioriété de l'Etat est le désendettemnt public total en monnaie étrangère et l'interdiction de tout nouvel emprunt en devises étrangères, dollars Usa ou euros de l'UE, que RIEN NE JUSTIFIE, et qui ont transformé l'Etat Tunisien en une machine à contracter des prêts en devises auprès de tous les Etats de l'OTAN pour financer les importations tunisiennes auprès de ces Etats créditeurs, prétendus "partenaires", et de bradage des ressources naturelles de la Tunisie auprès de leurs multinationales pour l'obtention des devises nécesaires au remboursement de ces prêts. Cette politique d'endettement exponentiel est non seulement stérile, mais même criminelle, et les responsables politiques qui en sont à l'origine devraient même en répondre en justice car ils sont évidemment les responsables du désastre actuel des finances publiques tunisiennes. ( A noter que tous les ministres de l'Economie et des Finances depuis 2011 sont liés professionnellement au FMI et à la Banque mondiale!). En conséquence, tous les accords financiers avec l'UE et les USA devraient êter annulés, car ils ne peuvent certainement pas avoir pour effet le développement économique de la Tunisie, mais simplement son aliénation à vie, comme proie financière des banques des pays de l'OTAN, et politiquemnt, sa satellisation totale au profit des plans diplomatiques et militares de l'OTAN. Les véritables responsables du désastre actuel ne sont donc pas seulement ceux qui ont gouverné la Tunisie depuis 2011, mais aussi les gouvernements précedents des périodes 1956-1987 et 1987-2011, qui n'ont eu pour seule stratégie que de signer sans réfléchir tous les accords diplomatiques et militaires qui vont de pair avec les contrats inutiles et ruineux de surendettement continu et croissant de l'Etat tunisien libellés en monnaies étrangères qui ne peuvent avoir aucun effet positif sur la croissance de l'Economie Tunisienne.
Jelel Bouharb
Précisions sur les mesures indispensables de résolution de la crise budgétaire Tunisienne actuelle!
a posté le 08-02-2022 à 00:28
Le professeur Boulila a raison sur le point fondamental d'équilibrer le budget par les recettes fiscales et de ne pas recourir à l'endettement étranger ni à la panoplie de contorsions bancaires qu'il appelle "seigneurage". Or, il n'a pas précisé par quels mécanismes précisément cette politique budgétaire de l'Etat devrait être mise en place. Voici le schéma de réformes que je préconise, ( et que je n'hésiterai pas à mener si j'étais le ministre des finances publiques et de la politique économique!): 1) élaboration d'un budget prévisionnel annuel pour les dépenses de fonctionnement et d'investissement public, dans le cadre d'une politique de développement économique planifiée, d'inspiration keynesienne de relance de l'Economie par l'investissement dans les infrastructures, afin de stimuler la production et l'emploi dans l'économie tunisienne, donc en monnaie nationale, (et non pas en devises étrangères qui seront absorbées par les entreprises multinationales opérant en Tunisie, et financées par les programmes du FMI et de ses satellites bancaires et d'agences de l'ONU), 2) élaboration d'un budget de financement partiel par les recettes des taxes et recettes propres de l'Etat, provenant des entreprises publiques et des concessions des secteurs miniers et hydrocarbures, 3) élaboration d'un budget de financement complémentaire par l'imposition des revenus du travail et du capital, basée sur un taux unique calculé avec le PIB de l'annéee précédente, ( rejoignant ainsi Boulila dans son idée d'un taux d'imposition d'ajustement optimal, celui choisi étant le plus simple possible, et nécessitant aussi la refonte du code des impôts!), 4) financement complémentaire final par recours à l'emprunt de court terme, sur le marché obligataire en monnaie nationale, en vertu d'une loi de finances rectificative, pour compenser les écarts statistiques dûs aux erreurs de prévisons sur le PIB, 5) interdiction de toute autre forme de financement par le biais des pratiques de la BCT décrites par Boulila comme "seigneurage", y compris en cas d'insuffisance du financement obligataire, et recours dans ce cas à la création monétaire pure et simple, en quantité facilement calculable par la loi de Irving Fisher, afin de contrôler l'inflation, ( comme préconisé aussi par Boulila!), quitte à suspendre partiellement la réalisation du programme des investissements lourds.
Jelel Bouharb
Réponse au professeur Ghazi Boulila!
a posté le 07-02-2022 à 19:13
Je suis totalement d'accord avec le professeur d'Economie Ghazi Boulila sur ce point fondamental et en même temps totalement évident qui est l'augmentation des recettes de l'Etat pour payer ses dépenses de fonctionnement et d'investissement. Si on se réfère aux théories juridiques de l'Etat, ( surtout à la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen du 26/8/1789, car elle est le 1er exemple dans l'Histoire de définition des droits et devoirs des citoyens et de la mission de l'Etat, qui est uniquement d'exécuter les lois, pour éviter le despotisme des modes traditionnels de gouvernement, tel en France l'absolutisme des rois de France!), le budget de l'Etat doit être équilibré et donc les dépenses doivent être égales aux recettes. En effet, l'Etat n'est pas habilité par la Constitution démocratique pour faire des profits, ni pour se substituer à la sphère privée. Si on se rapelle de ces principes, il en résulte que l'Etat ne doit pas, par exemple, subventionner le prix du pain ou d'autres produits, comme le fait pourtant l'Etat Tunisien. Il est clair que l'Etat Tunisien, pour des raisons historiques, ( occupation militaire française en 1881-1956, gouvernements post-1956 construits sur la force armée par les dictatures de partis politiques tels que Hezb destouri, Tajammaa, etc), a mis en place des mécanismes de gestion publique non seulement illégaux mais aussi irrationnels sur le plan économique. L'Etat Tunisien actuel doit être profondément réorganisé et réformé, et les schemas et lois mis en place par l'occupation française doivent être totalement éliminés, si on veut faire entrer la Tunisie dans une ère de prospérité économique et la sortir de la dépendance et de la mise sous tutelle étrangère, non seulement économique, mais aussi et surtout politique.
Je détaille ce programme sur mon blog, ici: https://jalelbouharb2012.wordpress.com/?p=1338
Jelel Bouharb
Réponse au professeur Ghazi Boulila!
a posté le 07-02-2022 à 19:11
https://jalelbouharb2012.wordpress.com/2022/02/07/reponse-au-professeur-deconomie-ghazi-boulila-sur-son-analyse-de-la-crise-budgetaire-tunisienne-actuelle/