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Tribunes
Sur une éventuelle application des dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne
22/07/2020 | 15:14
5 min
Sur une éventuelle application des dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne

Les déclarations du président Kaïs Saïed à l’occasion de sa rencontre avec le président de l’Assemblée des représentants du peuple ainsi que ses deux adjoints, a suscité de nombreux commentaires.

A la suite des évènements que connait le pays notamment sous la coupole du parlement, le président de la République a précisé que « la Tunisie connait actuellement les moments les plus critiques depuis l’indépendance et qu’il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde de l’Etat et de ses acquis ». Il a ajouté qu’il dispose des moyens juridiques nécessaires pour faire face à cette situation, des moyens qu’il a comparé à « des missiles installés sur leurs bases de lancement ».

Tout le monde s’est précipité vers la Constitution tunisienne à la recherche desdits « missiles ». En effet, il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour remarquer que la majorité des commentateurs ont estimé que le président faisait allusion aux dispositions de l’article 80, lequel article précise : 

« En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du chef du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple.

Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement.

Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours. 

 Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le président de la République adresse à ce sujet un message au peuple. »

Force est de constater que l’article cité ne brille pas par sa clarté, mieux encore, dans les circonstances actuelles il pourra aboutir à un blocage puisqu’il ne portant pas dans son sillage expressément et clairement « la solution efficace et immédiate » au regard des Tunisiens et conforme à leurs attentes.

Cependant, ce qui a amené la foule à se concentrer sur  les dispositions de l’article 80 c’est peut être parce le texte évoque la notion de « péril imminent ».

La question qui se pose serait donc celle de savoir ce qu’il peut être qualifié de « péril imminent » afin de permettre au président de prendre toute mesure qu’il juge nécessaire à la sauvegarde de l’intégrité nationale et la sécurité du pays.

La notion de « péril imminent » nous renvoie à la notion « d’urgence » qui est le caractère d’un état de fait susceptible d’entrainer, s’il n’y est porté remède à bref délai, un préjudice irréparable[1] ce qui justifie en droit civil à titre d’exemple, l’intervention du juge pour la conservation d’un droit ou la sauvegarde d’un intérêt.

En droit constitutionnel, l’urgence prend naissance d’une crise politique[2]. En effet, il peut survenir des crises politiques qu’il serait urgent de régler, dès lors qu'elles se manifestent, pour assurer la continuité de l'État.

Il est évident qu’une constitution, même la mieux pensée et rédigée, ne peut prévoir et prévenir toutes les situations d'urgence.

Incontestablement, le pays connait aujourd’hui une crise politique sans précédent après la démission du président du gouvernement. Cette crise s’est accentuée par le dépôt de la motion de censure contre le président de l’ARP et par les sit-in faits au sein du Parlement, par les députés du PDL, qui empêchent le fonctionnement normal de cette institution.

La situation, telle qu’elle se présente, ne serait-t-elle pas à l’origine d’une crise politique, « un péril imminent » au sens de l’article 80 de la constitution entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

La réponse peut être par l’affirmative car « le péril imminent » ne peut se limiter à un danger extérieur ou à une menace terroriste mais à notre sens il peut être tout évènement pouvant menacer l’intégrité de l’Etat et paralysant le fonctionnement normal de ses institutions[3] et dont la continuité pourrait amener à une situation préjudiciable pour le peuple et une atteinte grave à l’ordre public.

Dans cet ordre d’idées, et si nous considérons que la crise politique actuelle que connait le pays, permet au président de prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, il sera intéressant d’imaginer ce que pourraient bien être ces mesures surtout que la dissolution du parlement est une hypothèse écartée par le texte de l’article 80.

Les rédacteurs de la Constitution de 2014 ne pouvaient imaginer que le pays allait traverser de telles turbulences sinon on aurait trouvé une liste de mesures à même de garantir le rétablissement de l’odore.

Néanmoins, le paragraphe deuxième de l’article 80 de la Constitution avance un élément caractéristique permettant d’identifier les dites « mesures » à savoir « avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».

Il va sans dire que la mesure que pourrait prendre, éventuellement, le président, doit obligatoirement garantir un retour à la normale dans l’hémicycle du parlement.  Ce dernier, dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer la mesure nécessaire au maintien de l’ordre et de la sécurité comme il dispose d'une latitude d'appréciation de l'opportunité de la mise en œuvre des dispositions de l’article 80 de la Constitution.

Etant le principal garant du respect de la Constitution, le président de la République, a précisé qu’il ne restera pas « les bras croisés » face aux abus constatés par tous les Tunisiens.

Verrons-nous, dans les heures à venir, le président agir afin de calmer le vent de fronde qui souffle sur l’Assemblée des représentants du peuple ?



[1]- G. Cornu, «Vocabulaire juridique », Association Henri Capitant, 5ème édition 1996

[2]-J.Robert, « les situations d'urgence en droit constitutionnel » In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 42 N°2, Avril-juin 1990. Etudes de droit contemporain. pp. 751-764;

[3]- Faut-il rappeler que le sit-in du PDL a causé l’annulation des élections de la Cour constitutionnelle tant attendues.

22/07/2020 | 15:14
5 min
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Commentaires
ourwa
@ Sarra ben Sedrine Chabir
a posté le 22-07-2020 à 22:28
Vous avez une lecture de l'article 80 un peu voilée; cet article précise bien dans son alinéa 1: " ...et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle"; alinéa 3 :" A tout moment etc...la Cour constitutionnelle est saisie en vue de vérifier si la situation exceptionnelle persiste. La décision de la Cour est prononcée publiquement dans un délai ne dépassant pas quinze jours". Or il y a un hic, cette Cour constitutionnelle n'existe pas et pour cause, le parti islamo-fasciste nahdha, majoritaire à l'ARP, fait tout pour empêcher la constitution de cette cour...avec le soutien, cela va sans dire, de ses alliés, partis croupions... Conclusion : cet article 80 est nul et non avenu, comme d'autres articles de la Constitution. K.S., ce "spécialiste de la spécialité constitutionnelle" le sait. La seule possibilité pour lui de dissoudre l'ARP est l'application de l'article 77, alinéa 2, où la référence à la Cour constitutionnelle ne figure pas. Son "appréciation" concernant l'article 80 pourrait aller au recours au Tribunal administratif dont le jugement ne serait qu'un avis consultatif. Pour un spécialiste de droit constitutionnel, accepter de présider une république disposant d'une constitution incomplète, bancale, ça incite à se poser des questions...Toutefois, reste l'article 97, alinéas 1et 2, article 99, 1-2-3, qui peut aboutir à la dissolution de l'ARP. On le voit, la constitution de 2014, rédigée par nahdha, est ambiguë, complexe, confuse...Les institutions de l'Etat ne pourront jamais fonctionner normalement sur la base d'une constitution bancale comme celle de 2014. Un effort de lessivage et de clarté s'impose.
Candide né
Même pas peur.....
a posté le 22-07-2020 à 21:26
Le ridicule et le grotesque réunis!
Pour le reste,c'est peut-être un Homonyme!!
La médiocrité dans toute sa splendeur.
Docsambs
Choqué! '
a posté le 22-07-2020 à 17:57
Vous êtes consciente de ce que vous avancez comme explication concernant le point3?!? C'est à dire que la cours constitutionnelle était en voie de rêve et c'est le parti PDL qui a empêché la réalisation de ce rêve?!? Vous voulez vraiment d'une cours constitutionnelle infiltrée dislamistes pour juger de la constitutionalité des nouvelles loi de cette 2eme république?!? Mais où va ce pays?!!
Zut et Flûte
Cour Constitutionnelle
a posté le 22-07-2020 à 16:20
Béllèhi de quel article 80 de la Constitution tunisienne vous parlez?
Celui-ci évoque la Cour Constitutionnelle 3 fois au moins;
S'il y a bien un article caduc et qui est,en l'absence de cette CC,non fonctionnel,c'est bien celui-là.
Kâadin ikawra mén ghir arbitre,l'Instance demeure et les hommes partent;
Dans toutes les Démocraties du monde,il y a une CC ou conseil constitutionnel qui est là pour trancher les points de litige;
Si BCE et RG s'étaient accommodés de son absence (je les vois bien dire entre eux:"èch hèl méhnè méch nhotouhè ând rousnè méch tohkom mâanè,hanè métfèhmin,rékhnè",ce n'est plus le cas aujourd'hui où le paysage politique ne permet plus d'avancer sans cette cour;
Imaginez demain,l'ARP qui vote sa motion de censure contre EF et qui sur la foulée désigne à la majorité son CDG,celui-ci n'étant pas celui désigné par le président de la république ,suite à la démission de EF,et chacun campe sur sa position,bien sûr le dernier mot revenant au président de la république qui est le chef suprême des armées mais d'un point de vue purement éthique,la chose est discutable....
Et si le dernier mot revient à KS,il en sera de même à chaque fois,dés qu'une motion est diligentée par l'ARP,le président de la république lui demandera de démissionner..
Non,encore une fois,les hommes passent et les Institutions demeurent et c'est à vous,normalement,hommes et femmes de Droit d'être présents sur la scène médiatique et les réseaux pour insister sur l'importance de cette cour(CC)
Zut et Flûte
Cour Constitutionnelle
a posté le 22-07-2020 à 15:36
Voila ce qui va se passer:
Une séance plénière aura lieu pour le retrait de confiance d'EF avec le vote à la majorité absolue sur la foulée de son CDG remplaçant;
Cette même majorité absolue confirmera RG à la tête du perchoir;
Soit KS confirme ce CDG élu par l'ARP,soit on va devant un point de litige constitutionnel;
Où est la CC (Cour Constitutionnelle) pour trancher?
Continuez à jouer hèl lâab hwém,sans arbitre et on ira lèkadarallah tout droit vers un scénario à la Libyenne:
Deux gouvernements:celui de l'ARP et celui du président.